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Plus-values mobilières

Apport avec soulte et abus de droit fiscal : quand le juge sanctionne l'appréhension de liquidités en franchise d'impôt

Nouvelle décision concernant l'application du régime de report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter du CGI dans sa version antérieure à la LF 2017 dans le cadre d'apport de titres avec soulte, confronté aux exigences de l'article L. 64 du LPF. Cette décision, qui rejette la demande de décharge du requérant, souligne la persistance du contrôle de l'administration fiscale sur les opérations d'apport-cession bénéficiant d'un report d'imposition, lorsque le versement d'une soulte est jugé dénué de toute finalité autre qu'exclusivement fiscale.

 

L'article 150-0 B ter du CGI, dans sa version applicable au litige (avant la loi de finances pour 2017), institue un mécanisme de report d'imposition pour les apports de valeurs mobilières à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. Ce dispositif vise à favoriser les restructurations d'entreprises en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités nécessaires, fasse obstacle à l'opération.

 

Une spécificité importante de ce régime, dans la version en cause, est que le report d'imposition bénéficiait à la totalité de la plus-value, y compris la soulte reçue par l'apporteur, à condition que le montant de cette soulte n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport. Au-delà de ce seuil, l'opération était soumise au régime de droit commun de l'imposition immédiate des plus-values de cession (Art. 150-0 A du CGI).

 

L'administration fiscale peut néanmoins écarter l'application littérale d'un texte fiscal en cas d'abus de droit, sur le fondement de l'article L. 64 du LPF. Pour mémoire, cette procédure s'applique lorsque des actes ont un caractère fictif, ou lorsque, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales. En cas de désaccord, le contribuable peut saisir le comité de l'abus de droit fiscal. Si l'administration ne suit pas l'avis du comité (qui est en faveur du contribuable), la charge de la preuve lui incombe. Si l'avis est en faveur de l'administration (comme c'était le cas au cas particulier), c'est au contribuable qu'incombe la charge de la preuve.


 

 

Rappel des faits :

En l'espèce, M. B A a créé la SC 2H Finances, une société civile soumise à l'IS destinée à exercer une activité de holding. Le 15 octobre 2014, il a apporté à cette nouvelle société les titres qu'il détenait dans la SARL H. En contrepartie de cet apport, M. A a reçu des titres de la SC 2H Finances et une soulte de 116 883 €, inscrite au crédit de son compte courant d'associé. Le montant de cette soulte étant inférieur à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, M. A a estimé pouvoir placer l'intégralité de la plus-value réalisée sous le régime du report d'imposition de l'article 150-0 B ter du CGI.

L'administration fiscale a remis en cause cette opération, qualifiant la stipulation de la soulte d'abus de droit. Elle a considéré que cette soulte n'avait aucune justification économique et qu'elle visait exclusivement à permettre à M. A d'appréhender des liquidités en franchise immédiate d'impôt. Par une proposition de rectification du 6 juin 2017, suivie d'une réponse aux observations du contribuable  et d'un avis favorable du comité de l'abus de droit fiscal du 15 novembre 2019 à la position de l'administration, la plus-value correspondant à la soulte a été soumise à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de l'année 2014, pour un montant total de 111 777 €.

 

Après le rejet de sa réclamation préalable, M. A a saisi le Tribunal administratif de Strasbourg, qui a rejeté sa demande par un jugement du 19 décembre 2022. Il a ensuite fait appel de ce jugement devant la CAA de Nancy.


 

Sur le fond :

    • M. A conteste que l'administration ait justifié que les objectifs de l'article 150-0 B ter du CGI s'opposaient à l'application littérale du texte.

    • affirme que la création de la holding n'était pas dénuée de substance économique (rationalisation patrimoniale, constitution d'un groupe familial).

    • soutient que le législateur n'a jamais eu l'intention de conditionner la stipulation d'une soulte à l'existence d'un intérêt économique de la société bénéficiaire à la verser.

    • nie l'existence d'une fraude à la loi ou d'un but exclusivement fiscal.

 

La Cour administrative d'appel de Nancy vient de confirmer le jugement de première instance

 

Elle a précisé que le mécanisme du report d'imposition visait à favoriser les restructurations d'entreprises en évitant que l'imposition immédiate n'y fasse obstacle, en particulier lorsque le contribuable ne dispose pas des liquidités pour acquitter l'impôt. Le fait de stipuler une soulte qui permet à l'apporteur d'appréhender des liquidités en franchise immédiate d'impôt contrevient à cet objectif, même si la soulte respecte le seuil de 10 %. 

 

La Cour a validé le principe du recours à la procédure d'abus de droit pour les soultes inférieures au seuil de 10 %, contrairement aux prétentions de M. BA. Elle a souligné que l'administration est en droit de rechercher si la stipulation d'une soulte poursuit un but exclusivement fiscal, indépendamment des définitions que peuvent en donner les parties. La Cour a rappelé que l'avis favorable du comité de l'abus de droit fiscal à la position de l'administration mettait la charge de la preuve sur M. A pour démontrer que l'opération n'avait pas un but exclusivement fiscal.

 

Au cas particulier, le tribunal a constaté que M. A n'avait produit aucun élément précis permettant de considérer que la stipulation de la soulte de 116 883 euros, obtenue lors de la création de la holding (dont il devenait associé à 99,9 %), poursuivait effectivement et au moins partiellement un objectif autre qu'exclusivement fiscal. Les arguments de rationalisation patrimoniale et de constitution d'un groupe familial n'ont pas été étayés par des faits démontrant une réelle substance économique justifiant le versement de cette soulte plutôt qu'une rémunération intégrale en titres. La Cour a implicitement considéré que la soulte, dans ce contexte de création de holding par un associé quasi-unique, était un simple moyen d'appréhender des liquidités sans imposition immédiate.

 

En conséquence, le Cour a confirmé que l'administration était fondée à imposer la plus-value réalisée à concurrence du montant de la soulte, sur le fondement de l'article 150-0 A du CGI.

 

 

Publié le lundi 21 juillet 2025 par La rédaction

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