Quelles différences entre une fusion simplifiée et une transmission universelle de patrimoine (TUP) ?

09/12/2024 Par Alister Avocats
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La fusion simplifiée et la confusion de patrimoine (transmission de patrimoine ou TUP) sont des mécanismes juridiques proches ayant une finalité commune, la disparition d’une société dont l’intégralité du patrimoine est transmise à une autre société. Les différences entre ces deux mécanismes juridiques se sont amoindries au fil des réformes juridiques. Pour autant, des distinctions majeures demeurent. Les développements ci-après comparent les régimes juridiques et fiscaux applicables à une fusion simplifiée verticale, entre une société mère (société absorbante) et sa filiale détenue à 100 % (société absorbée), et à une TUP.

 

 

Article de Maîtres Jean-Pierre CoronEmmanuel Aubin et Alexis Triquet du cabinet Alister Avocats (Article du 6 décembre, mis à jour le 9 décembre)

 

 

 

1. Fusion simplifiée

 

La fusion est un mécanisme juridique qui entraîne la dissolution sans liquidation de la société absorbée et la transmission universelle de son patrimoine à la société absorbante, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération (Art. L.236-3 du Code de commerce). Dans certaines hypothèses, telle que l’absorption d’une filiale détenue à 100% par sa société mère, le Code de commerce prévoit un régime juridique simplifié (Articles L.236-1 et suivants du Code de commerce).

 

a. Les caractéristiques principales de la fusion verticale simplifiée sont les suivantes :

  • Procédure simplifiée en comparaison à une opération de fusion traditionnelle :
    • Pas d’intervention d’un commissaire à la fusion (Art. L.236-11) ;
    • Pas d’intervention d’un commissaire aux apports (Art. L.236-11) ;
    • Pas d’augmentation de capital et d’échange de titres (Art. L.236-3) ;
    • Pas d’approbation de la fusion par la collectivité des associés des sociétés absorbées et absorbantes (Art. L.236-11), sauf obligation statutaire contraire ;
    • Pas d’établissement d’un rapport par les organes de direction des sociétés (Art. L.236-11).
  • Publication d’un projet de traité de fusion : ce document juridique a pour finalité de décrire les modalités de réalisation de la fusion (notamment la date d’effet, actif et passif apporté, conséquences juridiques, comptables et fiscales de l’opération), d’informer les parties prenantes (actionnaires, dirigeants, créanciers et éventuels tiers intéressés), de formaliser les engagements des parties impliquées (ex : reprise du personnel, des engagements financiers …).

Le projet de traité de fusion doit être déposé au greffe du Tribunal de commerce pour information des créanciers et actionnaires (Art. L. 236-6 du Code de commerce).

  • Opposabilité aux créanciers : un avis de projet de traité de fusion reprenant les informations principales de l’opération doit être publié au BODACC. Les créanciers disposent d’un délai de 30 jours à compter de la publication de l’avis pour opposition à la réalisation de l’opération (Art. R. 236-2 du Code de commerce). Les oppositions n’empêchent pas la réalisation de la fusion.
  • Patrimoine : sous réserve des clauses des contrats intuitu personae, l'ensemble du patrimoine de la filiale est transféré à la société mère.
  • Absence de liquidation : la fusion entraine la dissolution sans liquidation de la société absorbée et disparition de sa personnalité morale.
  • Fiscalité : dès lors que les sociétés absorbantes et absorbée sont soumises à l’impôt sur les sociétés, la fusion bénéfice, sur option exercée dans le traité de fusion, d’un régime de faveur d’absence d’imposition immédiate des plus-values nettes relatives aux actifs apportés (Art. 210 A, 1, al.1 du CGI) et de taxation des seules provisions figurant au bilan de la société absorbée et devenant sans objet à la suite de l’opération (Art. 210 A, 2, du CGI).

A défaut d’option pour le régime fiscal de faveur, les plus-values latentes et les provisions antérieurement déduites sont immédiatement imposables à l’impôt sur les sociétés au nom de la société absorbée.

 

En matière de droits d’enregistrement, la fusion est enregistrée gratuitement sous réserve que les sociétés absorbantes et absorbée soient soumises à l’impôt sur les sociétés (Art. 816 du CGI). La gratuité de l’enregistrement s’applique y compris lorsque des immeubles sont transférés à la société mère.

 

En matière de TVA, la fusion n’est pas une opération imposable et n’entraîne aucun reversement de la TVA antérieurement déduite par la société absorbée (Art. 257 bis du CGI). Ce reversement est éventuellement effectué par la société absorbante si celle-ci ne poursuit pas l’activité reçue de la société absorbée.

