Fondé en 1999, Art Paris célèbre ses 25 ans cette année au Grand Palais éphémère. Le salon parisien a su se créer au fil des années une place de choix dans l’univers des foires et plus spécifiquement en France. Après plus d’un quart de siècle passé à mettre en valeur l’Art Moderne et Contemporain, le salon continue d’innover et s’applique à défendre la scène française tout en explorant la création étrangère. Cette 25e édition, du 30 mars au 2 avril 2023, met en lumière 134 galeries d’art venant de 25 pays. Les commissaires d’exposition invités, Marc Donnadieu et Amanda Abi Khalil, invitent à s’interroger sur deux thématiques sociétales : l’engagement et l’exil. C’est au total plus de 900 artistes exposés, dont 16 solo shows et 10 duo shows disséminés dans la foire, qui permettent des focus sur le travail des artistes et enfin 9 galeries ont été sélectionnées dans le secteur Promesses dédié aux jeunes galeries et à la création émergente. Également pionnière dans l’écologie, Art Paris s’engage cette année encore dans une démarche unique d’écoconception.
En partenariat avec Art Paris depuis de nombreuses années, Artprice a le plaisir de proposer cette année une interview à trois voix, convoquant les visions du commissaire d’exposition Marc Donnadieu autour de la d’engagement, de la galerie portugo-angolaise This is a white cube sélectionnée dans le secteur Promesses et de l’artiste Angèle Etoundi Essamba, exposée par la Galerie Carole Kvasnevski et sélectionnée parmi les 20 artistes du parcours Art & Engagement choisis par Marc Donnadieu.
Marc Donnadieu, commissaire d’exposition
Pouvez-vous nous parler de votre démarche de commissaire d’exposition pour Art Paris? Est-elle différente d’une exposition muséale?
C’est totalement différent puisqu’il ne s’agit pas d’accrocher des œuvres muséales dans un espace dédié au sein de la foire, mais de créer un parcours thématique au fil des stands de la foire à partir d’un thème donné, celui de l’engagement. Ce parcours a donc été élaboré en étroite complicité avec les galeries et les artistes qu’elles représentent.
Pourriez-vous nous préciser comment s’effectuera ce parcours et ce qui a guidé votre vision en tant que commissaire?
Le parcours sera signalé dans le plan et dans le guide de la foire, et des petits textes accompagnent chaque œuvre sélectionnée sur chaque stand.
Ma vision a été guidée par la démarche des artistes et les œuvres qu’ils et elles ont produites. J’en ai dégagé diverses formes d’engagement vis à vis de l’art, de l’histoire, de la politique, du colonialisme, de la société, de l’identité, du climat, etc., mais également vis-à-vis du faire de l’œuvre en lui-même : un engagement à être artiste aujourd’hui et ce que cela implique.
Quels ont été vos critères de sélection des galeries et des artistes?
Avant tout les œuvres et les artistes qui me semblaient pertinents vis-à-vis du thème que j’avais choisi. La prospection a commencé dès Art Paris 2022 et s’est affinée au fil de l’année 2022. Il y a toujours eu un très grand renouvellement sur Art Paris. De nouvelles candidatures ont donné lieu à de nouveaux choix d’artistes et d’œuvres. N’en garder que 20 au final a été difficile. Mais au-delà des 20 œuvres sélectionnées pour ce parcours, j’espère que l’idée d’engagement dans l’art et dans l’œuvre va infuser tout Art Paris 2023 dans son ensemble.
La thématique abordée doit-elle être une conviction avant tout personnelle?
C’est d’un côté le reflet d’une certaine histoire du monde de l’art en France depuis le XIXe siècle et que je souhaitais rappeler, et d’un autre côté le reflet de notre temps présent. La production artistique française me semble de plus en plus engagée dans les grands débats d’aujourd’hui. Je voulais simplement mettre cela en lumière. On peut dire que c’est la conviction personnelle des artistes, mais quand celle-ci s’exprime à travers une œuvre d’art cela lui apporte une dimension plus large et face à laquelle chacun peut se reconnaître. Ce sont des formes de révélation, de prises de conscience de soi, des autres, du monde qui nous entoure et de son histoire.
