Le juge de l'impôt vient de rendre une nouvelle décision en matière de marchands de biens par laquelle elle a considéré qu'une SCI etait assujettie à la TVA en tenant compte du caractère habituel des opérations immobilières réalisées par la société et de l'intention spéculative qui a présidé aux opération réalisées, mais sans s'assurer si ledit cédant entrait ou non dans une démarche active de commercialisation foncière.
Les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sont soumises à la TVA, lorsqu’elles sont réalisées par un assujetti agissant en tant que tel (Art. 256 du CGI). La notion d’assujetti est définie par l’article 256 A du CGI par référence à l’exercice indépendant d’une « activité économique », c’est-à-dire, toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. Cette règle s’applique, notamment, aux opérations immobilières, parmi lesquelles figurent, conformément à l’article 257 du CGI, les livraisons de terrains à bâtir, définis comme ceux sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme ou d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu.
En principe, dans le cadre d’une vente immobilière l’administration doit opérer en suivant une double démarche :
- elle doit vérifier si le vendeur est un assujetti à la TVA ;
- en cas de réponse positive elle doit vérifier si le vendeur agit en tant qu’assujetti au titre de l’opération.
L’administration a toutefois prévu des tempéraments. En effet, si un assujetti est présumé agir en tant que tel, toutes les opérations réalisées par un assujetti ne constituent pas obligatoirement une activité économique au sens de l’article 256 du CGI. Ainsi, un assujetti peut renverser la présomption qui pèse sur lui en apportant la preuve que l’opération contestée s’inscrit dans une pure démarche patrimoniale. L’assujetti peut ainsi se prévaloir du fait que la vente vise seulement à mieux tirer parti d’un bien devenu étranger à son activité économique (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10, n°80).
De même, un particulier ou une SCI qui bénéficie d’une présomption de non assujettissement peut être considéré comme un assujetti s’il entre dans une démarche active de commercialisation foncière, acquérant les biens en dehors d’une pure démarche patrimoniale ou mobilisant des moyens qui le placent en concurrence avec les professionnels. Ainsi le fait de confier la vente d’un terrain à un notaire ou une agence rémunérés uniquement par une commission payable par l’acquéreur ne constitue pas une démarche active de commercialisation, alors que le fait d’engager des moyens propres (tels que l’ouverture d’un bureau de vente ou des commissions garanties versées à un agent mandaté) tend à révéler une approche professionnelle concurrentielle. (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10, n°80)
Rappel des faits :
La SCI P, dont M. B est le gérant et associé à concurrence de 99 % des parts, a été créée le 1er mars 2005 avec pour objet l'acquisition, la gestion et l'administration de biens immobiliers et, plus généralement, toutes opérations se rapportant à cet objet, pourvu que ces opérations ne modifient pas son caractère civil. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ainsi que d'un contrôle sur pièces. A l'issue des opérations de contrôle, l'administration fiscale, qui a considéré que la société exerçait une activité de marchand de biens, lui a notifié des rappels de TVA et des cotisations supplémentaires d'IS. Par un jugement du 21 décembre 2020, le TA de Toulon a prononcé la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'IS auxquelles la société a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
La SCI P a fait appel appel du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de TVA
La Cour vient de rejeter l'appel de la SCI P.
La question qui se posait, en l'espèce, était de savoir si les opérations devaient être considérées comme réalisées par un assujetti agissant en tant que tel.
Les opérations réalisées étaient les suivantes :
- acquisition le 8 août 2005 d'un immeuble à usage d'habitation comprenant cinq logements donnés à la location, pour un montant de 165 000 €, revendu en l'état le 27 mars 2007 pour un montant de 247 000 €.
- acquisition, auprès d'une autre société de marchand de biens dont M. B est aussi le gérant, le 30 juin 2011 pour un montant de 90 000 € d'un terrain à bâtir sur lequel elle a fait construire une maison à usage d'habitation vendue le 29 janvier 2014 au prix de 310 000 €.
