Art : Véra Molnar, hommage à une pionnière

12/12/2023 Par Artprice
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Véra Molnar s’est appuyée sur les ordinateurs pour composer ses œuvres pendant plus de cinquante ans. Elle nous a quittés le 7 décembre dernier, soit quelques semaines avant l’ouverture d’une exposition qui devait fêter son centenaire au Musée national d’art moderne de Paris.

 

Véra Molnar fut la première femme à utiliser des algorithmes pour élaborer ses oeuvres en commençant par travailler comme un ordinateur avant d’en avoir un à disposition. Dès 1959 en effet, elle met au point sa méthode de “machine imaginaire”, soit des procédures logiques séparant les modalités de conception et de réalisation pour produire des compositions. Déjà, elle élargit les manières de générer le dessin en s’appuyant sur des dispositifs mathématiques, des programmes simples. Une dizaine d’années plus tard, elle frappe à la porte du centre informatique de l’Université de Paris et parvient à utiliser un ordinateur parmi les chercheurs qui programment alors sur des cartes perforées.

Une nouvelle vision de l’art

Au fil des avancées technologiques, Véra MOLNAR se libère de plus en plus du travail de calcul mental fastidieux nécessaire à la conception de ses œuvres en délégant à la machine l’investigation et la proposition d’un riche corpus d’images dans lequel elle va puiser. En 1974, elle met au point, avec son mari le mathématicien François Molnar, un programme d’aide à la création baptisé le MolnArt (programme relié à un écran de visualisation et à un traceur). Le procédé est le suivant : Véra dicte ses volontés à l’ordinateur, attend que la machine lui fournisse une multitude de possibilités, fait varier les paramètres pour baisser la redondance, tâtonne, modifie à nouveau jusqu’à obtenir un état esthétique satisfaisant qu’elle transpose, enfin, sur une toile. Les images sont donc issues des propositions d’une machine paramétrée par une artiste qui reprend cette matière numérique avec des manipulations intuitives, introduit un soupçon de désordre, injecte des irrégularités. La subjectivité de l’artiste est aussi au travail et, In fine, c’est toujours elle qui décide de la validité esthétique des propositions, qui choisit de conserver telle ou telle image parmi les infinies variations proposées.

 

Il serait tentant de simplifier l’œuvre de Molnar en la réduisant à ses procédés numériques or, pour l’artiste, la ligne est un être vivant, dynamique, existant dans l’espace et le temps. Son émergence ne se réduit pas à la transcription visuelle de données mathématiques : elle est aussi porteuse d’histoires sensibles. Sa forme, son orientation, son ondulation, son rythme ou sa  brisure, sont des figures narratives et, en tant que telles, véhiculent du vécu.

Réception de l’oeuvre d’hier à aujourd’hui

Il y a 50 ans, le monde de l’art n’était pas prêt à recevoir des œuvres intégrant des machines à leur processus de création. Celles de Véra Molnar étaient plus susceptibles de scandaliser le public que de l’intéresser… À l’époque, l’artiste fut d’ailleurs accusée par certains membres de son entourage de déshumaniser l’art. L’incompréhension face à sa volonté tenace de marier l’art à l’innovation la laissera longtemps en retrait du champ commercial de l’art. Les galeries n’auraient tiré aucune rentabilité d’un travail si anticipateur d’un art numérique en train de bouger les lignes du marché de l’art depuis trois ans seulement. Il a fallu attendre les années 1990 pour que les œuvres de Véra Molnar commencent à être vendues, soit après plus de 40 années de création mais depuis 2022, elles se prêtent à des jeux de dématérialisation particulièrement en phase avec notre époque.

 

La création de son premier NFT en 2022 a d’ailleurs permis à l’artiste de renouveler son record personnel aux enchères. Ce NFT appelé 2% of disorder in co-operation #01 a en effet atteint 138 600$ lors de la vente Natively Digital 1.3: Generative Art organisée par Sotheby’s en avril 2022. Le record pour une œuvre physique fut établi trois mois plus tard chez Phillips à Londres, avec 120 700$ déboursés pour un ensemble d’impressions numériques de 1974 (neuf dessins déclinant des carrés, sous le titre (Des)ordres).

 

En 2023, Sotheby’s a lancé sa première plateforme d’art génératif avec 500 œuvres génératives de la dernière série de NFT Molnár, Thèmes et variations (2023). Cet ensemble d’œuvres réalisées en collaboration avec Martin Grasser constitue le premier projet d’art génératif en chaîne de Véra Molnar, impliquant que les 500 NFT qui composent la série n’existent pas tant qu’ils ne sont pas achetés. Bien que l’artiste ait généré des exemplaires tests pour prévisualiser la série, chaque NFT n’est frappé qu’au moment de sa vente. Les enchères se sont ouvertes en juillet 2023 avec un prix de départ de 20 ETH, qui est le prix maximum auquel chaque NFT peut être acheté. Le prix baissait ensuite par incréments de 0,1 ETH toutes les 15 secondes, jusqu’à ce que les œuvres soient épuisées ou que le prix atteigne 0,75 ETH.

 

Toujours en phase avec les technologies innovantes à l’approche de ses 100 ans, Véra Molnar affichait néanmoins des niveaux de prix encore modestes, notamment en regard des montants accordés à la nouvelle génération d’artistes digitaux. Face aux 138 600$ de son record, un NFT de Dmitri CHERNIAK (1988) (Ringers #879) s’est par exemple élevé jusqu’à 6,2m$ l’été dernier chez Sotheby’s. Mais la relecture incessante de l’œuvre de Molnar, notamment celle proposée en début d’année prochaine au Centre Pompidou, pourrait donner un élan mérité à la cote d’une telle pionnière.

 

D‘autant que si le marché des NFT s’est considérablement essoufflé après la puissante vague spéculative qui a fait trembler le marché de l’art en 2021, quelques bénéfices surgissent de ce qui semble avoir été un feu de paille. Ce coup de projecteur sur l’art numérique éclaire désormais sous un nouveau jour les grands pionniers, dont Véra Molnar fait indubitablement partie. Plusieurs collectionneurs de NFT et quelques grandes maisons de ventes aux enchères affichent en effet la volonté de remonter aux origines de l’art algorithmique, d’écrire une histoire de l’art numérique en remontant à sa source, source que Véra Molnar a magistralement alimentée.

 

Exposition Vera Molnár, 100 ans

Centre George Pompidou, Paris

28 février – 2 septembre 2024

 

Communiqué d'Artprice