L’OCDE, un moteur pour l’UE dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ?

02/09/2015 Par Bénédicte Peyrol
23 min de lecture

 

 

La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale a servi de justification à l’OCDE pour revisiter les standards internationaux en matière de fiscalité et en créer de nouveaux afin que les Etats adaptent de leurs règles fiscales à l’économie du XXIème siècle.

 

II. L’OCDE, un moteur pour l’UE dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ?

L’Union européenne a saisi l’opportunité de ces travaux pour faire de la fiscalité une priorité comme le prouve le programme de travail pour 2015 de la Commission -« Un nouvel élan » - affirmant que « Tout en reconnaissant la compétence des États membres pour ce qui est de leurs systèmes fiscaux, la Commission redoublera d’efforts pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales et répondre au besoin d’équité et de transparence fiscale exprimé par la société. Sur la base des travaux de l’OCDE et du G20 concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, la Commission présentera un plan d’action comprenant des mesures à adopter au niveau de l’UE pour passer à un système selon lequel le pays où les bénéfices sont réalisés est également le pays d’imposition, y compris dans le domaine de l’économie numérique, ce qui nécessite un accord sur une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés. Dans ce contexte, la Commission présentera aussi très rapidement une proposition relative à l’échange automatique d’informations entre les autorités fiscales en matière de rulings fiscaux transfrontières ».[1]

Si nous naviguions auparavant d’illusions en désillusions quant à la volonté de l’UE d’avancer sur le terrain fiscal, l’optimisme nous gagne au regard des derniers engagements pris par les institutions de l’UE. La mise en oeuvre du plan d’action BEPS ouvrira sûrement une nouvelle ère dans ce domaine. Deux exemples phares de la mise en oeuvre du plan d’action BEPS par l’UE permettront d’illustrer ces propos.

D’abord, la prudence de la commission européenne vis-à-vis de la déclaration pays par pays (action 13) est rattrapée par l’ambition du parlement européen en la matière (I). Ensuite, les travaux conduits dans le cadre de l’action 5 devraient être largement repris par le groupe du code de conduite (GCC) en ce qui concerne l’appréciation de la substance dans les régimes préférentiels de propriété intellectuelle (PI) ou patent boxes et en matière d’échange automatique des décisions fiscales anticipées (rulings), la Commission a fait une proposition législative en mars dernier.

A. Le CbCr européen: de la prudence de la commission européenne à l’ambition du parlement européen

La déclaration pays par pays prévue par l’action 13 du plan d’action BEPS prévoit que pour les groupes dont le chiffre d’affaire consolidé excède 750 millions d’euros, la société mère devra souscrire une déclaration pays-par-pays dans l’Etat où elle est implantée.

Cette déclaration fera l’objet d’un échange automatique avec les différentes administrations fiscales étrangères par le biais des dispositifs conventionnels. Parmi les informations transmises, on retrouvera l’ensemble des filiales, leur lieu d’implantation, le montant des bénéfices réalisés et impôts payés dans chaque pays. La garantie de la confidentialité des données au sein des administrations fiscales a été une condition sine qua non pour que les Etats tombent d’accord.

C’est un mécanisme qui n’est pas nouveau au sein de l’UE : celle-ci a mis en place des dispositifs similaires dans le secteur financier.[2] et dans les industries extractives.[3]. D’ailleurs, la généralisation de ces dispositifs a déjà fait l’objet de discussions et fait débat. Ces derniers dispositifs visent un objectif de publicité des informations financières et fiscales relatives aux entités des groupes dans les différents pays.Au contraire, le CbCr tel que prévu par l’OCDE ne rejoint pas cet objectif de publicité. Dans sa version OCDE, le CbCr doit être utilisé uniquement à des fins d’évaluation du risque fiscal en matière de prix de transfert.

Dans sa communication du 18 juin 2015, la Commission européenne est très prudente quant à la mise en place d’une déclaration pays par pays. Elle ne propose pas d’adopter un tel dispositif ; elle a seulement lancé une consultation publique pour connaître la position des parties prenantes avant d’agir.

