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TVA indûment facturée : la bonne foi de l'émetteur...une clé pour la régularisation

Cette décision apporte des précisions sur les conditions dans lesquelles un assujetti peut obtenir la régularisation d'une TVA mentionnée à tort sur ses factures, en réaffirmant le rôle de la bonne foi lorsque le risque de perte de recettes fiscales n'est pas complètement éliminé.


 

L'article 271 du CGI régit les conditions de déduction de la TVA, prévoyant notamment les mécanismes de régularisation lorsque l'opération n'est pas effectivement soumise à l'impôt. Cette disposition doit être lue en parallèle avec l'article 283, alinéa 3, du même code, transposition de l'article 203 de la directive TVA du 28 novembre 2006, qui énonce le principe selon lequel :

Toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture est redevable de la taxe du seul fait de sa facturation.

 

Ce mécanisme vise à prévenir la perte de recettes fiscales qui surviendrait si le destinataire de la facture déduisait une taxe qui n'a pas été reversée à l'État.

Cependant, ce principe doit être concilié avec le principe fondamental de neutralité de la TVA. Ce principe implique qu'une TVA indûment facturée puisse, dans certaines situations, être régularisée. Le droit de l'Union européenne n'ayant pas de dispositions spécifiques à cet effet, il incombe à chaque État membre de prévoir les conditions de cette régularisation, tout en respectant les principes de neutralité, de proportionnalité, d'effectivité et d'équivalence.

 

La jurisprudence de la CJUE distingue deux situations principales pour la régularisation de la TVA indûment facturée :

  • Absence de risque de perte de recettes fiscales ou élimination complète et en temps utile de ce risque : Dans ce cas, notamment lorsque l'administration fiscale a définitivement refusé au destinataire le droit de déduire la taxe, l'émetteur de la facture est en droit d'obtenir la régularisation. Cette régularisation ne peut être subordonnée à une rectification préalable de la facture ni à la bonne foi de l'émetteur.

  • Persistance du risque de perte de recettes fiscales : Lorsque ce risque n'est pas complètement éliminé (par exemple, tant que le destinataire peut encore utiliser la facture pour déduction), la régularisation est subordonnée à deux conditions cumulatives, en l'absence de texte contraire : la bonne foi de l'émetteur et la correction de l'erreur par l'envoi d'une facture rectificative au client.

 

Rappel des faits :

La société E France exerce une activité de location de locaux nus à usage professionnel, activité normalement exonérée de TVA sauf option contraire. Durant la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, elle a délivré à ses locataires des factures mentionnant indûment la TVA, sans reverser cette taxe au Trésor public. 

Face à cette irrégularité, la société a pris l'initiative de corriger ses erreurs en adressant à ses locataires des factures rectificatives ne mentionnant plus la TVA, accompagnées de notes d'avoir correspondant au montant de la taxe collectée à tort. 

Cependant, les locataires avaient entre-temps procédé à la déduction de la TVA mentionnée sur les factures initiales, créant ainsi un risque potentiel de perte de recettes fiscales pour l'État. Cette situation plaçait le dossier dans la catégorie des cas où le risque de perte de recettes n'était pas complètement éliminé, nécessitant l'examen des conditions particulières de régularisation.

À l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a réclamé à la société E France des rappels de TVA assortis de pénalités pour la période contrôlée. Cette réclamation était fondée sur l'application stricte de l'article 283, alinéa 3, du CGI, l'administration considérant que la société était redevable de la TVA du seul fait de sa mention sur les factures.

Le TA de Strasbourg, saisi par la société, n'a pas entièrement fait droit à sa demande de décharge des impositions et pénalités. La cour administrative d'appel de Nancy, saisie en appel, a confirmé cette position en rejetant les demandes de la société. Sa décision du 14 mars 2024 a considéré que les factures rectificatives et notes d'avoir émises par la société ne suffisaient pas à éliminer complètement le risque de perte de recettes fiscales, et a écarté l'argument tiré de la bonne foi de l'émetteur.

 

La société s'est alors pourvue en cassation :

  • soutenant avoir pris toutes les mesures nécessaires pour éliminer le risque de perte de recettes fiscales en émettant des factures rectificatives et des notes d'avoir. Cette démarche volontaire visait à démontrer que les conséquences de l'erreur initiale avaient été corrigées et que l'État ne risquait plus de subir de préjudice.
  • invoquant sa bonne foi pour obtenir la régularisation de la TVA indûment facturée. Cet argument reposait sur le caractère involontaire de l'erreur et sur les diligences accomplies pour la corriger dès qu'elle avait été identifiée. La société estimait que ces éléments devaient permettre d'écarter l'application stricte de l'article 283, alinéa 3, du code général des impôts.

 

Le Conseil d'Etat vient d'annuler l'arrêt de la CAA de Nancy en ce qu'il s'est prononcé sur les rappels de TVA et les pénalités correspondantes renvoyant l'affire devant la même Cour  pour qu'elle réexamine la situation en tenant compte de la possible bonne foi de la société.


 

 

Tout d'abord, le Conseil d'État a constaté que la société avait mentionné indûment de la TVA sur ses factures et que ses locataires l'avaient déduite. Il a validé l'appréciation de la cour d'appel selon laquelle le fait que la société ait adressé des factures rectificatives et des notes d'avoir ne suffisait pas à considérer que le risque de perte de recettes fiscales était complètement éliminé. En effet, tant que les locataires avaient pu opérer la déduction, le risque subsistait. 

 

Puis, le Conseil d'État a reproché à la Cour d'avoir commis une erreur de droit en jugeant que la bonne foi de la société E France ne pouvait être utilement invoquée. Le Conseil d'État a rappelé que, même en l'absence d'élimination complète du risque de perte de recettes fiscales (ce qui était le cas ici), l'émetteur d'une facture mentionnant indûment de la TVA peut obtenir la régularisation s'il est de bonne foi. La bonne foi est une condition alternative et non un obstacle à la régularisation dans ce type de situation.

En revanche, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que l'absence d'élimination complète du risque de perte de recettes fiscales ne fait pas obstacle à ce que l'émetteur d'une facture mentionnant indûment la taxe sur la valeur ajoutée puisse régulariser cette taxe s'il est de bonne foi. Par suite, en jugeant que la société Eurapack France ne pouvait utilement invoquer sa bonne foi, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.


 

 

TL;DR

  • La décision confirme que la rectification des factures et l'émission de notes d'avoir ne garantissent pas à elles seules l'élimination du risque de perte de recettes fiscales si le destinataire a eu la possibilité de déduire la TVA.
  • Cependant, elle rappelle avec insistance que l'absence d'élimination complète de ce risque n'interdit pas toute régularisation si l'émetteur peut démontrer sa bonne foi.

La bonne foi redevient donc un critère essentiel à examiner pour les juges du fond dans les cas où le risque fiscal n'a pas été totalement écarté.

 

Publié le mercredi 23 juillet 2025 par La rédaction

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