Sheila Hicks, sur le fil de l’art contemporain

02/07/2024 Par Artprice
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Née il y a 90 ans à Hastings, dans le Nebraska, Sheila HICKS mène une vie marquée par la mobilité. Son enfance nomade, balisée par les déplacements professionnels de son père, prépare le terrain pour une histoire qui prend véritablement son envol à l’université de Yale. Là-bas, pendant cinq ans, elle est immergée dans l’enseignement de Josef Albers. Théoricien éminent des couleurs à l’école du Bauhaus, Albers s’engage alors dans une série fascinante de plus de 2 000 œuvres explorant la juxtaposition des couleurs. La passion d’Albers pour la couleur et son esprit Bauhaus, cherchant à abolir les cloisons entre beaux-arts, design et décoration, influencent les orientations futures du travail de Hicks. C’est aussi à Yale que la jeune artiste plonge dans l’univers des textiles précolombiens grâce au célèbre historien d’art George Kubler, qui lui fait découvrir le livre de Raoul d’Harcourt, “Les Textiles anciens du Pérou et leurs techniques” (1934). C’est une véritable révélation.

 

Saisissant l’intérêt renouvelé de Hicks pour les textiles, Josef ALBERS lui présente sa femme Anni, une artiste virtuose du tissage. Au fil de leurs échanges, Anni guide Sheila Hicks dans la structuration de son travail textile. Toutefois, c’est lors de ses voyages en Amérique du Sud, après sa formation à Yale, que Hicks fait le choix définitif du textile sur la peinture. En 1957, elle décroche une bourse pour étudier le tissage ancestral des Andes au Chili. Cette opportunité la conduit à explorer les textiles traditionnels et à s’initier aux techniques des tisserands indigènes au cours de voyages au Venezuela, au Pérou, en Bolivie et enfin au Mexique, où elle s’établit jusqu’en 1963. Auprès de ces artisans, elle découvre que le fil est bien plus qu’une simple ligne sur une page : c’est une couleur tactile que l’on peut étirer dans l’espace, sculpter dans un environnement spécifique, qu’il s’agisse d’un lieu ou d’une architecture. C’est sur un métier à tisser portable, conçu de ses propres mains, qu’elle crée ses premières œuvres.

 

En songeant à sa prochaine destination, elle est captivée par l’effervescence artistique de Paris et l’héritage textile du pays, notamment grâce à la Manufacture des Gobelins. Elle installe son premier atelier à deux pas de cette illustre institution, sur le quai des Grands Augustins, en 1964. Depuis, elle réside à Paris, approfondissant sans cesse ses connaissances des techniques et des traditions textiles à travers le monde, tout en participant à de prestigieuses expositions internationales.

 

À partir de la seconde moitié des années 1960, les œuvres de Sheila Hicks bouleversent le modèle traditionnel de l’art textile pour embrasser de nouvelles formes d’expression. Elle commence par créer des suspensions murales qui s’affirment comme de magnifiques peintures abstraites, puis conçoit des ballots tactiles et colorés, d’immenses lianes chromatiques, des traînées de couleurs qui s’étirent sur le sol, des sculptures souples de fils entrelacés, ainsi que d’autres formes plus resserrées sur elles-mêmes. Avec un savoir-faire d’une richesse impressionnante, Sheila Hicks explore toutes les potentialités du textile, qu’elle voit comme une matière vivante au service de la couleur et de l’espace.

