Exploitation équestre : où s'arrête le bénéfice agricole ? Nouvel apport jurisprudentiel concernant la qualification fiscale des revenus tirés d'activités équestres, particulièrement le régime des bénéfices agricoles au titre des revenus issus de la prise en pension de chevaux.
L’ensemble des revenus provenant des activités de préparation et d’entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation, à l’exclusion des activités de spectacle sont soumis au régime des bénéfices agricoles, en application des dispositions de l'alinéa 4 de l'article 63 du CGI.
L'article 63-al.1 du CGI établit que les revenus résultant de l'exploitation de biens ruraux ou d'activités se rapportant au cycle biologique de la production agricole, y compris l'entraînement des équidés pour des activités non liées au spectacle, sont imposables dans la catégorie des bénéfices agricoles.
L'article 63-al.4 du CGI, précise que les revenus provenant des activités de préparation et d'entraînement des chevaux domestiques sont considérés comme des bénéfices agricoles, mais exclut les revenus tirés uniquement du gardiennage.
Ces dispositions servent de base pour déterminer si certaines activités équestres relèvent du régime fiscal agricole, avec des implications directes sur l'imposition des particuliers et des sociétés détentrices d'activités équestres.
Rappel des faits :
M. et Mme A détiennent la totalité des parts de la société Calival, une SARL familiale ayant opté pour l'imposition personnelle des associés, conformément à l'article 239 bis AA du CGI. Cette société a fait l'objet d'un contrôle sur pièces pour les exercices 2011, 2012 et 2014. À l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a notifié à M. et Mme A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu concernant ces années, assorties de pénalités. L'objet contesté est la qualification des revenus provenant de la prise en pension de chevaux, activité exercée par la société. L'administration fiscale a classé ces revenus dans la catégorie des bénéfices agricoles, entraînant une imposition supplémentaire pour les années 2011 et 2012.
Le 11 juin 2021, le tribunal administratif de Lille a prononcé une décharge partielle et totale, réduisant certaines impositions pour 2011 et 2012, mais rejetant le reste des conclusions des requérants. Le 1er juin 2023, la Cour administrative d'appel de Douai a partiellement annulé ce jugement, réimposant la cotisation pour 2011, majorant le déficit agricole pour 2012 et rejetant l'appel des requérants.
M. et Mme A se sont pourvus en cassation devant le Conseil d'État, contestant la qualification par la Cour d'appel de leurs revenus de pension de chevaux comme bénéfices agricoles. Ils soutiennent que l'administration et la juridiction inférieure ont mal interprété l'article 63 du CGI en retenant automatiquement que toute activité de prise en pension relevait du régime agricole. Ils font valoir que la simple activité de gardiennage de chevaux, sans intention d'améliorer la condition physique ou d'entraîner les animaux, ne devrait pas être assimilée à un bénéfice agricole.
Le nœud du litige portait sur la qualification fiscale des revenus tirés de la prise en pension de chevaux.
Cette question soulevait une difficulté d'interprétation de l'article 63 du CGI, qui définit les bénéfices agricoles selon deux critères alternatifs : soit l'insertion dans un cycle biologique (al.1), soit l'exercice d'activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques (al.4).
Le Conseil d'État vient d'annuler l'arrêt du 1er juin 2023 de la CAA de Douai dans la mesure où il qualifiait incorrectement les revenus de pension de chevaux de M. et Mme Apour les années 2011 et 2012.
Le Conseil d'État saisit l'occasion pour clarifier la portée de ces dispositions en formulant une grille d'analyse en trois temps.
- Il précise que le cycle biologique du cheval ne se limite pas à sa croissance mais peut se prolonger à l'âge adulte, englobant les opérations visant à améliorer sa condition physique et renforcer ses aptitudes naturelles pour le rendre apte au dressage choisi ;
- Il rappelle également que les activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques relèvent expressément des bénéfices agricoles en vertu du quatrième alinéa de l'article 63 du CGI ;
- Enfin, et c'est l'apport majeur de l'arrêt, il pose clairement que "les revenus tirés de la seule activité de gardiennage de chevaux ne constituent pas des bénéfices de l'exploitation agricole".
Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article 63 du code général des impôts citées au point 2 que lorsque l'activité exercée s'insère dans le cycle biologique de la production de végétaux ou de l'élevage d'animaux, les revenus tirés de cette activité doivent être considérés comme des bénéfices de l'exploitation agricole pour l'application de l'impôt sur le revenu.
A cet égard, le cycle biologique de développement du cheval ne se limite pas à la phase de croissance de l'animal mais peut se prolonger à l'âge adulte, par des opérations visant à améliorer sa condition physique et à renforcer ses aptitudes naturelles pour le rendre conforme à sa destination, c'est-à-dire apte au dressage qui sera choisi.
En vertu du quatrième alinéa de ce même article, également cité au point 2, sont aussi considérés comme bénéfices de l'exploitation agricole les revenus qui proviennent des activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques, en vue de leur exploitation dans les activités autres que celles du spectacle.
En revanche, les revenus tirés de la seule activité de gardiennage de chevaux ne constituent pas des bénéfices de l'exploitation agricole au sens de ces dispositions.
Cette position conduit le Conseil d'État à censurer l'arrêt de la cour administrative d'appel pour double erreur de droit.
- D'une part, la cour avait considéré que toute activité de pension relevait des bénéfices agricoles dès lors qu'elle visait à améliorer la condition physique du cheval, sans vérifier concrètement si tel était le cas en l'espèce.
- D'autre part, elle avait jugé imposables dans cette catégorie les revenus d'une simple activité de gardiennage, même hors cycle d'élevage et de compétition.
Souignons que cette décision qui juge que les revenus tirés de la seule activité de gardiennage de chevaux ne constituent pas des bénéfices de l'exploitation agricole est en contradiction avec la doctrine administrative qui précise s'agissant de l'activité "Prise en pension et gardiennage" :
La préparation consiste à porter le cheval au meilleur de sa forme pour le jour de la course ou de la compétition équestre. Il en résulte la nécessité de loger l’animal dans de bonnes conditions d’hygiène, de contrôler son alimentation et de veiller sur son état sanitaire. Il s’ensuit que l’ensemble de l’activité de prise en pension de chevaux relève de la catégorie des bénéfices agricoles (prise en pension de chevaux au pré, en box ou en stabulation).
Il s’agit notamment de la prise en pension de chevaux exercée dans le cadre d’un centre équestre et de la prise en pension inhérente à l’activité de préparation et d’entraînement des chevaux. Dans l’hypothèse où la prise en pension de chevaux ne s’inscrit pas dans le prolongement de l’exploitation d’un centre équestre ou d’une activité d’entraîneur (simple gardiennage ; prise en pension se situant hors du cycle de l’élevage et de la compétition), les revenus provenant de l’activité sont également imposables dans la catégorie des bénéfices agricoles.