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Remboursement de TVA aux assujettis hors UE : qualification des succursales et articulation des régimes procéduraux

Nouvelle décision sur les conditions de remboursement de la TVA supportée en France par un assujetti établi dans un autre État de l'Union Européenne (UE). L'arrêt, rendu sur renvoi du Conseil d'État, se prononce sur la procédure de remboursement applicable et sur la notion d'assujetti distinct lorsque les opérations sont réalisées par l'intermédiaire d'une succursale établie dans un État tiers (La Suisse au cas particulier) 

 

Le droit de l'UE et sa transposition dans notre droit interne prévoient deux régimes de remboursement distincts, dont les conditions d'accès sont mutuellement exclusives.

  • Le premier régime, dit de droit commun, codifié à l'article 271-IV du CGI s'adresse aux assujettis étrangers qui réalisent en France des opérations situées dans le champ d'application de la TVA française, ouvrant droit à déduction. Il peut s'agir d'opérations imposées ou d'opérations exonérées assimilées à des opérations taxables, telles que les exportations visées à l'article 262-I-1° du CGI. Ces entreprises doivent, en principe, s'identifier à la TVA en France et déposer des déclarations de chiffres d'affaires  CA3) sur lesquelles elles exercent leur droit à déduction et, le cas échéant, demandent le remboursement de leur crédit de TVA. La procédure est détaillée aux articles 242-0 A à 242-0 K de l'annexe II au CGI.
  • Le second régime, issu de la directive 2008/9/CE (dite "8ème directive"), est une procédure spécifique et dérogatoire. Transposée aux articles 242-0 M et suivants de l'annexe II au CGI, elle permet à un assujetti établi dans un autre État membre de l'UE d'obtenir le remboursement de la TVA française sans avoir à s'immatriculer en France. Cependant, son accès est strictement conditionné. L'article 242-0 O de l'annexe II au CGI dispose que durant la période de remboursement, l'assujetti ne doit avoir réalisé en France aucune livraison de biens ou prestation de services, à l'exception d'une liste limitative d'opérations (notamment des services de transport exonérés ou des opérations pour lesquelles la taxe est autoliquidée par le preneur).

L'articulation de ces deux régimes est trés importante : un assujetti non établi qui réalise en France une opération taxable non comprise dans la liste d'exceptions de l'article 242-0 O est exclu du bénéfice de la procédure "8ème directive" et doit obligatoirement recourir à la procédure de droit commun.

 

Rappel des faits :

En l'espèce, la société EILP, dont le siège est au Royaume-Uni, a acquis, au cours de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018, des produits hydrauliques auprès d'une société française, la SAS E. Ces achats étaient réalisés par l'intermédiaire de sa succursale établie en Suisse. Les biens étaient ensuite revendus et livrés soit à des clients français, soit à des clients situés hors de l'UE. La société EILP a supporté un montant significatif de TVA française sur ces achats et en a sollicité le remboursement auprès de l'administration fiscale. En pratique, elle s'est vue facturer par la SAS E un montant total de TVA de 3 569 020€ au titre de cette période, générant un crédit de taxe déductible dont elle sollicitait le remboursement pour un montant de 2 332 142 €.

La société EILP a initialement présenté sa demande de remboursement selon les modalités prévues aux articles 242-0 M et s de l'annexe II au CGI, correspondant au régime européen de remboursement. L'administration fiscale avait opposé un refus à cette demande, conduisant la société à saisir le tribunal administratif de Montreuil.

Le tribunal administratif avait rejeté la demande au motif que les réclamations préalables étaient irrecevables, considérant que la société ne remplissait pas les conditions du régime européen de remboursement. Cette décision a été confirmée par un premier arrêt de la CAA de Paris du 23 mars 2022.

Le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi en cassation, a annulé cet arrêt par une décision du 13 février 2024 et renvoyé l'affaire devant la Cour administrative d'appel.

 

Devant la cour de renvoi, la société EILP soutenait qu'elle avait réalisé des exportations depuis la France. Ces opérations, bien qu'exonérées en vertu de l'article 262 du CGI, sont réputées localisées en France (article 258 du CGI) et ouvrent droit à déduction. Or, les exportations ne figurant pas dans la liste exhaustive des exceptions de l'article 242-0 O de l'annexe II au CGI, la société affirmait être légitimement exclue de la procédure "8ème directive" et donc tenue de suivre la procédure de droit commun. Elle ajoutait que sa succursale suisse n'était qu'un support administratif, sans autonomie ni prise de risque économique, et ne pouvait donc être considérée comme un assujetti distinct.