 

b. Date d’effet :

  • Juridique: date de réalisation précisée au sein du traité de fusion, cette dernière ne pouvant être antérieure à l’issue du délai d’opposition des créanciers (art. R. 236-2 du Code de commerce) ;
  • Comptable: date de réalisation de la fusion (fusion à effet comptable immédiat) ou, lorsque le traité de fusion contient une clause expresse d’effet spécifique, à une date antérieure (effet rétroactif) ou postérieure (effet différé), à la date de réalisation, dans la limite de la date d’ouverture (effet rétroactif) ou de clôture (effet différé) de l’exercice en cours des sociétés parties à la fusion (fusion à effet rétroactif ou différé) (art. L.236-4 et. R.236-1 5° du Code de commerce).
  • Fiscal (en matière d’impôt sur les sociétés exclusivement) : date d’effet comptable : soit effet immédiat, soit effet rétroactif, soit effet différé (Conseil d’état, 12 juillet 1974, n° 81753, confirmé par Conseil d’état, 16 juin 1993, n° 70446 et Conseil d’état, 26 juin 1993, n° 78156 et n°78157) ; BOI-IS-FUS-40-10-10, n°1, 12 septembre 2012).
  • État comptable intermédiaire : les sociétés qui participent à l’opération doivent établir un état comptable intermédiaire lorsque leurs derniers comptes annuels se rapportent à un exercice dont la clôture est antérieure de plus de six mois à la date du projet de fusion. Cet état doit en outre être antérieur de moins de trois mois à la date du projet de fusion (art. R.236-4 4° du Code de commerce).

 

 

2. La confusion de patrimoine (ou transmission universelle de patrimoine)

 

La confusion de patrimoine (transmission universelle de patrimoine ou TUP), ou dissolution par confusion du patrimoine, est un mécanisme juridique par lequel une société transfère, lors de sa dissolution, l’intégralité de son patrimoine, sans liquidation, à son associé unique personne morale. Elle est réservée aux sociétés dont le capital social et les droits de vote sont détenus à 100 % par une autre société. Le régime juridique de la transmission universelle de patrimoine est prévu à l’alinéa 3 de l'article 1844-5 du Code civil.

 

a. Les caractéristiques principales sont les suivantes :

  • Procédure très simplifiée : un simple procès-verbal des décisions de l’associé unique est suffisant. L’associé unique décide de la dissolution par anticipation de la société conformément à l'article 1844-5, alinéa 3, du code civil et de l'article 8 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978 et détermine les conditions de réalisation de la transmission universelle de patrimoine ;
  • Opposabilité aux créanciers : depuis le 1er octobre 2024 (entrée en vigueur du décret n° 2024-751 du 7 juillet 2024), de façon similaire au régime des fusions, les créanciers de la société dissoute peuvent former opposition dans un délai de 30 jours après la publication de la décision de dissolution au BODACC (art. 1844-5 al.3 du Code Civil ; art. 8 al.2 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978). Les oppositions suspendent la réalisation de la transmission universelle de patrimoine. L’opération pourra alors intervenir seulement à la date à laquelle les oppositions auront été rejetées en première instance ou celle à laquelle le remboursement des créances aura été effectué ou les garanties constituées ;

N.B. : Avant le 1er octobre 2024, le délai d’opposition courait à compter de la publication de la décision de dissolution au sein d’un support d’annonces légales.

Depuis cette date, si celle-ci ne fait plus courir le délai d’opposition, il est toujours requis de réaliser une double publicité au sein d’un journal d’annonce légale (les articles 24 du décret 78-704 du 3 juillet 1978 et R. 210-9 du code de commerce relatifs à l’obligation d’insertion dans un support habilité à recevoir les annonces légales n’ont pas été modifiés).

La conséquence majeure du départ du délai d’opposition des créanciers à la date de publication au BODACC est que les sociétés ne maîtrisent plus la date de réalisation des TUP, car le délai d’opposition des créanciers commence à compter de la publication au BODACC.

Il existe toutefois d’une tolérance administrative (BOI-IS-FUS-40-40) qui permet qu’une TUP publiée durant le dernier mois de l’exercice social bénéficie sur option d’un effet rétroactif fiscal au premier jour de cet exercice, même si le délai d'opposition des créanciers se termine l'exercice suivant.

  • Patrimoine : sous réserve des clauses des contrats intuitu personae, l’intégralité du patrimoine (actif et passif) de la société dissoute est transféré à l’associé unique ;
  • Absence de liquidation : la fusion entraine la dissolution sans liquidation de la société absorbée et disparition de sa personnalité morale ;
  • Fiscalité : régime de faveur sur option en matière d’impôt sur les sociétés (cf. fusions ci-dessus);
    • En matière de TVA (cf. fusions ci-dessus).
    • En matière de droits d’enregistrement, la transmission universelle de patrimoine n’est par principe soumise à aucune formalité d’enregistrement. Néanmoins, dans le cas où des biens immobiliers sont transférés, l’acte devra être enregistré et sera soumis au droit fixe des actes innommés, soit 125 euros (Art. 680 du CGI ; BOI-ENR-AVS-30-10 n°150).

Toutefois, contrairement au régime des fusions, lorsque des biens immobiliers figurent parmi les actifs transférés, une publication auprès du service de la publicité foncière est requise, entraînant une taxe de publicité foncière (TPF) et un prélèvement pour frais d’assiette et de recouvrement calculés sur le montant de ladite taxe au taux de 0,715%.

