Bien connu des fiscalistes, le dispositif « Dutreil » (CGI, article 787 B) a été conçu pour favoriser les transmissions d’entreprises par donation ou succession, en permettant, sous certaines conditions, une diminution significative des droits de mutation à titre gratuit (exonération de 75% d’assiette, réduction de droits de 50% en cas de donation en pleine-propriété avant les 70 ans).
Aucune modification majeure n’a été apportée au texte depuis la loi de finances pour 2019 (LOI n°2018-1317 du 28 décembre 2018 - art. 40), laquelle avait introduit certains assouplissements salutaires (on citera notamment la possibilité pour une personne seule de souscrire à un engagement de conservation, la diminution des seuils minimum de participation pactée et la suppression des attestations annuelles). Prenant le contrepied de cet esprit d’ouverture, l’administration fiscale avait largement amendé ses commentaires du dispositif, par une instruction du 06 avril 2021. Cette première mise à jour comprenait de nombreux ajouts à la Loi et interprétations extrêmement restrictives qui dénaturaient le régime de faveur ou ne le rendaient applicable qu’à l’issue d’improbables contorsions …
Il était donc urgent de « sauver le soldat Dutreil », d’autant plus que le processus de consultation publique concernant l’instruction précitée, qui avait pris fin au 06 juin 2021, n’a pas eu pour effet d’en suspendre l’application.
Bercy a finalement entendu les praticiens en procédant à une seconde mise à jour de sa doctrine par deux BOI publiés au BOFIP le 21 décembre 2021 (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 et BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20). Des nouveaux commentaires plus pragmatiques et conformes à la lettre et à l’esprit du dispositif, que nous saluons, et qui nous prouvent qu’une bonne collaboration entre les services de Bercy et les praticiens permet de sortir des certaines impasses et d’avancer pour le plus grand bien ici de notre tissu économique.
Etudions donc les principales avancées de ces nouveaux commentaires qui devraient sans aucun doute faciliter et sécuriser les transmissions d’entreprises.
L’article 787B du CGI conditionne l’exonération partielle à l’exercice d’une fonction de direction dans l’entreprise (activité professionnelle principale s’il s’agit d’une société de personnes, une des personnes visées au 1° du 1 du III de l’article 975 du CGI relatif à l’exonération d’IFI au titre des biens professionnels lorsque la société est soumise à l’IS). Une fonction de direction éligible doit ainsi être exercée par un des signataires de l’engagement collectif (ou unilatéral) de conservation ou par l’un des bénéficiaires de la transmission. Cette condition doit être remplie pendant la durée de l’engagement collectif (ou unilatéral) de conservation, de deux ans au minimum, et pendant une durée de trois ans courant à compter du jour de la transmission.
L’administration fiscale confirme l’analyse des praticiens selon laquelle la fonction de direction peut alternativement être exercée à compter de la transmission par un des bénéficiaires de cette transmission (donataire, héritier ou légataire) ou par un des signataires de l’engagement collectif (ou unilatéral) de conservation, même si cet engagement n’est plus en cours. Cette faculté est permise quand bien même ce signataire aurait transmis l’intégralité de sa participation pactée.
Ainsi, s’il existe, parmi les signataires de l’engagement collectif (le donateur ou d’autres personnes), au moins une personne susceptible de poursuivre la direction, une transmission pourra être engagée, alors que pourtant les bénéficiaires sont encore jeunes ou n’ont pas vocation à reprendre le flambeau. Une interprétation davantage conforme à l’esprit du texte
Dans la même ligne, en présence d’un engagement collectif « réputé acquis », l’administration fiscale admet désormais qu’une codirection soit exercée par le donateur et par l’un des donataires.
Cette précision fort utile permettra ainsi au donateur de transmettre progressivement les rênes de l’entreprise, alors que l’administration exigeait précédemment que ce dernier cesse toute fonction de direction dans l’entreprise à compter du jour où il transmet ses titres.
Enfin, afin de pallier la situation dans laquelle aucun des héritiers ou légataires n’est en mesure de poursuivre l’exploitation (ni, nous supposerons, aucun des membres d’un engagement collectif de conservation) l’administration fiscale intègre au BOFIP une Réponse Ministérielle pragmatique et opportune précisant que, dans cette situation, la direction peut être exercée par un mandataire à effet posthume qui administrera l’entreprise pour le compte de la succession.
Selon la base FIBEN gérée par la Banque de France, 33% des PME employant entre dix et cent salariés sont détenues par l’intermédiaire d’une holding. Pour les PME employant entre 100 et 250 personnes, ce pourcentage augmente à 62 %.
Parmi ces holdings, un nombre important ne réunit pas les conditions requises pour pouvoir être qualifiées de holdings animatrices de groupe. Afin de préserver ce tissu économique, il est ainsi crucial de permettre la transmission d’entreprises détenues indirectement. Le législateur a ainsi ouvert très tôt le bénéfice de l’exonération partielle aux transmissions des sociétés « interposées » qui, bien que n’exerçant pas directement une activité éligible, détiennent une participation directe ou indirecte (dans la limite de deux niveaux d’interposition), dans une société « cible » qui exerce une telle activité.
Le texte prévoit dans ce cadre une dissociation entre, d’une part, l’engagement collectif (ou unilatéral) de conservation, qui sera conclu sur les titres de la société « cible », et l’engagement individuel de conservation, qui sera pris sur les titres de la société interposée transmise.
