La juridiction judiciaire vient de rendre une décision relative à la perception des droits de mutation en cas de transmission (succession) en faveur d'un adopté simple. Cette décision est intéressante à un double titre : d'une part parce qu'elle rappelle que l'administration ne peut refuser le mode probatoire résultant uniquement de témoignages formalisés en attestations ou en certificats et, d'autre part parce que la preuve du caractère ininterrompu des soins et des secours ne souffre aucune ambiguïté.
Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il n'est pas tenu compte du lien de parenté résultant de l'adoption simple (Art. 786 du CGI). Il en résulte que dans les hypothèses où un adopté simple recueille la succession de l'adoptant, les droits de mutation par décès sont perçus au tarif prévu pour le lien de parenté naturelle existant entre eux ou, le cas échéant, au tarif applicable aux transmissions entre personnes non-parentes.
L'article 786 du CGI prévoit un certain nombre d'exceptions à ce principe. Il en est ainsi en cas de transmissions en faveur d'adoptés ayant reçu de l'adoptant des secours et des soins non interrompus pendant une durée minimale. Dans ce cas, les transmissions sont imposées selon le régime fiscal applicable aux transmissions en ligne directe.
Rappel des faits :
Mme C veuve Y est décédée laissant pour lui succéder en qualité d’unique héritier M. ZY son fils adoptif par adoption simple suivant un jugement rendu le 27 avril 2001 par le TGI de Clermont-Ferrand. Ce dernier a déposé une déclaration de succession en faisant application du tarif en ligne directe pour la liquidation des droits dus, estimant remplir les conditions d’application de l’article 786-3° du CGI dans le cadre de cette filiation par adoption simple.
L'administration a demandé à M. ZY de lui fournir des justificatifs sur les conditions d’application de l’article 786-3° du CGI. Il était également énoncé dans le courrier de l'administration que ces justificatifs devaient être fournis au moyen de documents écrits.
Estimant que les justificatifs demandés et les observations en retour n’étaient pas satisfaisants l'administration a redressé M. ZY.
Contestant le bien-fondé de cette rectification fiscale, M. ZY en a demandé le dégrèvement total puis faute de réponse de l'administration a saisi la juridiction judiciaire. Suivant jugement du 13 janvier 2020, le TJ de Clermont-Ferrand a rejeté la demande de M. ZY. M ZY a interjeté appel de la décision susmentionnée.
Le litige porte sur l’application du dispositif dérogatoire prévu à l’article 786-3° du CGI, permettant d’intégrer l’adoption simple au régime de la perception des droits de mutation à titre gratuit sous réserve d’apporter la preuve de secours et de soins non interrompus par l’adoptant pendant cinq ans au moins au cours de la minorité de l’adopté ou pendant dix ans au moins au cours de la minorité et de la majorité de l’adopté. À défaut, il n’est pas tenu compte du lien de parenté résultant de l’adoption simple et les droits de mutation par décès sont alors perçus au tarif prévu pour le lien de parenté naturelle existant entre l’adoptant et l’adopté ou au tarif applicable aux transmissions entre deux personnes qui ne sont pas parentes.
La Cour censure l'administration qui refusait de prendre en compte les attestations produites par M. ZY au motif que ce mode de preuve était irrecevable
En effet l'administration sur le fondement de la doctrine BOFIP BOI-ENR-DMTG-10-50-80, n°90 et de l’article R.202-2 du LPF estimait que les justificatifs demandés ne pouvaient provenir que de pièces écrites.
La Cour rappelle que tout un chacun est parfaitement libre de chercher à rapporter la preuve d’un grief allégué ou d’un droit invoqué par tout moyen légalement admissible, sans avoir donc à subir une quelconque restriction du champ probatoire au titre d’une forme de prérequis qui serait d’origine conventionnelle ou réglementaire.
La Cour censure l'administration pour avoir énoncer une position de principe qui viserait à refuser au fond le mode probatoire résultant uniquement de témoignages formalisés en attestations ou en certificats,se retranchant sans aucun fondement juridique sur un document de doctrine administrative dépourvu par définition de toute valeur normative et sur les dispositions précitées de l’article R.202-2 du LPF alors que la transmutation d’un témoignage en attestation écrite ou la production d’un certificat écrit a précisément pour objet d’adapter ce mode de preuve à la procédure écrite.
Pour autant, au cas particulier, la Cour estime que fait défaut la condition d’absence d’interruption pendant le délai légalement requis des secours et des soins allégués.
En l'espèce, M. ZY a pendant sa minorité momentanément quitté ses parents ainsi que sa région d’origine dans le département du Pas-de-Calais de 1968 à 1974, soit pendant quelque six années, pour venir s’installer, pour des raisons de santé liées à des crises d’asthme nécessitant des cures thermales, dans la commune de La Bourboule (Puy-de-Dôme).
Il a alors séjourné au domicile des époux Y, où il était accueilli par ces derniers, et suivi sa scolarité à La Bourboule pendant cette même période. L’adoption simple de M. ZY par les époux Y a été ultérieurement prononcée par un jugement du 27 avril 2001 du TGI de Clermont-Ferrand.
Toutefois les attestations produites révèlent aussi tout au long de ces six années des périodes d’interruption des soins et secours prodigués par les époux Y pendant chacune des périodes de vacances scolaires de Noël et de Pâques ainsi que des périodes de vacances estivales.
Pour la Cour ces interruptions ont bien pour conséquence juridique de *remettre en cause le caractère prétendument continu des soins et des secours* des époux Y au regard des dispositions précitées de l’article 786-3° du CGI
Durant ces périodes de vacances scolaires, il retournait régulièrement chez ses parents, ce qui établit d’autant plus, d’une part que *son séjour à La Bourboule n’était rendu nécessaire que pour des raisons de santé, et d’autre part que ses parents naturels maintenaient l’ensemble des liens nécessaires avec lui dès que cela était possible*. Le critère de prise en charge continue et principale durant les six années du séjour de M. Z-Y au domicile des époux Y à La Bourboule pendant sa minorité fait donc défaut. En tout état de cause, *ces périodes d’interruption mettent par ailleurs en évidence*, en dépit de l’éloignement géographique entre le département du Pas-de-Calais et celui du Puy-de-Dôme, *l’absence d’un délaissement particulier de ses parents biologiques* qui auraient amené ses parents ultérieurement adoptifs à se substituer à eux dans le cadre d’une prise en charge matérielle, affective et financière exercée de manière continue. M. Z-Y ne peut en conséquence affirmer que les époux Y se seraient substitués à ses parents biologiques pendant la période litigieuse.
La Cour a donc décidé que les conditions (caractère continu) de l'article 786-3° du CGI n'étaient pas remplies.