Quel rapport entretenez-vous avec la scène artistique française? Pensez-vous que son dynamisme soit en adéquation avec sa place sur le marché de l’art mondial?
Cela fait plus de quarante ans que j’ai l’immense plaisir de travailler, en France, au cœur de la scène artistique. Il y a eu des envolées fulgurantes et des années noires, mais au fil du temps un renouvellement incroyable. J’ai de plus en plus confiance dans la jeune génération d’artistes, de galeristes, de collectionneurs qui fait ses premiers pas aujourd’hui, même si je sais que ceux-ci sont la plupart du temps difficiles et périlleux. Il s’agit aujourd’hui de ne pas leur couper les ailes !…
Je trouve que la France a une place déterminante sur le marché de l’art. Regardez le nombre de galeries françaises présentes sur les foires internationales ou qui ont des adresses à l’étranger ! Regardez en retour le nombre de galeries étrangères qui s’installent à Paris ! Regardez le nombre d’artistes français représentés par des galeries étrangères, dont certaines de premier plan ! C’est fantastique ! Regardez une foire comme Art Paris qui a parié sur la scène française et qui rencontre un succès sans cesse croissant ! Regardez Paris Photo qui est la plus importante foire consacrée à ce médium dans le monde ! Regardez le nombre de conservateurs étrangers qui viennent travailler dans les musées français ! Et en retour le nombre de conservateurs français qui travaillent dans des musées situés hors de France, et pas dans les moins importants ! Quelle attractivité ! Quelle vitalité ! Quelle reconnaissance!
Sonia Ribeiro directrice de la Galerie This is not a white cube, section Promesses
Qu’est ce qui a motivé votre sélection 100% portugaise pour Art Paris?
La sélection développée spécifiquement pour Art Paris 2023 ne repose pas tellement sur la nationalité, mais plutôt sur des valeurs curatoriales spécifiques qui interrogent les idées de récupération du patrimoine culturel, de durabilité, d’écologie et de disruption. Le projet offre un contrepoint aux injonctions du marché de l’art qui ont conduit à l’uniformisation des langages et des discours dans l’art contemporain.
A travers ces thématiques, ce projet vise également à susciter et promouvoir une réflexion sur la façon dont l’art contemporain s’est affirmé plus généralement comme vecteur de changement.
Pourriez-vous nous présenter l’œuvre que vous considérez comme la plus importante de votre sélection et pourquoi en quelques mots? Quels sont ses atouts?
Conformément au parti pris de transversalité de la galerie, les œuvres à l’étude ont été sélectionnées collectivement pour leur valeur artistique ainsi que pour leur pertinence dans l’espace du site.
Ce projet commun, malgré la valeur intrinsèque de chaque pièce, propose une expérience immersive des œuvres des deux artistes, que THIS IS NOT A WHITE CUBE entend faire dialoguer – Manuela Pimentel et Vanessa Barragão.
Le travail de Vanessa BARRAGÃO matérialise le sujet de la durabilité au moyen de l’art textile. De manière significative, ses œuvres et tapisseries en grand format sont profondément inspirées par la nature et sont ancrées dans une approche entièrement durable. Dans son processus créatif, organique et méditatif, elle utilise une méthode artisanale écologique, qui consiste à recycler les déchets des usines portugaises et à les transformer en jardins sous-marins grâce à diverses techniques traditionnelles, telles que le crochet, le tissage, la broderie et le macramé, impliquant des communautés. Vanessa emploie une approche durable en renouvelant et en récupérant les techniques traditionnelles – quelque chose qui, bien qu’abordé de manière différente, résonne profondément avec le travail de Manuela Pimentel. Si l’investissement de Vanessa pour l’art est indissociable de son implication dans le monde contemporain, l’engagement de Manuela est ancré dans le patrimoine culturel et l’histoire.Dans son travail, où peintures et sculptures se mêlent, Manuela PIMENTEL reconfigure la place du carreau de céramique portugais comme objet sacralisé de la mémoire collective locale. Ce faisant, elle interroge notre rapport à la permanence et à l’éphémère de notre héritage. Elle explore également la valeur poétique de l’inconstance de l’art.
