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Marché de l'art

Artistes marocains : rien ne va plus aux enchères

 

La cote des artistes marocains contemporains vacille, même pour les plus confirmés d’entre eux. Le développement annoncé du Marché de l’Art au Moyen-Orient, pourra-t-il créer un rebond salutaire ?

 

Un suivi aux enchères frileux

Il fut un temps où le marché semblait prêt à parier sur la nouvelle génération d’artistes marocains. Il y a une dizaine d’années, la Compagnie Marocaine des Œuvres & Objets d’Art multipliait les mises en vente, suivie ponctuellement par la maison française Piasa. L’ambition était claire : tester le marché en introduisant aux enchères des talents émergents déjà distingués par des prix et des expositions internationales. Mais cet élan a été de courte durée.

Mohssin Harraki, Zainab Andalibe, Hanane El Farissi, Hicham Gardaf, Chourouk Hriech, Randa Maroufi, Amina Rezki… Tous ces artistes ont fait leur entrée en salles de ventes au milieu des années 2010 via la Compagnie Marocaine des Œuvres & Objets d’Art. Mais leur marché s’est rapidement éteint faute d’enthousiasme.

Même constat pour Younes Baba-Ali. Jeune trentenaire au moment de son introduction aux enchères, il semblait promis à un bel avenir. Lauréat du prix Léopold Sédar Senghor à la Biennale de Dakar en 2012 et du prix Boghossian à l’Art’Contest de Bruxelles en 2014, il était en pleine ascension. En 2016, sa photographie Kit mains libres (2014) atteignait 3 440 $ à Marrakech, une vente qui aurait pu marquer le début d’un second marché prometteur. Mais les tentatives suivantes, que ce soit au Maroc ou en France, ont toutes échoué. Ni sa participation à la Documenta 14 à Berlin (2017), ni la présence de ses œuvres dans des collections publiques comme celle du Mu.ZEE à Ostende n’ont suffi à attirer les enchérisseurs.

 

Artistes contemporains marocains (nés après 1945) : évolution du produit des ventes aux enchères (copyright artprice.com)

FR_Evolution du produit des ventes des contemporains marocains.png

 

Un marché frileux face aux jeunes artistes

Parier sur des artistes à la demande encore balbutiante est un exercice périlleux. Aux enchères, l’engouement peut propulser des cotes vers des sommets, mais si le marché ne suit pas, les soumissions répétées et les invendus qui en découlent peuvent durablement nuire à une trajectoire. Sans signe de consolidation rapide, les maisons de ventes n’ont pas insisté pour mettre ces artistes aux enchères. Un choix stratégique, mais aussi le symptôme d’un marché qui tarde à se structurer.

 

Ventes laborieuses et érosion des prix

Quand un artiste manque de soutien sur le second marché, la revente d’une œuvre peut devenir un véritable parcours du combattant – même lorsque celle-ci a appartenu à des mains influentes.

C’est précisément ce qui est arrivé à Dans (2012), une grande toile de Hamid El Kanbouhi, artiste installé à Amsterdam. Bien qu’ayant figuré dans la prestigieuse collection du marchand et collectionneur Charles Saatchi, l’œuvre a dû passer cinq fois aux enchères avant de trouver preneur. Son prix final ? À peine 5 000 $ en 2021 chez Bonhams Londres, une maison où la provenance Saatchi est pourtant un sésame convoité.

Mais il y a pire encore que ces ventes laborieuses : l’érosion pure et simple des prix. Or, c’est exactement ce qui frappe plusieurs artistes marocains, dont la cote aux enchères s’effrite au lieu de se consolider. Un paradoxe, tant leur travail est parfois reconnu et apprécié à l’international.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En une décennie, les photographies calligraphiées de Lalla ESSAYDI (1956) ont vu leur chiffre d’affaires annuel divisé par cinq. Quant aux œuvres de la série Tambour de Latifa ECHAKHCH (1974), qui pouvaient dépasser autrefois les 100 000 $, elles peinent à trouver preneur pour la moitié de cette somme. Un marché qui ralentit, là où il devrait s’affirmer. Même les artistes les plus en vue ne sont pas épargnés. Mounir FATMI (1970), l’un des rares contemporains marocains à avoir décroché une adjudication à six chiffres, incarne ce paradoxe.


