Nouvelle décision concernant régime des prélèvements sociaux applicables aux revenus fonciers de source française perçus par des non-résidents suisses, et plus particulièrement par les travailleurs frontaliers. A travers celle-ci, le juge nous rappelle que le critère d'affiliation déterminant pour l'application desdits prélèvements sociaux est le lieu de travail, et non le lieu de résidence.
Pour mémoire, l'article 26 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 (LFSS) a introduit (Aux articles L136-6 et L136-7 du code de la sécurité sociale) une exonération de contribution sociale généralisée (CSG) et de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) assises sur les revenus du patrimoine et produits de placement perçus par les personnes qui ne sont pas affiliées à la sécurité sociale française mais qui relèvent du régime de sécurité sociale d'un autre État membre de l'Union européenne (UE), de l'Espace économique européen (EEE) ou en Suisse.
Cette exonération permet de garantir la bonne application du droit de l'Union, notamment du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans sa décision dite « De Ruyter » du 26 février 2015.
Dans son arrêt du 26 février 2015, la Cour de justice de l’Union européenne (Affaire « de Ruyter »C-623/13 , suivant les conclusions de l’avocate générale, a jugé que les revenus du patrimoine des résidents français qui travaillent dans un autre État membre ne pouvaient pas être soumis aux contributions sociales françaises (Affaire ). Le Conseil d’Etat a, le 27 juillet 2015 , confirmé la décision de la CJUE et suivi son raisonnement.
Le règlement 883/2004, applicable à la Suisse en vertu de l'accord sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999, établit le principe selon lequel une personne ne peut être soumise qu'à la législation d'un seul État membre. L'article 11 de ce règlement prévoit que la personne exerçant une activité professionnelle dans un État membre est soumise à la législation de cet État, indépendamment de son lieu de résidence.
En conséquence, une personne affiliée à titre obligatoire au régime de sécurité sociale d'un autre État membre ne saurait être assujetti à des prélèvements destinés à financer le régime obligatoire de sécurité sociale français.
Dans ce cas, seul le prélèvement de solidarité de 7,5 % est dû, dans la mesure ou il est affecté au budget de l’État et non au financement de la sécurité sociale (Art. 235 ter du CGI) Ces dispositions s’appliquent aux plus-values réalisées au titre des cessions intervenues depuis le 1er janvier 2019. L’administration a intégré cet aménagement à la faveur d’une mise à Jour de la Base BOFIP-Impôt en date du 19 avril 2019 sous la référence BOI-RFPI-PVINR-20-20.
Rappel des faits :
M. et Mme B, couple résidant en Suisse, ont perçu en 2022 des revenus fonciers de source française soumis à l'ensemble des prélèvements sociaux pour un montant total de 1 120 €. Leur situation présentait une configuration transfrontalière caractéristique : M. B exerçait une activité professionnelle en France l'amenant à cotiser au régime français d'assurance maladie, tout en étant dispensé de l'assurance obligatoire suisse LAMal. Mme B travaillait en Suisse et relevait du régime de sécurité sociale helvétique. Se fondant sur règlement européen de coordination susvisé ils soutenaient que M. B, résident fiscal suisse et assujetti à l'impôt helvétique, ne pouvait être soumis aux prélèvements sociaux français dès lors qu'il n'était pas affilié à un régime de sécurité sociale français et ne pouvait bénéficier de prestations en France. Les époux B invoquaient le fait que les soins médicaux étaient pris en charge par le régime suisse, même si M. B cotisait formellement en France. Pour Mme B, ils faisaient valoir qu'elle avait sa résidence en Suisse et son affiliation au régime obligatoire suisse.
Autrement dit, les époux B soutiennent être tous deux rattachés au régime de sécurité sociale suisse et donc éligibles à l'exonération de CSG et de CRDS.
L'administration fiscalene partage pas cette analyse : M. B, travaillant en France, relève bligatoirement de la législation sociale française en application du règlement européen. Concernant Mme B, l'administration admet son affiliation probable au régime suisse mais soulignait que le couple n'a fourni aucun justificatif de leur régime matrimonial ni de la répartition des revenus fonciers entre eux, rendant impossible toute décharge partielle.
Le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté la requête des époux B
- Concernant la CSG et la CRDS, le juge de l'impôt a appliqué strictement les critères du règlement européen 883/2004
- Pour M. B, le juge a appliqué le principe de la lex loci laboris. Puisque M. B travaille en France, il relève de la législation de sécurité sociale française, quand bien même il réside en Suisse. Le fait que ses soins en Suisse soient pris en charge par l'assurance maladie de son pays de résidence pour le compte de la France, en application des mécanismes de coordination, ne change rien à la détermination de la législation applicable. M. B étant bien à la charge d'un régime obligatoire français, il ne pouvait prétendre à l'exonération.
Le tribunal écarte l'argumentation des contribuables fondée sur l'absence de bénéfice effectif de prestations en France. Il rappelle que le mécanisme prévu par les articles 17 et 35 du règlement permet précisément aux personnes résidant dans un État différent de celui de leur assurance de bénéficier de prestations dans leur État de résidence, ces prestations étant remboursées par l'État d'assurance. Cette coordination ne remet pas en cause la détermination de la législation applicable selon le lieu d'activité professionnelle.
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- Pour Mme B, le tribunal a admis qu'elle relevait bien de la législation suisse. Cependant, il a fait valoir qu'en l'absence de toute production relative à leur régime matrimonial ou à la quote-part des revenus lui revenant, il était impossible pour le juge de déterminer la fraction de l'imposition dont elle aurait pu être déchargée. La demande a donc été rejetée sur ce point faute de justification suffisante.
- Concernant le prélèvement de solidarité
Rappelant que cette contribution est une imposition de nature purement fiscale affectée au budget de l'État, il a jugé qu'elle n'entrait pas dans le champ du règlement européen sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. De plus, la loi française excluant explicitement l'application de l'exonération "De Ruyter" à ce prélèvement, les requérants ne pouvaient en aucun cas en obtenir la décharge.
- Pour un travailleur frontalier, le juge rappelle la primauté du critère du lieu d'activité professionnelle sur celui de la résidence pour déterminer la législation de sécurité sociale applicable.
- Par ailleurs, lorsqu'une exonération n'est susceptible de s'appliquer qu'à un seul des membres d'un couple, il incombe aux requérants de fournir au juge tous les éléments permettant de ventiler les revenus et, par conséquent, de calculer le dégrèvement partiel auquel ils pourraient prétendre. À défaut, même si le principe de leur droit est reconnu, leur demande sera rejetée en totalité.