Le juge de l'impôt vient de se prononcer sur la déductibilité des charges liées à des opérations complexes de financement . La question centrale portait sur la capacité d’une société à déduire des honoraires d'avocats liés à un refinancement réalisé dans le cadre d’un leveraged buy-out (LBO).
Le principe fondamental régissant la détermination du résultat fiscal est posé par l'article 39 du CGI : le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, à la condition, notamment, que celles-ci soient exposées dans l'intérêt direct de l'exploitation. Toute dépense qui ne répond pas à ce critère est susceptible d'être qualifiée d'acte anormal de gestion, défini comme l'acte par lequel une entreprise s'appauvrit à des fins étrangères à son intérêt.
Le principe est donc que toute dépense réelle, nécessaire et directement liée à l’activité de l’entreprise peut être déduite.
Toutefois, l’administration fiscale peut contester cette déductibilité lorsqu’elle considère que la charge n’a pas été engagée dans l’intérêt direct de l’entreprise ou qu’elle manque de contrepartie économique.
En matière de contentieux, les règles de la charge de la preuve sont déterminantes. Il appartient au contribuable de justifier de la nature, de la réalité et du montant des charges qu'il inscrit en comptabilité. Une fois cette justification apportée, notamment par la production de factures régulières et d'écritures comptables, la charge de la preuve est renversée. Il incombe alors à l'administration, si elle entend contester la déduction, de démontrer que la dépense n'a pas été engagée dans l'intérêt de l'entreprise.
Rappel des faits :
La société Ti, anciennement dénommée T2i SAS, est la société mère du pôle français du groupe T. Elle exerce essentiellement une activité de prestations de services au profit des autres sociétés du groupe et est la tête du groupe d’intégration fiscale comprenant ses filiales françaises. En 2015, le groupe fait l’objet d’un LBO secondaire mené par le fonds C. Pour réaliser cette opération, une société luxembourgeoise, HN (devenue TI SA Luxembourg), est créée afin d’acquérir les titres de TI Expansion SA, alors société mère du groupe.
Dans ce contexte, HN a conclu, le 2 octobre 2015, une convention de prêt ("loan facility agreement") avec plusieurs banques pour un montant global de 180 M€, sous le nom de code "Project Archimede". Ce financement comprend deux tranches, dont une partie est utilisée par Tipour refinancer sa dette existante. Certaines dépenses juridiques liées à ce financement figurent dans les comptes de Ti sous forme de factures émises par les cabinets Clifford Chance et Ashurst.
À l’issue d’une vérification de comptabilité menée entre février et avril 2017, l’administration fiscale a remis en cause la déduction de deux factures du cabinet Clifford Chance d’un montant total hors taxes de 274 288 € et d’une facture du cabinet Ashurst de 20 000 € HT, toutes établies dans le cadre du montage financier "Archimede". L’administration estimait que ces dépenses n’étaient pas directement imputables à Ti mais plutôt à HN, qui était contractuellement tenue de supporter l’intégralité des frais liés au contrat de prêt.
Après avoir partiellement rejeté la réclamation préalable présentée par la société, l'administration fiscale a confirmé les redressements prononcés à l’encontre de Ti. Celle-ci a saisi le TAde Montreuil pour obtenir la décharge des rappels de TVA (32 040 €) et le rétablissement de son déficit reportable (294 200 €), en raison de la déduction litigieuse. Par jugement du 18 décembre 2023, le tribunal a rejeté l’ensemble des demandes.
La société a fait appel devant la CAA de Paris, soutenant notamment que le contrat de financement avait été conclu par HN en qualité de mandataire agissant pour le compte de Tractel International, et que, conformément à l’article 1999 du Code civil, le mandant devait rembourser les frais exposés par le mandataire. Elle a également insisté sur la réalité de la contrepartie économique de ces dépenses, indispensables à son propre refinancement.
La CAA de Paris vient de censurer l'analyse des premiers juges et de l'administration.
- Tout d'abord, la Cour a constaté que la société avait satisfait à son obligation de justification initiale.
Elle a produit des factures suffisamment détaillées, mentionnant explicitement un "Financement mis à disposition de T2i" (ancienne dénomination de Ti), ainsi que des extraits de ses comptes bancaires attestant de la réception effective d'une partie substantielle des fonds empruntés, à hauteur de 54 M€. Ces éléments étaient suffisants pour justifier de la réalité de la charge et de son lien apparent avec l'entreprise.
- Puis dans un second temps, la Cour a examiné les arguments de l'administration pour en contester la déductibilité.
L'administration se fondait quasi exclusivement sur une clause du contrat de prêt qui mettait les frais à la charge de la holding HN. La Cour a jugé cet argument insuffisant pour prouver que la dépense était étrangère à l'intérêt de Tractel International. Elle a relevé que l'administration ne contestait pas des faits déterminants soulevés par la société :
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- Ti avait elle-même la qualité d' "emprunteur original" dans la convention de prêt, aux côtés de la holding.
- Elle a été la bénéficiaire directe et effective d'une partie significative du financement (54 M€).
- Ces fonds ont été utilisés pour refinancer sa propre dette bancaire, une opération relevant manifestement d'une saine gestion.
De ces éléments, la Cour a déduit que l'administration ne démontrait pas l'absence de contrepartie ou d'intérêt pour Ti Au contraire, en bénéficiant directement du financement pour ses propres besoins opérationnels, la société avait un intérêt direct et certain à la réalisation de l'opération. Les frais d'avocat, nécessaires à la mise en place de ce financement, ont donc bien été engagés dans son intérêt.
La Cour a conclu que la société était fondée à demander la décharge des impositions et le rétablissement de son déficit.
Déduction des charges dans un schéma de financement de type LBO:
L’arrêt confirme que, même lorsque les contrats sont conclus par une entité tierce (comme une société ad hoc créée pour l’opération), les charges peuvent être déduites par une autre société du groupe si elles lui sont économiquement imputables.
La réalité des flux et l’utilité économique prime sur la seule structure juridique formelle.