Lalla Essaydi

Lalla ESSAYDI (1956)Bullets Revisited #6 (2012) Tirage pigmentaire publié par Nazraeli Press (30,8 x 24,1 cm, Ed. 6 / 100)
Estimation: 2 000 $ – 3 000 $. Prix au marteau: 1 600 $ Swann Galleries, New York, 08/05/2025

Mounir Fatmi : un parcours prestigieux mais un marché en demi-teinte

Mounir Fatmi figure parmi les artistes marocains contemporains les plus reconnus. Son parcours est jalonné de participations aux Biennales de Venise, Sharjah, Dakar, Gwangju ou Lyon, ainsi que d’expositions collectives de prestige au Centre Pompidou à Paris, au Victoria & Albert Museum de Londres et même au Louvre Abu Dhabi. À cela s’ajoutent de nombreux prix saluant son travail. Malgré cette reconnaissance institutionnelle, l’artiste peine à trouver son rythme aux enchères.

Il a pourtant connu de beaux succès par le passé, atteignant un record à 134 500 $ chez Sotheby’s Doha en 2010 avec Tête Dure (2006). Entre 2008 et 2011, 79% de ses œuvres mises en vente trouvaient preneur sans difficulté. Mais depuis 2021, la dynamique s’est nettement essoufflée : son taux de succès est tombé à 42% et sa meilleure adjudication récente, Al Jazeera (2007), ne dépasse pas les 18 800 $ (Artcurial Marrakech, 30/12/2022). Un repli qui illustre la volatilité du marché et la difficulté, parfois, de transformer un prestige institutionnel en valeur marchande durable.

 

Évolution du produit des ventes aux enchères de Mounir FATMI (1970)

FR_graph Mounir Fatmi

 

Essoufflement en silence : Rachid Ben Ali, Wafae Ahalouch El Keriasti…

Le marché de certains artistes marocains semble s’être essoufflé en silence, sans véritable explication. Une érosion qui contraste avec la reconnaissance dont ils bénéficient dans les milieux institutionnels.

Prenons le cas de Rachid BEN ALI (1978). Dans les années 2000, ses dessins et peintures à l’huile étaient estimés entre 1 000 et 2 000 $, des prix déjà modestes. Pourtant, aujourd’hui, ses œuvres s’échangent en salles des ventes entre 200 et 800 $ à peine. Une somme dérisoire pour un artiste dont le talent lui a pourtant ouvert les portes de la collection permanente du Stedelijk Museum d’Amsterdam.

Autre exemple frappant : Wafae AHALOUCH EL KERIASTI (1978). Formée aux Beaux-Arts d’Utrecht et d’Amsterdam, présente dans plusieurs collections institutionnelles étrangères, elle a aussi été invitée en résidence au musée d’art contemporain Wiels en Belgique. Un parcours solide, qui aurait dû renforcer sa cote sur le marché. Et pourtant, c’est tout l’inverse qui s’est produit. À croire que les collectionneurs ont oublié d’activer leurs alertes email pour suivre ses enchères…

 

En 2022, une de ses acryliques part pour moins de 1 000 $ chez Adams Amsterdam Auctions. Un prix presque symbolique, loin des niveaux atteints avant 2010. En 2008, sa grande toile Clockwork (2007) franchissait les 13 000 $ à Casablanca. Depuis ? Plus aucune œuvre aussi importante n’est apparue aux enchères…

Le cas d’Aziz Amrani illustre aussi cette absence de soutien sur la durée. Peintre basé à Chefchaouen et enseignant les arts plastiques, il avait suscité l’intérêt de collectionneurs étrangers grâce à plusieurs expositions collectives à Paris et Barcelone. Son marché semblait en bonne voie : il y a vingt ans, ses toiles s’adjugeaient autour de 5 000 $ chez Boisgirard à Paris.

