La juridiction administrative nous rappelle que même s'il n'est, en pratique, pas évident pour les contribuables qui détiennent depuis longtemps des participations dans une société, de reconstituer l'historique des résultats et des revenus distribués, il n'en demeure pas moins que pour corriger le prix de revient des parts en application de la jurisprudence "Quemener" il convient de retenir les résultats réalisés par la société depuis la date d'acquisition des parts.
Pour mémoire, dans un arrêt du 16 février 2000 (SA Ets Quemener), le Conseil d'État a prévu des modalités particulières de calcul des plus ou moins-values de cession de parts de sociétés de personnes et groupements assimilés qui reposent sur un mécanisme de correction du prix de revient de ces parts, mécanisme qui permet d'assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale, compte tenu du régime spécifique de ces sociétés et groupements. Cet arrêt ne concernait que les plus ou moins-values réalisées par des associés professionnels (personnes morales, entrepreneurs individuels ou personnes physiques exerçant une activité professionnelle au sein de la société).
Dans un même souci de neutralité fiscale, la Haute Juridiction a appliqué ce mécanisme correcteur à la valeur d'acquisition des parts de sociétés de personnes à prépondérance immobilière (SCI), pour le calcul des plus-values taxables (CE du 9 mars 2005, n° 248825, min. c/Baradé).
Dans le cadre d'un rescrit (RES n°2007/54 du 11 décembre 2007 repris au Bofip-Impôts au BOI-BIC-PVMV-40-30-20 n°90) l'administration fiscale a étendu ce mécanisme correcteur pour le calcul de la plus ou moins-value dégagée à l'occasion d'une opération emportant la dissolution sans liquidation (TUP) d'une SCI suite à la réévaluation libre de ses actifs immobiliers.
Dans l'affaire Lupa (Arrêt du Conseil d'Etat du 6 juillet 2016, n°377904), le Conseil d’Etat a considéré que la jurisprudence Quémener ne devait être appliquée qu’en cas de double imposition effective au niveau de l’associé des SCI, présent au jour de la dissolution de celles-ci. Puis, moins de trois ans plus tard la haute juridiction est revenue sur la jurisprudence «Lupa» rétablissant le correctif «Quemener» dans l’hypothèse d’une TUP.
Enfin, la Cour administrative d’Appel de Bordeaux a rappelé en 2020 que la Jurisprudence Quemener ne s’appliquait pas dans le cadre d’une plus-value de cession de parts relevant de l’impôt sur les sociétés.
Rappel des faits
L'EARL C, qui est spécialisée dans les grandes cultures a été créée le 24 avril 1999 entre M. B.C et son épouse, Mme DC lesquels détenaient respectivement 59% et 41% du capital social, alors fixé à la somme de 560 200 €. Le 16 juillet 2012, ils ont cédé la totalité de leurs parts sociales à leur fils, EC, moyennant paiement d'une somme de 1 313 500 €. Les époux C ont alors procédé au calcul de la plus-value de cession, en déduisant de ce prix de vente de 1 313 500 € la valeur d'origine des parts, soit, au terme de leur première analyse, 560 200 €, ainsi que le résultat fiscal du dernier exercice avant cession, c'est-à-dire celui clos le 30 juin 2012, soit 263 657 €. Ils ont ainsi abouti à une plus-value taxable de 489 643 €. M. C a placé sa quote-part de plus-value 286 953 € sous le régime d'exonération de l'article 151 septies A du CGIet Mme C associée non exploitante, a porté sur la déclaration de revenus, une plus-value privée s'élevant à 200 420 €, qui a été soumise à l'impôt sur le revenu au taux forfaitaire de 24%, ainsi qu'aux prélèvements sociaux.
A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration a remis en cause les calculs effectués par les époux C considérant que la plus-value professionnelle de cession devait être déterminée en ajoutant, au prix d'origine des parts, le résultat fiscal de l'exercice clos le 30 juin 2012, mais minoré de la quote-part des bénéfices prélevée par les associés pour ce seul exercice. Le calcul de l'administration a abouti à un montant de plus-value professionnelle s'élevant à 444 974 € pour M. C, ramené à 442 704 € après imputation de la moins-value à long terme et pour Mme C à un montant de 308 325 € au titre de sa plus-value privée.
Suite au rejet de leur réclamation, les époux C ont saisi le juge de l'impôt qui n'a pas fait droit à leur demande.
Ils ont fait appel de la décision.
La Cour vient partiellement de faire droit à la demande des époux C en leur accordant une réduction de la base soumise à imposition sans pour autant revenir à celle qu'ils avaient déterminé initialement.
Les époux C soutenaient que le mécanisme correcteur du prix de revient des parts dégagé de manière prétorienne par le Conseil d’Etat n’implique pas de prendre en compte le devenir de tous les résultats réalisés depuis la création de la société, mais seulement celui du dernier exercice avant la cession, c’est-à-dire de celui clos le 30 juin 2012.
La Cour souligne :
- que le mécanisme correcteur issu de la jurisprudence Quemener s'appliquait également à Mme C alors même qu'elle n'était pas associée exploitante.
- qu'il convient de tenir compte notamment, depuis la date d'acquisition des parts, de l'affectation de tout ou partie des bénéfices aux associés et des déficits déduits par ces derniers.
Ces principes impliquent nécessairement, pour déterminer le prix de revient fiscal entrant dans le calcul de la plus-value de cession des titres d’une société relevant, comme l’EARL des Noirs Chevaux, du régime prévu à l’article 8 du code général des impôts, de tenir compte notamment, depuis la date d’acquisition des parts, de l’affectation de tout ou partie des bénéfices aux associés et des déficits déduits par ces derniers.
- que pour autant la base de calcul retenue par l'administration ne procède pas d'une application plus exacte des principes issue de la jurisprudence Quemener.
Au cas particulier, et eu égard à la difficulté pratique de reconstituer tout l'historique des résultats de l'EARL C dont les parts sont détenues depuis 1999 la cour a rendu une décision tenant compte de la bonne volonté des contribuables.
La Cour a ainsi tenu compte :
- des nouveaux éléments fournis par les époux C ( Eléments chiffrés, tirés de leurs déclarations de revenus, ainsi que des délibérations de l’AG et des documents comptables de l’EARL C sous la forme d’un tableau détaillé), et permettant ainsi une plus exacte application des principes correcteurs de la jurisprudence Quemener ;
- du fait que l'administration ne proposait aucun calcul de nature à permettre d'établir des bases d'imposition conformes aux principes susvisés, ni même aucun élément de nature à remédier aux lacunes dont demeurent affectés les calculs proposés par les époux C.
Cette décision relève finalement plus du compromis. En effet, après avoir constaté "qu'elle ne disposait pas, comme d'ailleurs les parties au litige, de l'ensemble des éléments qui seraient propres à lui permettre de déterminer plus exactement les bases imposables à assigner" aux époux C. elle a décidé qu'il n'y avait "pas lieu d'ordonner un supplément d'instruction qui se révèlerait frustratoire".