La Commission européenne souligne notamment « le risque que des informations commerciales sensibles soient publiées, ce qui pourrait porter préjudice aux entreprises, surtout si leurs concurrents établis en dehors de l’Union ne leur emboîtent pas le pas ».

Face à une Commission européenne prudente, le Parlement européen préconise une déclaration pays par paysEn effet, d’une part, les députés européens ont voté le 8 juillet 2015 une résolution non contraignante en vue de la conférence des Nations Unies sur le financement du développement des 13- 16 juillet à Addis Ababa dans laquelle ils demandaient aux institutions financières de l’UE d’assurer que les entreprises bénéficiant d’un soutien de l’UE ne "participent " pas à l’évasion fiscale et ils ont invité « l’UE et ses États membres à appliquer le principe selon lequel les entreprises multinationales cotées et non cotées en bourse dans tous les pays et secteurs, en particulier les sociétés d’extraction de ressources naturelles, doivent adopter un régime de déclaration pays par pays comme norme. Cela les oblige à publier dans le cadre de leur rapport annuel, sur une base pays par pays pour chaque territoire dans lequel elles opèrent, les noms de toutes les filiales, leurs performances financières, les informations fiscales pertinentes, les actifs et le nombre d’employés, et de veiller à ce que cette information soit accessible au public».

D’autre part, les députés ont voté le même jour un amendement à la proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant la directive 2007/36/CE sur le droit des actionnaires.[4]Cet amendement vise à renforcer la transparence et à encourager l’engagement à long terme des actionnaires envers les entreprisesen particulier est introduite l’obligation pour les grandes entreprises de publier un rapport par pays contenant les informations relatives aux recettes ou pertes avant impôt, aux impôts payés sur les bénéfices ou les pertes, et aux subventions publiques reçues. Les entités d’intérêt public, comme les entreprises cotées en bourse et les compagnies d’assurance, ainsi que les entreprises désignées par les États membres comme des entités d’intérêt public en raison de leur importance publique significative, devraient aussi respecter cette exigence, estiment les députés.

Le Parlement européen n’attendra donc pas la Commission européenne sur la question du CbCr.Il faut noter qu’il va plus loin que ce requiert les travaux BEPS puisque les députés demandent à ce que les informations obtenues dans le cadre de cette déclaration soient publiées. Or, l’action 13 du plan d’action BEPS de l’OCDE ne prévoit pas une telle publicité et comme il a déjà été mentionné, la confidentialité était la condition pour qu’il y ait un accord entre les Etats qui ont participé aux travaux de l’OCDE.

La déclaration pays par pays, grâce à la volonté politique du Parlement européen est en bonne marche pour être adoptée au niveau de l’Union européenne. Il faudra voir par la suite si l’UE reprendra le modèle de déclaration tel que prévu par les travaux de l’OCDE, sa position quant à l’échange automatique et l’abandon ou non de la publicité. Sur ce dernier point, l’auteur de ces lignes partage l’inquiétude de la commission européenne : la confidentialité devrait être la règle pour préserver les intérêts de nos entreprises françaises et l’utilisation des informations doit être absolument limité à l’évaluation des risques fiscaux en matière de prix de transfert.  Au coeur de cet objectif de transparence, on retrouve dans les travaux de l’OCDE, à côté de la déclaration pays par pays, l’échange automatique des déclarations fiscales anticipées (rulings) qui a poussé l’UE – bousculée par l’affaire Luxleaks – à adopter le paquet transparence fiscale. Et la question de la substance n’est pas en reste…​

B. La transparence et la substance : du forum des pratiques fiscales dommageables au Code de conduite européen

Le plan d’action BEPS souligne que « les régimes préférentiels restent un domaine à haut risque ». Aussi, il indique que le rapport relatif à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices souhaite que soient formulées des propositions visant à élaborer « des solutions permettant de lutter plus efficacement contre les régimes dommageables, en prenant également en compte des facteurs tels que la transparence et la substance ».