 

b. Date d’effet :

  • Juridique:
    • soit, à défaut d'opposition des créanciers, à l'issue du délai d'opposition des créanciers visé à l'article 8, alinéa 2, du décret n°78-704 du 3 juillet 1978, pour permettre aux créanciers de la Société de faire opposition à cette dissolution ;
    • soit, en cas d'oppositions de créanciers présentées dans le délai susvisé, à la date à laquelle les oppositions auront été rejetées en première instance ou celle à laquelle le remboursement des créances aura été effectué ou les garanties constituées;
  • Comptable: date d’effet juridique susvisée.

Il n’est pas possible de donner une date d’effet comptable rétroactif aux transmissions universelles de patrimoine (TUP), cette possibilité n’étant pas expressément prévue par l’article 1844-5 du Code civil (Art. 760-3 du Plan Comptable Général (PCG)) ;

  • Fiscal (en matière d’impôt sur les sociétés exclusivement) : sauf clause contraire, date d’effet juridique susvisée.

Contrairement aux fusions, aucun effet fiscal différé ne peut être donné aux TUP (BOI-IS-FUS-40-40, n°100, 3 octobre 2018). Un effet fiscal rétroactif peut être conféré à l’opération, à condition d’être expressément prévu dans la décision de dissolution. L’effet rétroactif n’est opposable qu’aux sociétés parties à l’opération et à l’administration fiscale (BOI-IS-FUS-40-40, n°30, 40, 70, 3 octobre 2018).

 

La date d’effet fiscal ne peut pas être antérieure à la date d’ouverture de l’exercice de la société bénéficiaire de l’apport au cours duquel l’opération est réalisée (ou à l'ouverture de l’exercice de la société confondue si sa date d’ouverture est postérieure).

  • État comptable intermédiaire : contrairement aux fusions, l’établissement d’un état comptable intermédiaire n’est requis dans aucun cas.

 

Tableau comparatif récapitulatif

 

 

Transmission Universelle de Patrimoine (TUP)

Fusion Simplifiée

(100 %)

Base légale

Art. 1844-5 du Code civil ; article 8 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978 ; art. 1 de la loi 55-1 du 4 janvier 1955

Art. L. 236-1 à L. 236-6 du Code de commerce ; art. 710-1 et s. du Plan Comptable Général

Procédure

Très simplifiée : décisions de l’associé unique

Simplifiée mais plus formelle : projet de traité de fusion, avis de projet de traité de fusion, décision du président constatant la réalisation

Opposition aux créanciers

Dans un délai de 30 jours à compter de la publication de la dissolution dans un support d’annonces légales et BODACC

 

L’opposition suspend l’opération

Oui, dans un délai de 30 jours à compter de la publication de l’avis de projet de fusion au BODACC

 

L’opposition ne suspend pas l’opération

Patrimoine

TUP

TUP

Valeurs de transfert

Valeurs nettes comptables

Valeurs nettes comptables

Liquidation

Non

Non

Impôt sur les sociétés

Régime de faveur

(Art. 210 A du CGI)

Régime de faveur

(Art. 210 A du CGI)

TVA

Neutralité

(Art. 257 bis du CGI)

Neutralité

(Art. 257 bis du CGI)

Taxe de publicité foncière en cas de biens immobiliers dans l’actif transmis

Oui

Non

Date d’effet

 

 

 

Juridique : à l’issue du délai d’opposition ou en cas d’oppositions, lors de leur rejet par le tribunal, à la date du remboursement des créances concernées, ou lorsque les garanties nécessaires sont constituées

 

Comptable : date d’effet juridique. Rétroactivité et effet différé impossibles

 

 

Fiscal : date d’effet juridique ou rétroactivité. Effet différé impossible

Juridique : selon traité de fusion. Ne peut être antérieure à l’issue du délai d’opposition

 

Comptable : date d’effet juridique (fusion à effet immédiat) ou date d’effet rétroactive dans la limite de la date d’ouverture ou de clôture de l’exercice en cours des sociétés parties à la fusion (fusion à effet rétroactif ou à effet différé)

 

 

 

Fiscal : date d’effet comptable

État comptable intermédiaire

Non

Oui, si clôture du dernier exercice social antérieure de plus de six mois à la date du projet de fusion

 

Il ressort du tableau récapitulatif ci-dessus que la comparaison de la transmission universelle de patrimoine (TUP) et de la fusion verticale simplifiée fait ressortir les avantages suivants de la fusion :

  • La date d’effet de la fusion simplifiée peut être rétroactive ou différée juridiquement, fiscalement et comptablement ;
  • En cas d’actifs immobiliers transmis, les actifs ne sont pas soumis à la taxe de publicité foncière ;
  • Les oppositions des créanciers n’empêchent pas la réalisation de la fusion.

 

En revanche, les désavantages de la fusion verticale simplifiée sont les suivants :

  • La procédure juridique est plus complexe (traité de fusion, avis de projet de fusion, assemblées éventuelles (si statuts prévoient une autorisation), décision du dirigeant constatant la réalisation de l’opération ;
  • Coût supérieur du fait de la complexité de la procédure ;
  • La réalisation d’états comptables intermédiaires peut être requise.

Cabinet Alister Avocats