 

La CAA de Paris vient d'annuler le jugement du tribunal administratif et d'accorder le remboursement à la société EILP

 

S'agissant du régime procédural de remboursement applicable

La Cour a constaté que la société EILP avait  réalisé deux types d'opérations distinctes :

  • des ventes à des clients français pour lesquelles la TVA était autoliquidée par le preneur (opération visée par l'exception du b du 2° de l'article 242-0 O-2°-b)
  • des livraisons (Exportations) à des clients situés hors UE

La Cour a qualifié ces dernières opérations d'exportations dont le lieu de livraison est réputé se situer en France en application de l'article 258 du CGI. Dès lors, et c'est le cœur du raisonnement, ces exportations ne faisant pas partie de la liste limitative des opérations autorisées par l'article 242-0 O de l'annexe II au CGI pour bénéficier de la procédure "8ème directive", la société était bien tenue de suivre la procédure de droit commun des articles 242-0 A à 242-0 K. Le motif d'irrecevabilité retenu par les premiers juges est donc écarté.

 

S'agissant du droit à déduction

La Cour s'est penchée sur le fond du droit et a examiné si EILP était bien la titulaire du droit à déduction.

Cette question passait par la détermination du statut de la succursale suisse. Le ministre soutenait que cette dernière était un assujetti distinct. La Cour, se fondant sur une analyse factuelle, a rejetté cette argumentation. Elle relève que l'administration n'apportait pas la preuve que la succursale exerçait, durant la période en litige, une activité économique indépendante en supportant le risque économique qui en découle. Les éléments produits par l'administration étaient soit postérieurs à la période d'imposition, soit sans rapport avec les opérations litigieuses.

La Cour a également écarté l'argument tiré de l'utilisation du numéro de TVA britannique sur les documents d'exportation, considérant que cette circonstance ne démontrait pas l'autonomie de la succursale. Au contraire, elle a estimé que le numéro de TVA français utilisé sur les factures correspondait bien à celui attribué à la société britannique.

 

8. En second lieu, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient qu'en tout état de cause, les réclamations préalables présentées par la société Eaton Industries LP et tendant au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée en litige étaient irrecevables dès lors qu'elles n'avaient pas été présentées par l'assujetti bénéficiant du droit à déduction.

9. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que la SAS Eaton a facturé la taxe sur la valeur ajoutée en litige à la société Eaton Industries LP, à une adresse située à Morges en Suisse, correspondant à une succursale de cette société, inscrite comme telle au registre du commerce du canton de Vaud le 11 avril 2006. Si le ministre soutient que cette succursale constituait un assujetti distinct de la société requérante, il se prévaut de deux contrats de distribution respectivement conclus par cette succursale les 9 mars 2019 et 4 juin 2019 avec les SAS Hydrokit et ACE et d'un bon de commande à la succursale établi le 17 septembre 2019 par la SAS Pfeiffer Vacuum, documents tous postérieurs à la période en litige, et d'un ordre de vente de biens par la succursale à une société sud-africaine du 27 octobre 2017, étranger aux opérations à raison desquelles la taxe en litige a été supportée, ainsi que des conséquences qu'en tirent la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable adressées à la société Eaton Industries LP les 9 juillet 2020 et 7 janvier 2021. Il ne résulte pas de l'instruction qu'au cours de la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018, la succursale suisse de la société Eaton Industries LP aurait effectivement exercé une activité économique indépendante, notamment en supportant le risque économique découlant de son activité.

10. D'autre part, s'il résulte de l'instruction, et notamment de la déclaration d'inscription souscrite le 25 novembre 2015 par la société Eaton Industries LP auprès de la direction des résidents à l'étranger et des services généraux, qu'ainsi que le fait valoir le ministre, le numéro GB875256101 mentionné sur les documents d'exportation versés au dossier correspond au numéro britannique de taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire attribué à la société requérante et non, comme elle le soutient, au numéro unique d'identifiant communautaire qu'elle utilise pour accomplir les formalités douanières, cette circonstance n'est pas de nature à établir que les opérations d'achat de produits hydrauliques auprès de la SAS Eaton ont été réalisées par sa succursale en qualité d'assujetti distinct.

 

Par conséquent, la Cour en a conclu que la succursale n'était pas un assujetti distinct de son siège britannique. C'est donc bien la société EILP qui a supporté la TVA déductible et qui était en droit d'en demander le remboursement.

 

Soulignons que la Cour a écarté l'argument de l'administration concernant la mention erronée d'une exonération sur certaines factures, considérant qu'il s'agissait d'une simple erreur matérielle n'affectant pas le fait que la TVA était légalement due, facturée et payée sur des opérations bien réelles et taxables.

 

TL;DR

  • Le régime européen de remboursement ne s'applique qu'aux assujettis respectant strictement les conditions d'activité prévues à l'article 242-0 O, les autres situations relevant du droit commun.
  • Reconnaissance d'un établissement stable en matière de TVA. La simple existence d'une succursale, même dans un État tiers, ne suffit pas à en faire un assujetti distinct. Il incombe à l'administration fiscale de démontrer, par des éléments concrets et contemporains des faits, que l'entité dispose d'une autonomie fonctionnelle et qu'elle supporte le risque économique lié à son activité. 

Publié le mardi 17 juin 2025 par La rédaction

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