Pour atteindre cet objectif, le plan d’action BEPS prévoit que « les travaux du Forum sur les pratiques fiscales dommageables seront recadrés en vue d’élaborer des solutions plus efficaces ».

C’est dans ce contexte que les travaux relatifs à l’action 5 du plan d’action BEPS ont été confiés au forum sur les pratiques fiscales dommageables (FHTP) qui a été créé suite à la publication par l’OCDE du rapport "Concurrence fiscale dommageable - Un problème mondial" en 1998. Les travaux de l’OCDE concernent les pratiques fiscales dommageables existantes dans les pays membres, les paradis fiscaux et la participation des économies non membres.

L’objectif des travaux de l’OCDE dans le domaine des pratiques fiscales dommageables est d’assurer l’intégrité des systèmes fiscaux en traitant les problèmes posés par les régimes appliqués aux activités mobiles qui réduisent de façon inéquitable les bases d’imposition d’autres pays et qui peuvent fausser la localisation du capital et des services.

Dans le cadre des travaux BEPS, le FHTP s’est concentré notamment sur deux régimes en particulier : le régime des décisions fiscales anticipées (rulings) (1) et les régimes préférentiels de brevet (patent boxes) (2).

Il ne nous aura pas échappé que les travaux du FHTP et ceux du Code de conduite se recoupent et s’influencent respectivement.

  • 1.  L’UE, jauge du « level playing field » international (expression de l’OCDE) en matière d' échange obligatoire de rulings ?

Dans le cadre de la refonte des travaux du FHTP, le plan d’action BEPS a indiqué que l’amélioration de la transparence devait être une priorité, notamment par l’échange spontanée et obligatoire des décisions relatives aux régimes préférentiels.

Avec les rulings, un Etat peut prendre une décision fiscale au bénéfice d’une entreprise qui peut avoir un caractère transfrontalier et par conséquent avoir une incidence sur l’assiette fiscale d’un autre Etat. L’échange automatique et obligatoire des déclarations fiscales anticipées devrait limiter le comportement abusif de certaines entreprises qui jouaient jusqu’à présent avec ce manque de transparence pour réduire artificiellement leur base d’imposition dans certains pays.

L’OCDE a donc cherché à mettre au point un cadre d’échange spontané obligatoire de renseignements sur ce type de décisions. Dans le rapport intermédiaire relatif à l’action 5, publié en septembre 2014, l’OCDE affirme qu’elle a cherché à trouver un équilibre entre les deux objectifs suivants : s’assurer que les renseignements échangés sont pertinents pour d’autres administrations fiscales et que l’échange n’impose pas une charge administrative trop lourde au pays qui envoie ou à celui qui reçoit les renseignements.

On notera que même si dans le rapport intermédiaire de l’OCDE relatif à l’action 5, la définition des rulings est large puisqu’il s’agit de « tous avis ou renseignements donnés ou toutes mesures prises à l’égard d’un contribuable ou d’un groupe de contribuables par une autorité fiscale concernant leur situation fiscale et sur lesquels ils sont en droit de s’appuyer » (ce qui couvre les rescrits fiscaux), il n’en demeure pas moins que tous les rulings fiscaux ne doivent pas être échangés spontanément. Le rapport de 2014 visait uniquement les rulings, y compris les accords préalables de prix de transfert, liés à un régime préférentiel. Toutefois, à la demande des Dirigeants du G20, à Brisbane les 5 et 6 novembre 2014, et en réaction aux révélations Luxleaks, le FHTP a reçu le mandat d’élargir ce champ aux rulings constitutifs d’une pratique fiscale dommageable.

