Pour le juge de l'impôt, une pluralité d’actes juridiques (Apport et cession) réalisés dans la même journée, exécutant un seul plan de cession, doit être regardée, au regard de la taxe foncière, comme une opération unique au regard de l’article 1518 B du CGI
L'article 1499 du CGI pose le principe de détermination de la valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Cette valeur est calculée en appliquant au prix de revient des différents éléments, revalorisé à l'aide de coefficients, des taux d'intérêt fixés par décret en Conseil d'État.
L'article 1518 B du CGI instaure quant à lui un dispositif visant à limiter les diminutions de valeur locative pouvant résulter d'opérations de restructuration d'entreprises. Ce mécanisme, communément appelé "valeur locative plancher", fixe des seuils minimaux pour la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions ou de cessions d'établissements.
Dans sa rédaction applicable au litige, l'article 1518 B prévoit plusieurs régimes :
- Pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 1992, la valeur locative ne peut être inférieure à 80% de son montant avant l'opération (5ème alinéa)
- Par exception, pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2011, lorsque l'entreprise cessionnaire ou bénéficiaire contrôle l'entreprise cédante, ou est contrôlée par elle, ou que ces deux entreprises sont contrôlées par la même entreprise, la valeur locative ne peut être inférieure à 100% de son montant avant l'opération (11ème et 12ème alinéas)
L'article 1518 B du code général des impôts (CGI) a pour objet d'éviter qu'à l'occasion de ces cessions, les communes ou leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dotés d'une fiscalité propre ne subissent des pertes de matière imposable trop importantes alors même que la cession des biens est sans incidence sur l'activité de l'établissement cédé.
La question centrale de cette affaire était de déterminer si deux opérations juridiquement distinctes mais économiquement liées (un apport partiel d'actifs entre sociétés d'un même groupe suivi immédiatement d'une cession de titres à un tiers) devaient être considérées comme une opération unique ou comme deux opérations successives pour l'application de l'article 1518 B du CGI.
Rappel des faits :
Le 22 mai 2012, le groupe A a conclu un contrat de cession au groupe K de son activité de production de produits vinyliques.
Pour réaliser cette cession, deux opérations juridiques successives ont été mises en œuvre :
- Le 2 juillet 2012, par un traité d'apport partiel d'actifs, la société A France a apporté les actifs correspondants, comprenant deux établissements industriels situés à Martigues et Fos-sur-Mer, à la société D7, autre société du groupe A
- Le même jour, la société KC a acquis les titres de la société D7, renommée ultérieurement KO
La société KO a contesté les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2018 dans les rôles des communes de Martigues et de Fos-sur-Mer.
L'affaire a connu un parcours procédural complexe. Initialement, le tribunal administratif de Marseille avait fait droit aux demandes de la société. Puis, saisi de pourvois du ministre, le Conseil d'État avait annulé ces jugements et renvoyé l'affaire devant le même tribunal. Par trois jugements du 22 mars 2024, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les demandes de la société KO, qui s'est alors pourvue en cassation devant le Conseil d'État.
- La société KO soutient que l'apport partiel d'actifs et la cession de titres constituaient une opération unique de cession d'établissement entre entreprises non liées. Elle en déduit que la valeur locative plancher applicable était de 80% de la valeur locative antérieure, conformément à l'article 1518 B al.5 du CGI.
- L'administration fiscale défend quant à elle la thèse selon laquelle il convient d'analyser séparément les deux opérations juridiques successives. Puisque la première opération (apport partiel d'actifs) a été réalisée entre deux sociétés du même groupe, elle estime que la règle applicable était celle de l'article 1518 B al11 et 12, imposant une fixité à 100% de la valeur locative.
Le Conseil d'Etat vient d'annuler les trois jugements du 22 mars 2024 et de décharger KO des cotisations de taxe foncière.
La Haute juridiction administrative constate que le traité d'apport partiel d'actifs prévoyait expressément que cet apport était réalisé "pour les besoins de la cession" de l'activité au groupe K. De plus, l'apport et la cession des titres ont été réalisés le même jour, conformément à ce qui avait été prévu dans le contrat de cession du 22 mai 2012.
Elle en déduit que "ces opérations doivent être analysées comme une opération unique de cession d'établissement" au sens de l'article 1518 B entre deux entreprises non liées. Par conséquent, c'est le cinquième alinéa de cet article qui doit s'appliquer, imposant une valeur locative plancher de 80% de la valeur locative antérieure.
En qualifiant l'apport partiel d'actifs et la cession de titres d'opérations distinctes et successives, et en appliquant en conséquence la règle de fixité à 100%, le tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits.
Statuant au fond en vertu de l'article L. 821-2 du code de justice administrative (l'affaire faisant l'objet d'un second pourvoi), le Conseil d'État prononce la décharge des montants de cotisations de taxe foncière excédant ceux résultant de l'application du cinquième alinéa de l'article 1518 B.
Le Conseil d'Etat reconnait qu'un apport-cession réalisé dans le cadre d'un schéma global de cession à un tiers constitue une opération unique,
Il consacre ainsi la primauté de la substance économique sur la forme juridique dans l'analyse des opérations complexes. Le Conseil d'État ne s'arrête pas aux contours juridiques des actes réalisés (apport puis cession de titres), mais recherche la finalité économique de l'ensemble (cession d'une activité à un tiers).