L’administration fiscale en avait tiré très tôt la conclusion selon laquelle il n’est pas nécessaire, lorsque la transmission porte sur les titres d’une société interposée, que l’auteur de la transmission participe à la conclusion de l’engagement collectif.
Le BOFIP du 6 avril 2021 dénaturait le mécanisme de l’interposition en exigeant que le défunt ou le donateur, associé de la société interposée, ait été signataire de l’engagement collectif (ou unilatéral).
Cette exigence a été supprimée
Il est simplement précisé que les associés de la holding doivent détenir depuis la date de la signature de l’engagement collectif (ou unilatéral) de conservation leur participation dans la holding qu’ils entendent transmettre sous le bénéfice de l’exonération partielle.
Ainsi, en cas d’augmentation de capital à laquelle la holding ne participerait pas, la seule circonstance que le taux de participation de la holding dans la société opérationnelle diminue par l’effet de la dilution ainsi réalisée n’entrainera pas le remise en cause de l’exonération partielle.
Cette précision conforme au texte permettra aux groupes concernés de continuer à se financer par apport de nouveaux capitaux
Le législateur a souhaité faciliter les restructurations de sociétés en autorisant l’apport des titres transmis sous exonération Dutreil à une autre société. Les motivations pouvant conduire à la mise en place d’un tel apport peuvent être multiples : assurer la prise en charge d’une soulte due aux frères et sœurs qui n’ont pas vocation à reprendre l’entreprise, organiser la reprise progressive des participations détenues par d’autres associés dans l’entreprise, permettre au donateur de veiller à son indépendance financière en cédant le surplus des titres qu’il n’aura pas donné, etc.
Le f. de l’article 787B du CGI prévoit en la matière diverses conditions à respecter tenant notamment à la composition de l’actif de la société bénéficiaire, la répartition de son actionnariat et à sa direction.
Plusieurs avancées notables sont à signaler à cet égard
Il est ainsi désormais admis, pour apprécier le critère de ratio concernant l’actif brut de la société bénéficiaire (dont la valeur vénale doit être composée, selon le texte de loi, au minimum de 50% de participations dans la société soumises à engagements de conservation), qu’il soit tenu compte de l’intégralité des participations de la holding dans la société cible, y compris celles ne faisant pas l’objet d’engagements de conservation.
Par tolérance, l’administration fiscale admet par ailleurs désormais que le ou les donateurs puissent détenir plus de 25% du capital et des droits de vote dans la holding à condition que plus de 50% du capital et des droits de vote soient détenus par les bénéficiaires de l’exonération partielle.
L’administration fiscale confirme tout d’abord que les activités de construction-vente d’immeubles ou de marchand de biens doivent être reconnues comme éligibles.
Enfin il est précisé que si une société exerce plusieurs activités opérationnelles, il est tenu compte de l’ensemble de ces activités pour l’appréciation du caractère éligible de la société.
Il est ainsi supprimé la mention selon laquelle l’activité nouvelle devrait être exercée immédiatement après ou concomitamment avec l’ancienne, ce qui est plus réaliste mais devra être sérieusement anticipé.
S’agissant des holdings animatrice, l’administration maintien les critères issus de l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 14 octobre 2020 qui permettent d’apprécier le caractère prépondérant de l’activité d’animation, en supprimant néanmoins la mention selon laquelle ces critères doivent être respectés « au jour du fait générateur de l’imposition ».
Il parait clair que, pour l’administration fiscale, l’activité d’animation doit être exercée de façon continue jusqu’au terme des engagements individuels de conservation, ce qui est conforme à l’esprit du texte et était fortement recommandé par les praticiens
Après de long moins d’incertitude, le dispositif Dutreil-transmission nous parait maintenant mieux balisé. Cependant il ne faut pas perdre de vue que, le jour même où Bercy publiait la mise à jour de sa doctrine, par une coïncidence particulièrement frappante, le Conseil d’Analyse Economique créé auprès du Premier ministre publiait une étude ambitieusement dénommée « Repenser l’héritage », particulièrement critique concernant le régime Dutreil.
Selon ce comité, le traitement privilégié dont bénéficient les transmissions d’entreprises, participe fortement à « la transmission des inégalités de patrimoine sans apporter de gains économiques significatifs ».
Sans même apprécier les bénéfices que ce dispositif permet de faire bénéficier à notre économie (contribuer à la pérennité des entreprises familiales et donc de l’emploi), celui-ci est décrié en raison du « coût » qu’il représente pour les finances publiques, estimé à 2 à 3 milliards d’euros par an.
Sont proposés notamment :
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la réduction du taux d’exonération partielle (de 75% à 50%),
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la suppression de l’exonération de droits de 50% en cas de donation en pleine-propriété avant 70 ans,
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le plafonnement de « l’utilisation des dispositifs Dutreil pour les très larges entreprises »,
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voire même « la suppression des exemptions Dutreil au profit de mécanismes de facilités de paiement » en renforçant les dispositifs d’étalement de l’impôt.[1].
Dans ces temps incertains pour l’avenir des transmissions d’entreprises, il nous parait donc que les entrepreneurs qui le peuvent seraient bien avisés de profiter du dispositif tel qu’on le connait à ce jour, en organisant sans trop attendre une transmission anticipée …