Pour l’UE, la question des rulings n’est pas nouvelle. Comme le souligne E. Raingeard de la Blétière dansune chronique de droit de l’UE dans la revue de droit fiscal.[5], le Groupe Code de conduite (GCC) a d’ailleurs publié plusieurs lignes directrices pour qu’il y ait plus de transparence dans ce domaine depuis 2010.[6]On pourrait blâmer l’UE en arguant de son attentisme : il aura fallu attendre mars 2015, après l’affaire Luxleaks et les propositions de l’OCDE pour qu’une proposition de directive soit mise sur la table mais ce serait oublier la directive sur l’assistance mutuelle en matière d’échange d’informations qui avait vocation à s’appliquer aux rulings. Cependant, elle laissait une marge d’interprétation trop large pour les Etats qui conduisait à retirer à cette obligation une partie de sa force contraignante.[7].

Ainsi, dans son paquet de mesures sur la transparence annoncé en mars dernier dans le cadre de la lutte contre la l’évasion fiscale des entreprises et la concurrence fiscale dommageable au sein de l’UE, la Commission européenne a proposé d’introduire l’échange automatique d’informations entre les Etats membres en ce qui concerne les rulings. Cette dernière directive porte sur un champ plus large que celui du FHTP puisque tous les rulings transfrontaliers sont visés.

Le 19 juin 2015, les ministres des Finances de l’UE, se sont réunis à Luxembourg dans le cadre d’un Conseil ECOFIN et une discussion s’est tenue sur le projet législatif visant à introduire un échange automatique d’informations en matière de rulings. Le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, a indiqué qu’il espérait un accord d’ici fin 2015 « mais cela ne dépend pas que de nous ».[8]…​

Les discussions ont porté sur les délais de mise en œuvre d’un tel échange automatique d’informations (la Commission vise une mise en œuvre dès 2016), la question de la rétroactivité de la transparence sur ces rulings, que la Commission souhaite établir à dix années pour les décisions fiscales anticipées encore en vigueur et sur la définition du champ d’application du texte. Finalement, les Etats s’inquiètent de la confidentialité des données qui seront échangées.

Ainsi, les discussions au niveau de l’UE avancent même si nous ne savons pas encore véritablement quelle sera l’ampleur de l’engagement prisAu premier plan, l’UE semble plus ambitieuse que l’OCDE dans ce domaine et comme le souligne Patrick Michaud«pour l’Union européenne, le principal enjeu fiscal actuel est ainsi de défendre le modèle européen de bonne gouvernance fiscale, dans le cadre de l’OCDE et du projet BEPS notamment. Ceci vaut en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Ceci vaut également en matière de décisions anticipées (…​) notamment, un démantèlement unilatéral des décisions anticipées et une trop grande transparence pourraient porter atteinte à la sécurité fiscale et à la compétitivité des entreprises européennes, puis aux finances publiques des Etats membres que ces entreprises finiraient pas quitter. ».[9]ce qui rejoint le discours du ministre luxembourgeois rappelant que l’objectif dans les discussions à l’OCDE était de parvenir à un "level playing field" et que si l’UE avait un rôle de pionnier en matière d’échange automatique d’informations sur les rulings, il importait que les autres Etats suivent.

  • 2. L’exigence d’une activité substantielle dans les régimes préférentiels de biens incorporels : une approche commune au sein du FHTP et du Code de conduite européen

Le rapport intermédiaire de septembre 2014 sur la lutte contre les pratiques fiscales dommageables insiste sur l’importance, dans les travaux du FHTP, des régimes qui accordent une préférence fiscale aux revenus tirés de la propriété intellectuelle (PI) qui suscitent de fortes inquiétudes à propos de l’érosion de la base d’imposition.

En effet, ces régimes peuvent être à l’origine d’une concurrence fiscale dommageable dans la mesure où les entreprises seront tentées de localiser leurs droits de PI dans un autre pays que celui où se déroulent effectivement leurs activités de recherche et développement pour que les revenus générés par cette PI soient imposés à un taux favorable.

Le rapport proposait trois méthodes différentes pour analyser la présence d’activités substantielles dans un régime de propriété intellectuelle (méthode qui se réfère à la création de valeur, méthode de prix de transfert et l’approche du lien dite approche nexus). Aucune des méthodes n’a pu faire consensus.