- acquisition le 24 octobre 2014, pour un montant de 227 500 €, d'une maison à usage d'habitation sur une parcelle suivie d'une une division de cette parcelle en deux parcelles (sur l'une a été édifiée une maison revendue le 15 janvier 2018 pour un prix de 339 000 € et l'autre correspondant à un TAB a été revendu au prix de 90 000 € le 20 janvier 2016).
S'agissant de la seconde acquisition M. B avait tenté de faire valoir qu'il s'agissait de sa résidence principale, toutefois l'administration a conataté :
- que la facture d'électricité faisait état d'une consommation très résiduelle de 12,98 € entre septembre et novembre 2013,
- que le contrat d'abonnement au service de l'eau était dépourvu de toute indication sur des consommations éventuelles
- que l'adresse d'imposition fiscale au 1er janvier 2013 se situait à une autre adresse
Concernant la troisième acquisition, la SCI P avait déclaré, dans l'acte d'acquisition, agir en qualité de marchand de biens et et avait à cette occasion pris l'engagement de revendre le bien acquis dans un délai de cinq ans afin de bénéficier des dispositions de l'article 1115 du CGI.
La cour, eu égard aux circonstances de l'affaire ( Court laps de temps entre l'acaht et la revente, plus-values importantes de cession) considère que la SCI P :
doit être regardée comme ayant eu, dès l'acquisition de ces biens, une intention spéculative. Eu égard à ces opérations de cession réalisées sur une courte période, l'activité en cause a été exercée à titre habituel et ne peut être regardée comme s'inscrivant dans une démarche patrimoniale [...]
[...] Enfin, si elle soutient qu'elle n'a effectué aucune démarche active de commercialisation foncière, cette circonstance est sans incidence en l'espèce au regard du caractère habituel des opérations immobilières réalisées par l'intéressée et de l'intention spéculative qui a présidé à ces opérations. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a soumis les opérations de cession en cause à la TVA [...]
L'argumentation de la Cour nous questionne...alors que, par le passé, l’inclusion des résultats d’une opération dans les bases de l’impôt sur le revenu au titre des BIC entraînait mécaniquement leur assujettissement à la TVA en application de l'article 257-6° du CGI dans sa version antérieure à 2010 , tel n’est plus le cas depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, qui a réformé le régime de la TVA sur les opérations immobilières.
Il nous semble que les critères qui permettent de caractériser l’existence d’une activité économique, pour les besoins de la TVA, ne recoupent pas exactement ceux qui ressortent de l’article 35 du CGI et qui reposent sur la caractérisation d’une intention spéculative lors de l’achat de l’immeuble ou du terrain.
Par ailleurs il ressort de la l'arrêt Slaby du 15 septembre 2011 (Affaires C‑180/10 et C‑181/10) rendu par la CJUE que
selon une jurisprudence constante, la simple acquisition et la simple vente d’un bien ne sauraient constituer une exploitation d’un bien visant à produire des recettes ayant un caractère de permanence au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, l’unique rétribution de ces opérations étant constituée par un éventuel bénéfice lors de la vente dudit bien. En effet, de telles opérations ne sauraient en principe constituer, en elles-mêmes, des activités économiques au sens de cette directive
Soulignons enfin, qu'une Cour administrative (CAA Bordeaux du 7 octobre 2021, n° 19BX03928) a jugé que la vente d'un TAB divisé en lot imposée dans la catégorie des BIC n’était en revanche pas assujettie à la TVA dans la mesure où les vendeurs n’avaient mis en oeuvre aucune démarche de commercialisation foncière similaire à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services. Le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi de l'administration fiscale (Arrêt 9 décembre 2022, N° 459206):
La livraison, par une personne physique, de terrains à bâtir est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu’elle procède, non de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu’elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique. Relèvent également de telles démarches celles entreprises dans le cadre d’une opération d’aménagement d’un terrain à bâtir, d’une ampleur telle qu’elles ne sauraient relever de la simple gestion d’un patrimoine privé.