L’hétérogénéité des médiums utilisés, associée à la culture savante de la céramique – incroyablement décorative, issue de “l’âge d’or” portugais – ou à la culture vernaculaire – née de l’observation des espaces publics et privés – révèle la complexité et l’amplitude du langage artistique de Manuela Pimentel. Cette exploration de l’ambiguïté se nourrit d’un sublime jeu de contrastes, qui incorpore non seulement une appropriation et une réinvention des codes visuels et des canons du baroque mais aussi une esthétique du Street art assimilée par l’artiste. Elle se révèle dans le concret des matériaux avec lesquels elle simule des structures murales, et dans son utilisation d’affiches populaires, érodées par le temps et astucieusement soustraites à la rue.
Fondamentalement, ce recours à un processus durable de création artistique lie les deux artistes – que ce soit en récupérant des tissus recyclés, comme dans le travail de Vanessa ou en donnant une nouvelle vie à de vieilles affiches de rue, comme le fait Manuela. Les deux artistes sont profondément liées à un activisme/artivisme environnemental.
Vous faites parti de la section Promesses, quelles sont vos attentes pour votre première participation?
Tout d’abord, nous avons tendance à considérer les foires d’art comme d’énormes opportunités de reseau. Le travail de l’artiste et de la galerie seront exposés à un tout nouvel écosystème et à une communauté de conservateurs, d’acheteurs, d’amateurs d’art, de collectionneurs, de consultants, de presse et de critiques. Pour cette raison, l’introduction dans un marché mature comme Paris est une opportunité précieuse dans la carrière d’un artiste, favorisant une exposition directe à un public profondément spécialisé. Les foires sont des structures qui ne sont pas exclusivement liées à la mécanique pure et simple du marché de l’art. Elles se sont révélées au fil des années comme des plateformes de rencontre entre les différents acteurs de l’éco-système de l’art contemporain et s’affirment de plus en plus dans la production de contenus artistiques et l’élaboration de connaissances.
Quel rapport entretenez-vous avec les collectionneurs et le public français?
La communauté française est très chère à la galerie car THIS IS NOT A WHITE CUBE est présente en France depuis sa fondation en 2016. Être de retour à Paris est l’occasion pour la galerie de réengager son public local.
Nous avons créé au fil du temps des liens étroits avec la communauté et les institutions françaises et nous valorisons leur rôle en tant que créateurs de culture, non seulement sur le territoire français, à travers nos participations à des foires d’art et à des projets artistiques, mais aussi à Lisbonne et à Luanda où la galerie est basée.
Angèle Etoundi Essamba, Galerie Carole Kvasnevski et sélectionnée pour le parcours Art & Engagement
Votre travail sera exposé avec la Galerie Carole Kvasnevski lors de la foire Art Paris autour de la thématique Art & Engagement. Comment vous situez-vous par rapport à cette thématique abordée?
C’est une thématique qui pour moi va de soi et qui se traduit subtilement dans mon travail. L’art n’est pas un luxe réservé à une élite comme beaucoup le pense, mais un besoin vital. Pour le créateur, c’est d’abord un moyen de se libérer, de s’exprimer, de transmettre un message, de questionner, de dénoncer. L’art est pour tout un chacun parce qu’il a justement cette force de capter l’attention, de nourrir l’imagination et de susciter des émotions du regardeur. L’artiste à travers ses Créations a ce pouvoir de changer les regards, d’inspirer, de nourrir des perspectives d’avenir, de faire rêver et d’amener le regardeur à prendre conscience d’autres réalités et d’une autre approche du monde. Au-delà du côté esthétique et des compositions harmonieuses dans mon travail, j’explore les questions de genre, de race, de (double) identité et de pouvoir. Il y a ce fort besoin d’alimenter une réflexion humaine qui vise à une prise de conscience et invite le spectateur à changer son regard sur l’autre, son rapport à l’autre et la place de l’autre dans le monde.