Du côté du Groupe Code de conduite (GCC), les travaux relatifs aux régimes préférentiels de PI se sont intensifiés depuis ces trois dernières années. Dans le cadre de l’examen de certains régimes de PI, le GCC a rencontré des difficultés d’interprétation du Code en 2013 et plus particulièrement sur le critère de substance économique (critère n°3 du Code de conduite). En conséquence, le GCC ne pouvait pas donner de point de vue final sur le projet d’évaluation de certains de ces régimes.

Le GCC a donc souhaité obtenir un mandat du Conseil ECOFIN pour analyser de manière cohérente les régimes préférentiels de PI en cause et discuter de l’approche à adopter pour apprécier la substance de l’activité de la société qui bénéficie des avantages.

De ces discussions autour de l’appréciation de l’activité substantielle de l’entreprise, il résulte que c’est l’approche « nexus », reprise dans une proposition de compromis conjointe entre l’Allemagne et le Royaume Uni, qui a été adoptée. Ces derniers étaient en opposition : l’Allemagne rejetait totalement l’existence de régimes préférentiels de PI alors que le Royaume-Uni était beaucoup plus ouvert et soutenait une approche fondée sur les prix de transfert. L’approche nexus repose sur l’exigence d’un lien entre le bénéfice d’un avantage fiscal en la matière et la réalisation de dépenses de recherche par la même entreprise, qui a été adoptée. Il s’agit d’une version atténuée de l’approche du lien telle que proposée dans le rapport OCDE de septembre 2014 puisque les coûts d’acquisitions et de sous-traitance entre parties liées, initialement totalement exclus, pourraient majorer à hauteur de 30 % au plus le total des dépenses éligibles, ce qui permet une flexibilité dans l’organisation des groupes.

Le GCC a endossé cette approche « nexus » liant l’attribution des avantages fiscaux à la réalisation d’activités de recherche effective à la fin de l’année 2014 et cette approche a été validée également par l’OCDE.

Dans ce domaine, les deux organisations ont eu une influence positive l’une sur l’autre et elles ont travaillé en parallèle. Dans son plan d’action publié en juin dernier, la Commission donne des précisions quant à l’adoption de l’approche nexus au niveau de l’UE. Elle commence par confirmer l’adoption de cette approche par la GCC et elle indique qu' « elle continuera à fournir aux Etats membres des orientations sur les modalités de mise en œuvre des régimes fiscaux en question conformément à la nouvelle approche afin de veiller à ce qu’ils ne constituent pas une pratique fiscale dommageable, et elle suivra attentivement cette mise en œuvre. Si, après 12 mois, la Commission estime que les États membres n’appliquent pas cette nouvelle approche de manière cohérente, elle proposera des mesures législatives contraignantes pour assurer sa bonne mise en œuvre ».

On comprend que dans un premier temps, la Commission européenne laissera les Etats qui ont de tels régimes préférentiels, les adapter selon les positions du FHTP et du Code de conduite. Si les Etats n’agissent pas, ils risquent de voir leur régime qualifier de dommageable quand il sera examiné. De plus, la Commission utilisera des instruments juridiquement plus contraignants tels que le règlement ou la directive.

Certaines Etats membres ont déjà adopté l’approche nexus comme l’Italie et le gouvernement espagnol vient de faire une proposition dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 dans lequel on retrouve un amendement à son régime de « patent box » qui vise à mettre en oeuvre l’approche nexus.

Quant au régime préférentiel pour les brevets français que l’on retrouve à l’article 39 terdecies, on peut se demander s’il s’agit vraiment d’une « patent box » et par conséquent, si celui-ci devrait suivre l’approche nexus…​

Finalement, l’OCDE et l’UE se sont lancées dans la course à l’armement anti-BEPS et l’action de l’une enrichit ou force l’action de l’autre. Dans sa dernière communication du 17 juin 2015 à ce sujet, l’UE est très entreprenante et l’idée d’une mise en concurrence avec l’OCDE a pu resurgir.