 

Aziz AMRANI

Aziz AMRANI (1970)Sans titre. Technique mixte/toile, 72 x 130 cm
Estimation: 517 $ – 620 $. Non vendue Mazad et Art, Tanger, 28/04/2019

 

Mais cet élan n’a pas été entretenu. Les ventes parisiennes ne se sont pas poursuivies et sa cote s’est peu à peu essoufflée sur le marché marocain. À mesure que les collectionneurs se détournaient aux enchères, ses prix ont chuté : en quelques années, ses œuvres ne trouvaient plus preneur qu’à quelques centaines de dollars. Pire encore, son second marché s’est littéralement éteint : depuis cinq ans, aucune de ses œuvres n’a refait surface aux enchères.

Ce manque de relais condamne certains artistes à voir leur cote fondre, voire à disparaître totalement des salles de vente. Une tendance inquiétante, qui interroge sur les dynamiques de soutien et de valorisation du marché de l’art marocain depuis l’introduction de nouveaux artistes aux enchères il y a 10 ans.

 

Opportunités à saisir et éclaircie dans un ciel couvert

Si cette léthargie freine la construction d’une cote solide des artistes marocains, elle ouvre aussi des fenêtres d’acquisition remarquables. En 2023, lors de la vente caritative de Mazad et Art Marrakech, une grande photographie de Mohamed El Baz (décédé en 2024) s’est vendue pour seulement 606 $. Plus récemment, une installation délicate de Latifa Echakhch – des sculptures en papier noirci à l’encre de Chine – est partie pour 1 280 $ chez Bonhams New York (Les Petites Lettres, 2009), en dessous des 2 000 à 3 000 $ attendus.

Autre exemple : une acrylique de Aicha FILALI (1956) qui avait atteint 16 080 $ en 2009 chez Phillips de Pury à Londres, était proposée pour moins de 1 000 $ en mai dernier chez Roseberys Londres. Un marché en berne, certes. Mais pour les collectionneurs avertis, des opportunités en or.

Certains artistes parviennent tout de même à tirer leur épingle du jeu, à l’image de Mous LAMRABAT (1983). Ce photographe belgo-marocain, diplômé de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand, a vu l’une de ses œuvres trouver preneur au moment idéal. Sa photographie Ceci n’est pas une Magritte (2019) s’est envolée à 19 200 $ chez Phillips Londres le 21 novembre 2024, soit deux jours après que René Magritte ait battu son propre record mondial à plus de 121 millions de dollars à New York. La vague surréaliste insufflée par ce coup d’éclat aurait-elle porté l’hommage audacieux de Lamrabat ? Quoi qu’il en soit, son interprétation décalée a su atteindre le sommet de son estimation en captant l’air du temps. Les réponses favorables du marché de l’art sont aussi une histoire de timing.

 

FR_Mous Lamrabat

 

Le ciel s’éclaircira-t-il bientôt pour ces artistes contemporains ? C’est possible. Car si l’activité aux enchères marque le pas, le dynamisme du Moyen-Orient pourrait bien offrir de nouveaux relais. L’essor des musées et des expositions à Dubaï ou Abu Dhabi, l’ouverture du Guggenheim Abu Dhabi annoncée pour le début d’année 2026, la première d’Art Basel Qatar à Doha au même moment, ou encore l’obtention récente de licences commerciales par Sotheby’s et Christie’s pour organiser des ventes en Arabie Saoudite : autant de signaux forts.

Ils témoignent d’une montée en puissance de la région, susceptible de redonner de la visibilité — et de la valeur — aux artistes contemporains du monde arabo-musulman.

Publié le mardi 15 juillet 2025 par Artprice

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