Vous mettez la femme africaine au cœur de vos préoccupations artistiques et humaines, militez-vous pour la démocratisation des femmes artistes? Que pensez-vous de la place des femmes dans l’art ?
La femme africaine est ma muse et c’est autour d’elle que s’articule tout mon travail. Je milite de manière pacifique, à travers mes créations. J’ai fait de la photographie ma pratique quotidienne, parce que j’étais confrontée à l’absence d’images auxquelles je pouvais m’identifier dans l’environnement où je vis. Cela m’a poussé à créer mes propres images mais en leur donnant une résonance universelle. Mes interrogations, mes aspirations, résonnent avec celles d’autres femmes. Je milite pour la démocratisation des femmes artistes. J’encourage les jeunes filles à embrasser les vocations artistiques de l’art, notamment la photographie afin que les femmes s’inscrivent aussi dans l’histoire de l’art et contribuent à inspirer d’autres femmes. Il est vrai qu’on a fait du chemin depuis le XIXe siècle où devenir femme artiste relevait d’un véritable défi. Elles n’avaient pas accès à nombre de formations accessibles aux hommes et ne pouvaient se former que grâce à des cours particuliers. Avec l’apparition des académies privées, la donne change et les femmes peuvent enfin se former aux métiers d’art et exister. Aujourd’hui elles ont conquis avec brio toutes les disciplines de l’art et les genres et on compte de nombreuses artistes femmes, théoriciennes et historiennes de l’art. Cependant même si cette époque est révolue, les femmes artistes restent encore sous représentées, hormis dans les musées de la femme qui leurs sont dédiés. Dans nos cultures du sud, être femme artiste est souvent mal perçu et marginalisé. L’héritage que nous aspirons à léguer aux générations futures n’est-il pas celui d’un monde plus juste et égalitaire où chacun peut s’épanouir librement ? Et les femmes y ont un grand rôle à jouer, par leurs combats, leurs défis, ce qu’elles irradient, elles portent un autre regard sur le monde.
Mon travail questionne les représentations stéréotypées de la femme noire véhiculés par les médias occidentaux, où elle est souvent « exotisée », soumise, passive, dépendante ou cantonnée à certains rôles – comme paysanne, vendeuse au marché, mère au foyer… Je déconstruis ces clichés en représentant la femme africaine dans une dimension symbolique et esthétique et dans un contexte contemporain où elle peut se reconnaître, se projeter et construire de nouveaux messages à transmettre au monde. A travers mon objectif, je me réapproprie le corps noir féminin et montre que comme tout autre corps, il est aussi habité par la vie et ses mystères. C’est un corps qui interroge, dénonce, s’insurge, s’émerveille, parle de luttes, d’épanouissements, de fragilité et d’espoir, de force et de résilience. Des femmes qui se réapproprient leur identité et réécrivent leur propre histoire, une histoire ancrée dans leur réalité.
Reconnue sur la scène internationale, votre travail a été exposé de nombreuses fois à Paris notamment, quels rapports entretenez-vous avec le public français et les collectionneurs?
Ayant grandi en banlieue parisienne, je garde un lien très fort avec la France ou j’ai vécu mes années de formation (9-20 ans). Je me souviens de mon premier appareil photo, un Instamatic offert par une de mes meilleures amies du lycée où nous étions membres d’un club photo. Je n’oublierai jamais l’excitation de tenir un appareil photo pour la première fois, c’était tout simplement magique. Ensuite ma toute première exposition individuelle en France s’est tenue à Paris en 1989, dans une petite galerie située au boulevard Saint Germain. D’autres expositions ont suivi depuis lors, grâce à ma galerie Carole Kvasnevski qui présente régulièrement mes œuvres en France et dans des foires (AKAA, la BAD et maintenant Art Paris) et les fait connaître à un grand public et à de nouveaux collectionneurs.
Le public Français, collectionneurs et amateurs d’art compte beaucoup et je travaille à maintenir ce lien et à le développer afin de voir aussi mes œuvres entrer dans des collections muséales françaises.