En effet, au-delà des actions mentionnées ci-dessus, elle a décidé de relancer sa proposition relative à une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS)Pour la Commission européenne, il s’agit de la meilleure solution pour lutter contre l’évasion fiscale. Les discussions autour d’ACCIS ont commencé en 2001 sans que les Etats ne parviennent à s’entendre à ce sujet depuis lors. La Commission propose un processus en plusieurs étapes : « les Etats pourront dans un premier temps, progresser plus rapidement sur la mise en place de l’assiette commune pour l’impôt. La consolidation sera introduite quant à elle que dans un second temps, étant donné que cet élément a été jusqu’ici la pierre d’achoppements des négociations».

Le principe de l’ACCIS rejoint la méthode de partage des bénéfices dans le domaine des prix de transfert. Aujourd’hui, cette méthode ne fait pas l’unanimité entre les Etats ; pour certains, le principe de pleine concurrence est un principe intouchable et la position de l’OCDE à son endroit n’est pas affirmée clairement. D’ailleurs, nous ne sommes pas certains que les rapports BEPS relatifs aux travaux sur les prix de transfert soient clairs à ce sujet.

Serait-ce un signal de l’UE concernant la voie à suivre en indiquant la reprise des travaux à ce sujet ?

Pour conclurece serait une litote que d’affirmer que l’UE a froissé l’OCDE.[10] en publiant une liste noire des paradis fiscaux dans le plan d’action de juin dernier. Il s’agit d’une liste paneuropéenne des pays tiers et territoires qui sont inscrits dans des listes noires de chacun des Etats membres. En réponse à cette publication, le directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, Pascal Saint-Amans, a affirmé qu’« Il ne peut s’agir d’une véritable liste car cela minerait les efforts et le travail de transparence entrepris par de nombreuses juridictions » et « s’il doit y avoir une liste noire, il faut qu’elle soit établie sur la base de critères objectifs, poursuit M. Saint-Amans. C’est d’ailleurs ce que nous dirons au prochain sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du G20, en novembre ».[11]. Dans la dernière phase des travaux BEPS, peut-être s’agit-il d’un rappel de l’indépendance de l’UE vis-à-vis de l’OCDE voire même d’un cri de l’UE pour affirmer qu’elle défendra le modèle européen dans ce domaine.

 


1. Programme de travail de la Commission pour 2015, « Un nouvel élan », http://ec.europa.eu/atwork/pdf/cwp_2015_fr.pdf
2. directive sur les exigences de fonds propres IV (CRD IV) (IP/14/1229)
3. directive comptable (IP/11/1238, MEMO/13/540)
4. Amendements du Parlement européen, adoptés le 8 juillet 2015, à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires, et la directive 2013/34/UE en ce qui concerne certains éléments de la déclaration sur la gouvernance d’entreprise (COM(2014)0213 – C7- 0147/2014 – 2014/0121(COD)
5. E. Raingeard de la Blétière, Droit de l’Union européenne : chronique de l’année 2010 : Dr. Fisc, n°9, 234
6. Cons. UE, Rapp. Groupe 16766/10, 22 nov 2010, FISC 139, pt 19 et pt 21
7. E. Raingeard de la Blétière, Droit de l’Union européenne : chronique de l’année 2010 : Dr. Fisc, n°9, 234
8. Conseil ECOFIN – Alors que le vote s’annonçait difficile, les ministres des Finances de l’UE marquent un accord politique de principe sur la proposition de règlement visant à réformer la structure des banques, http://www.europaforum.public.lu/fr/actualites/2015/06/conseil-ecofin/index.html
9. Patrick Michaud, Le rôle de l’OCDE dans l’encadrement des décisions anticipées en matière fiscale, Dr. Fisc, n°27, 448
11. La « liste Moscovici » fait grincer des dents, Le Monde du 18 juin 2015, Anne Michel

Chronique de Bénédicte Peyrol du 2 septembre 2015