Le juge de l'impôt réaffirme que la déductibilité fiscale des management fees suppose la démonstration concrète de services individualisés et rémunérés à leur juste valeur ; à défaut, la charge est réintégrée, la TVA neutralisée et les pénalités confirmées.
L'article 38 du CGI définit le bénéfice net comme la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période d'imposition. L'article 39-1 du même code précise que ce bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, notamment les frais généraux, à condition que ces charges correspondent à un travail effectif et ne soient pas excessives eu égard à l'importance du service rendu.
Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière de la théorie jurisprudentielle de l'acte anormal de gestion, qui permet à l'administration fiscale de remettre en cause la déduction de charges qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Un acte anormal de gestion se caractérise par l'appauvrissement d'une entreprise à des fins étrangères à son intérêt.
En matière de charges, la jurisprudence a progressivement précisé la répartition de la charge de la preuve. Le contribuable doit d'abord justifier du montant des charges qu'il entend déduire et de la correction de leur inscription en comptabilité, en produisant des éléments précis sur la nature de la charge et sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Si le contribuable s'acquitte de cette obligation, c'est ensuite à l'administration d'apporter la preuve que la charge n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, que cette contrepartie est sans intérêt pour le contribuable ou que sa rémunération est excessive.
Rappel des faits :
La SARL R, dont le siège social se situe à Troyes, exerce une activité d'opticien dans le cadre d'un contrat de franchise conclu avec la SAS AA franchiseur. Son capital est détenu par la SARL OSH, qui est donc sa société mère.
La SARL R a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016. À l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a procédé à plusieurs rectifications, notamment :
- La remise en cause de la déductibilité, en tant que charges, des prestations d'animation facturées par sa société mère OSH pour un montant forfaitaire annuel de 40 000 euros hors taxes au titre des exercices 2014, 2015 et 2016 ;
- La réintégration d'un passif injustifié de 48 000 euros TTC à la clôture de l'exercice 2015, correspondant aux honoraires dus à OSH au titre de l'année 2013 ;
- La remise en cause de la TVA déduite sur ces factures.
Ces rectifications ont été maintenues malgré les observations de la société, et ont fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Les impositions supplémentaires ont été mises en recouvrement pour un montant total de 143 044 € en droits et pénalités.
La société a formé une réclamation préalable, rejetée par l'administration, puis saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui a rejeté sa demande par un jugement du 15 septembre 2022. La SARL R a alors fait appel devant la Cour Administrative d'Appel de Nancy.
La société R soutient que les honoraires déduits correspondent à des interventions réalisées dans le cadre de la convention d'animation et de prestations signée avec sa société mère, et non dans le cadre du contrat de franchise.
La Cour vient de rejeter la requête de la société R
La Cour a d'abord rappelé les principes applicables en matière de charge de la preuve, conformément à sa jurisprudence constante : il appartient au contribuable de justifier du montant des charges qu'il entend déduire et de la correction de leur inscription en comptabilité, puis à l'administration, si nécessaire, de prouver que ces charges ne sont pas déductibles.
Sur le fond, la Cour a constaté que :
- La convention d'animation signée le 20 juillet 2013 prévoyait que, pour un montant forfaitaire annuel de 40 000 euros HT, la société OSH s'engageait à effectuer des prestations de pilotage stratégique et des prestations de services au profit de sa filiale ;
- Les factures établies portaient uniquement le libellé "honoraires de gestion selon convention d'animation", sans détail des prestations effectivement assurées ;
- Contrairement à ce que stipulait la convention, la société OSH ne comptabilisait ni immobilisation corporelle ni salaires, et il n'était pas allégué que son gérant, qui était aussi celui de la société R, serait intervenu dans le cadre de l'exécution de la convention ;
- Si la société soutenait que les interventions avaient été réalisées par un certain M. A, elle ne justifiait pas que la société OSH lui aurait confié un mandat en vue de la réalisation de l'objet de la convention ;
- Les documents produits par la société (tableaux de bord, plaquettes de formation, suivi des ventes, courriels) ne caractérisaient pas des prestations individualisées entre la société mère et sa filiale, mais traduisaient plutôt une gestion globale du groupe Afflelou ;
- Même si certaines actions de M. A recoupaient partiellement le champ d'application de la convention d'animation, il n'était pas établi qu'elles auraient été réalisées dans le cadre de l'exécution de cette convention.
La Cour en a conclu qu'en l'absence de toute réalité des prestations réalisées par la société OSH conformément à l'objet de la convention, l'administration fiscale pouvait retenir le caractère fictif des prestations facturées et réintégrer les charges correspondantes.
Concernant le passif injustifié de 48 000 € TTC, la Cour a relevé que la société n'avait produit aucun document susceptible de justifier de la réalité et de la valeur des prestations acquises au cours de l'exercice 2013, et que l'administration pouvait donc réintégrer ce passif pour les mêmes motifs.
S'agissant de la TVA, la Cour a jugé qu'en l'absence de fourniture des services facturés, l'administration pouvait également remettre en cause la déduction de la TVA ayant grevé les factures litigieuses.
Enfin la Cour a confirmé le bien-fondé de la majoration de 40%, relevant que l'administration avait établi l'intention délibérée de la société d'éluder l'impôt, notamment en entretenant la confusion sur l'existence de la convention et sur la réalité des prestations facturées. En l'absence de preuve que les prestations réalisées par M. A se rattachaient à l'exécution de la convention d'animation, la majoration était justifiée.
Cette décision constitue une nouvelle illustration de l'exigence croissante des juridictions quant à la justification des prestations intra-groupe. Il ne suffit pas de produire une convention-cadre et des factures pour justifier la déductibilité des charges correspondantes. Le contribuable doit être en mesure de démontrer la réalité des prestations effectuées, leur individualisation et leur rattachement effectif à la convention invoquée. Les documents produits doivent établir un lien direct entre les interventions alléguées et l'objet de la convention. En l'espèce, même si des interventions avaient bien eu lieu, la société ne parvenait pas à démontrer qu'elles s'inscrivaient dans le cadre de la convention d'animation plutôt que dans celui du contrat de franchise ou d'une autre relation.
Cet arrêt nous invite à la plus grande vigilance dans la rédaction des conventions intra-groupe et dans la constitution des dossiers de preuve. Il convient notamment :
- De rédiger des conventions précises, décrivant de manière détaillée les prestations à fournir et les modalités de leur exécution ;
- D'établir des factures détaillant les prestations réalisées, au lieu de se contenter de mentions génériques ;
- De conserver la documentation permettant d'établir la réalité des prestations (rapports, comptes-rendus de réunions, correspondances, etc.) ;
- De veiller à la cohérence entre les stipulations contractuelles et la réalité économique de l'exécution (moyens humains et matériels, intervenants) ;
- De s'assurer que les personnes intervenant dans l'exécution de la convention sont bien mandatées par la société prestataire ;
- De ne pas confondre les prestations relevant de différentes conventions (ici, convention d'animation et contrat de franchise).
La documentation des prestations intragroupe doit être pensée comme une preuve préalable, non comme un justificatif a posteriori.