Décision du juge de l'impôt en matière de report en arrière des déficits "carry-back", censurant une doctrine administrative qui restreignait indûment la portée du dispositif exceptionnel mis en place pendant la crise sanitaire.
Le mécanisme du report en arrière des déficits, aussi appelé "carry-back", est prévu à l'article 220 quinquies du CGI. Ce dispositif permet à une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés d'imputer, sur option, un déficit constaté au titre d'un exercice sur le bénéfice de l'exercice précédent, dans la limite du plus faible montant entre le bénéfice déclaré et un million d'euros.
Face à la crise sanitaire, le législateur a introduit un mécanisme exceptionnel par l'article 1er de la loi de finances rectificative du 19 juillet 2021. Cette disposition dérogatoire permettait d'imputer le déficit constaté au titre du premier exercice déficitaire clos entre le 30 juin 2020 et le 30 juin 2021 non seulement sur le bénéfice de l'exercice précédent, mais également, le cas échéant, sur celui de l'avant-dernier exercice, puis sur celui de l'antépénultième exercice.
Le texte précisait que les bénéfices d'imputation des trois exercices précédents étaient "déterminés dans les conditions prévues à l'article 220 quinquies du code général des impôts", tout en prévoyant qu'ils seraient diminués du montant des déficits constatés au titre des exercices antérieurs pour lesquels l'entreprise avait déjà opté pour le report en arrière.
Le premier alinéa du paragraphe 120 de ces commentaires indiquait que les bénéfices des trois exercices antérieurs sur lesquels une entreprise pouvait reporter en arrière un déficit, en application du dispositif exceptionnel, devaient s'entendre "des seuls bénéfices déclarés par cette entreprise, à l'exclusion de ceux qui résulteraient de rehaussements consécutifs à un contrôle fiscal".
Rappel des faits :
Les sociétés Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher et Rocher participations ont demandé l'abrogation de cette disposition doctrinale. Face au silence gardé par le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, les sociétés ont formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État contre cette décision implicite de rejet.
Les deux sociétés estiment que l'administration fiscale avait ajouté une restriction qui n'existait pas dans la loi. Selon elles, la loi de finances rectificative du 19 juillet 2021 renvoyait aux "conditions prévues à l'article 220 quinquies du CGI" pour la détermination des bénéfices d'imputation, sans exclure la prise en compte des rehaussements consécutifs à un contrôle fiscal.
Les sociétés s'appuyaient sur la jurisprudence établie pour l'article 220 quinquies du CGI, qui permet de tenir compte des rectifications opérées par l'administration dans la détermination des bénéfices susceptibles de faire l'objet d'un report en arrière de déficits.
De son côté l'administration fiscale considérait que le dispositif exceptionnel mis en place en 2021 était distinct du mécanisme classique prévu à l'article 220 quinquies du CGI. Elle interprétait la référence aux "bénéfices déclarés" comme excluant les rehaussements consécutifs à un contrôle fiscal, limitant ainsi le champ d'application du dispositif exceptionnel aux seuls résultats initialement déclarés par l'entreprise.
Le Conseil d'État a donné raison aux deux sociétés requérantes en annulant la décision implicite de rejet de leur demande d'abrogation.
La haute juridiction a fondé sa décision sur deux arguments principaux :
- L'analyse des dispositions législatives "telles qu'éclairées par les travaux préparatoires" montre que les bénéfices sur lesquels un déficit peut être imputé en application du dispositif exceptionnel sont, sauf pour ce qui concerne le nombre d'exercices concernés et les règles de plafonnement, déterminés dans les conditions prévues à l'article 220 quinquies du CGI.
- Par conséquent, la loi "ne fait pas obstacle à ce que le montant des bénéfices sur lesquels est effectuée l'imputation de déficits postérieurs soit déterminé en prenant en compte les rectifications opérées le cas échéant par l'administration".
4. Il résulte de ces dispositions, telles qu'éclairées par les travaux préparatoires dont elles sont issues, que les bénéfices sur lesquels, en application du dispositif exceptionnel qu'elles instituent en vue d'aider les entreprises à surmonter les difficultés de trésorerie liées à la pandémie de Covid, un déficit constaté au titre d'un exercice postérieur est imputable sont, sauf pour ce qui concerne le nombre d'exercices concernés et les règles de plafonnement, déterminés dans les conditions prévues à l'article 220 quinquies du code général des impôts. Dès lors, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le montant des bénéfices sur lesquels est effectuée l'imputation de déficits postérieurs soit déterminé en prenant en compte les rectifications opérées le cas échéant par l'administration.
Le Conseil d'État a donc jugé que l'administration avait "restreint incompétemment la portée de la disposition législative" qu'elle commentait, ce qui justifiait l'annulation du refus d'abroger la doctrine litigieuse.