Dans le cadre de l’examen en séance publique de l’article 57 du PLF pour 2020 qui prévoit la possibilité pour les administrations fiscale et douanière de collecter et exploiter les données rendues publiques sur les sites internet des réseaux sociaux et des opérateurs de plateforme, les députés ont adopté plusieurs amendements visant la restreindre le champ de l’expérimentation.
L’article 57 du Projet de Loi de Finances pour 2020 autorise, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, la direction générale des finances publiques (DGFIP) et la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) à collecter en masse des données personnelles publiques rendues librement accessibles par les utilisateurs de certaines plateformes en ligne.
Le délai de conservation des données est fixé à :
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une durée maximale de trente jours lorsqu’elles ne sont pas de nature à concourir à la constatation d’un manquement fiscal ou d’une infraction douanière visé « aux b et c du 1 de l’article 1728, aux articles 1729, 1791, 1791 ter, aux 3°, 8° et 10° de l’article 1810 du code général des impôts, ainsi qu’aux articles 411, 412, 414, 414-2 et 415 du code des douanes » ;
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une durée maximale d’une année lorsqu’elles sont de nature à « concourir à la constatation » d’un manquement fiscal ou d’une infraction douanière parmi la liste précitée ;
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jusqu’au terme de la procédure si une procédure pénale, fiscale ou douanière est engagée.
Cette mesure doit permettre à l’administration de mieux détecter des comportements frauduleux sans créer d’obligation déclarative nouvelle pour les contribuables et les opérateurs économiques.
Le dispositif proposé vise en effet les inexactitudes ou omissions relevées dans une déclaration (article 1729 du CGI), ce qui constitue en pratique le fondement juridique principal de la plupart des majorations appliquées lors d’un contrôle fiscal, outre l’intérêt de retard.
Plateformes en ligne visées
Les plateformes en ligne sont très variées.
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Il peut s’agir de multinationales ou de micro- entreprises. Certaines ont acquis un poids économique et une notoriété considérables (Amazon, Airbnb, Blablacar, Booking, Le bon coin, Uber, etc.).
Si elles ont pour point commun d’utiliser internet comme mode d’interaction, leurs modèles économiques sont en réalité très divers.
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Les plateformes de réseaux sociaux , dont l’accès pour les utilisateurs est généralement gratuit, valorisent les données personnelles collectées (Facebook, Linkedin, Instagram, Twitter, etc.) et procèdent à de la publicité ciblée. Certaines d’entre-elles se sont spécialisées dans le partage de vidéos (Youtube, Dailymotion).
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Certaines plateformes se bornent à valoriser des contenus, des biens ou des services proposés par des tiers , tels que les moteurs de recherche ou comparateurs (Lilligo, Lesfurets, etc.). D’autres publient des avis de consommateur (Tripadvisor, Google +, par exemple).
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Certaines relèvent de l’économie du partage et sont caractérisées par des échanges entre particuliers sans but lucratif (tel est le cas du partage de frais de véhicules avec Blablacar).
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D’autres visent à l’appariement de prestataires professionnels de services et de clients (c’est le modèle d’Uber qui propose des véhicules de transport avec chauffeur disponibles à proximité de l’utilisateur).
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D’autres encore sont qualifiées de places de marché, pouvant mettre en relation des particuliers mais aussi des professionnels (Le Bon Coin, Airbnb). Dans ce dernier cas, elles peuvent ou non être intermédiaires de la transaction.
Les données collectables sont l’ensemble des données personnelles publiques figurant sur des plateformes en ligne sans saisie préalable d’un mot de passe ou création d’un compte d’utilisateur.
Rappelons que la CNIL a été saisie par le Gouvernement du projet d’article dès le 28 août 2019. Elle a rendu un avis le 12 septembre 2019 , faisant état de nombreuses réserves tant sur le contour du dispositif que sur son efficience et sa faisabilité.
Voir notre article : Le Big Brother de Bercy se précise, La CNIL donne un accord sous condition |
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Si le Rapporteur général de la Commission des Finances se félicite que le Gouvernement ait proposé une expérimentation (encadrée par le législateur) alors même que ce dernier aurait pu créer par voie réglementaire un tel traitement automatisé il considère qu’il convient de prévoir davantage de garanties et surtout de restreindre le champ de l’expérimentation afin de prévenir au mieux les atteintes à la vie privé.
Ainsi plusieurs amendements adoptés (N° 2169 , 2153 ont prévu de restreindre la collecte des informations, aux seuls contenus « manifestement rendus publics » par les utilisateurs de certaines plateformes en ligne. Il reprend en cela les termes de l’article 9 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, dit « règlement RGPD ».
Par ailleurs, afin d’éviter la violation des données collectées et de s’assurer que seuls des agents publics spécialement habilités pourront y avoir accès, l’amendement 2558 interdit la sous-traitance dans la mise en œuvre de l’expérimentation prévue par l’article 57.
L’amendement 2170 adopté vise à raccourcir la période durant laquelle l’administration fiscale et l’administration des douanes et des droits indirects peuvent conserver des données sensibles ou des données manifestement sans lien avec les infractions recherchées. Celles-ci devront être détruites au plus tard cinq jours après leur collecte.
D’autres amendements adoptés (N° 2552 , 2168 visent à recentrer le dispositif sur les cas les plus graves relatifs à l’économie souterraine et de soustraction volontaire à l’impôt français. Les amendements adoptés écartent l’essentiel des manquements fiscaux donnant lieu à des redressements.
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sont privilégiées les infractions mentionnées à l’article 1729 du CGI découlant d’un manquement aux règles fixées à l’article 4 B
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sont retirées les infractions visées à l’article 1791 du CGI qui couvre l’ensemble des contributions indirectes du même code, c’est-à- dire les contributions sur les alcools, les boissons alcooliques, les tabacs manufacturés, et les garanties des matières d’or, d’argent et de platine.
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en outre, s’agissant des infractions douanières, les amendements adoptés retirent du dispositif les infractions les moins graves et les plus nombreuses visées aux articles 411 et 412 du code des douanes. Ils recentrent ainsi le dispositif sur les délits douaniers visés aux articles 414, 414‑2 et 415 du code des douanes.
L’amendement 2568 prévoit qu’un bilan intermédiaire soit réalisé au milieu de l’expérimentation de trois ans prévue par l’article 57, soit dix-huit mois avant son terme.