 

Sheila Hicks : répartition géographique du produit des ventes aux enchères depuis 2000 (copyright Artprice.com)

 

Reconnaissance du textile dans le champ de l’art contemporain

Tout au long de sa longue carrière, Sheila Hicks navigue habilement entre son travail personnel, exposé dans des galeries et des musées, et des œuvres de décoration réalisées sur commande. En 1977, elle tisse des tapis à la main pour la scénographie du film “The Shining” de Stanley Kubrick, tout en présentant ses œuvres au Musée des Arts Décoratifs de Paris, aux côtés d’artistes tels que Christo et Antoni Tàpies. Des commandes d’envergure, comme celles passées dans les années 70 avec Air France, Knoll ou la Ford Foundation, lui permettent de réaliser d’importantes tapisseries murales. Parmi ses réalisations, on peut citer une série de 18 bas-reliefs en soie sauvage pour des Boeing 747, une composition imposante pour le siège d’IBM France, ou encore une tapisserie conçue pour l’un des halls de l’Assemblée Nationale.

 

Bien que ces commandes s’inscrivent davantage dans le domaine de la décoration que dans celui de l’art pur, Sheila Hicks parvient à créer un lien cohérent entre ses deux pratiques, rendant ainsi les frontières entre art et arts appliqués plus perméables. Dès les années 1960 et 1970, plusieurs musées majeurs, reconnaissant l’aspect résolument novateur de son travail, intègrent ses œuvres à leurs collections. En premier lieu le MoMA de New York, puis le Stedelijk d’Amsterdam, qui lui consacre une exposition en 1974.

 

En France, où le milieu institutionnel tend à cloisonner les disciplines, la reconnaissance de ses pièces textiles comme œuvres d’art à part entière est plus tardive. Il faut attendre le tournant des années 2010 pour que l’œuvre de Sheila Hicks commence à briller sur le territoire français : en 2014, elle expose une œuvre monumentale au Palais de Tokyo, et en 2018, le Centre Pompidou lui consacre enfin sa première rétrospective française, “Lignes de vie”, déclenchée par une donation au Musée National d’Art Moderne de la Ville de Paris. À l’âge de 83 ans, Hicks reçoit cet hommage de la France, lui permettant de s’affirmer comme une pionnière de l’art textile et l’une des artistes les plus virtuoses et créatives de son époque.

 

Cette année, elle a fait une apparition remarquée sur le stand de la galerie Claude Bernard à Art Paris. L’une de ses œuvres était intégrée dans un parcours “Art & Craft” (art et artisanat) du salon, une thématique qui aurait été dénigrée sur un salon d’art contemporain il y a une quinzaine d’années. Toutefois, les collectionneurs sont aujourd’hui en quête de créations hybrides, particulièrement de celles qui réactualisent les mémoires traditionnelles. Les œuvres textiles de Hicks sont désormais présentes sur toutes les grandes foires, d’Art Paris à Art Basel, de l’Armory Show à Tefaf, et gagnent en valeur sur le marché des enchères.

 

Par exemple, ses Satellites, des sculptures de fils évoquant des coussins par leur rondeur, peuvent atteindre plus de 30 000$ dans un petit format, alors qu’ils peinaient à se vendre au quart de ce prix en 2010. Bien que la majorité de ses œuvres, toutes uniques, s’échangent encore pour moins de 50 000$ en salles des ventes, les prix montent avec une assurance croissante. Les œuvres importantes peuvent dépasser le seuil des 100 000$. Le plus haut coup de marteau atteint 556 000$ lors d’une vente aux enchères organisée à Paris en décembre 2022 chez Millon. Ce record couronne une œuvre exceptionnelle, un assemblage complexe de soie, de lin et de coton monté sur huit panneaux, mesurant environ cinq mètres sur trois, réalisée pour le Siège social de la Banque Rothschild à Paris en 1970. Cette vente, triplant le précédent record établi en 2019, révèle l’importance croissante de l’art textile sur le marché de l’art.

 

Après des décennies de résistance, les collectionneurs soutiennent désormais des créations textiles autrefois considérées comme trop liées aux sphères artisanales et domestiques pour être symboliquement admises dans le champ de la création contemporaine. En détricotant ces frontières pour élargir son champ de créativité, Sheila Hicks a pleinement contribué à inscrire le textile dans l’art du 20ème siècle et à le faire entrer dans le cœur des collectionneurs.

 

 

Communiqué d'Artprice