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Marché de l'art

La revanche des peintres abstraits : le rôle stratégique de grands galéristes dans l’ascension des cotes

Longtemps boudés par le marché, les géants de l’abstraction lyrique reviennent en force. Hartung, Mathieu, Schneider… ces figures majeures du 20e siècle ont enchaîné records et pics de transactions, dopés par l’engagement stratégique de galeries influentes comme Perrotin et Nahmad. Coup d’œil sur un retour triomphal.

 

Après des décennies de relative indifférence, les grands abstraits de la seconde moitié du 20e siècle ont connu récemment un spectaculaire rebond. Hans Hartung, Georges Mathieu, Gérard Schneider… ces noms qui ont façonné l’abstraction lyrique retrouvent une place de choix sur le marché international.

 

Loin d’un simple effet de mode, ce regain d’intérêt s’ancre dans une dynamique de fond, portée par des acteurs puissants comme la galerie Emmanuel Perrotin, qui orchestre depuis une décennie une véritable reconquête autour de ces œuvres. Quels effets concrets observe-t-on sur le marché secondaire ? Comment, et avec qui, la galerie Perrotin refaçonne-t-elle aujourd’hui la trajectoire des grands abstraits ?

 

L’union fait la force

L’entrée d’un artiste dans le giron d’une grande galerie internationale agit souvent comme un catalyseur. Et lorsqu’il s’agit d’Emmanuel Perrotin associé, de surcroît, à d’autres galeries de premier plan, l’impact peut être considérable.

 

Depuis dix ans, la galerie Perrotin affirme un positionnement clair en faveur des maîtres de l’abstraction, redessinant les trajectoires de plusieurs artistes majeurs. L’intégration de Pierre SOULAGES (1919-2022) marque le point de départ : en avril 2014, Perrotin lui consacre une double exposition à New York aux côtés de la grande galeriste Dominique Lévy, puis inaugure son espace tokyoïte en 2017 avec les toiles du maître de l’Outrenoir.

 

La même année, le galeriste français annonce la représentation de la succession Hans HARTUNG (1904-1989), cette fois aux côtés des galeries Simon Lee et Nahmad Contemporary. Dès lors, les signaux s’emballent : expositions muséales, dont un dialogue Rothko–Hartung au Centre Pompidou, visibilité décuplée, et surtout, flambée des enchères. En un an, le résultat des ventes aux enchères de Hartung bondit de +60%, avant d’enregistrer un nouveau pic à +56% en 2019. Et comme souvent, à l’ascension des prix succède une accélération des transactions. La machine est relancée.

 

Soutien des grands galeristes : l’exemple de Georges Mathieu

En 2019, c’est l’œuvre de Georges MATHIEU (1921-2012) qui rejoint l’écurie Perrotin dans le cadre d’un partenariat stratégique avec la famille Nahmad. L’annonce fait l’effet d’un électrochoc : en deux ans, le produit de ses ventes aux enchères double, passant de 8 à 16 millions de dollars en 2021.

 

Son œuvre suscite un nouvel engouement, porté par une vague internationale. L’activité s’intensifie, notamment en Asie, où des collectionneurs de Pékin, Shanghai, Tokyo, Singapour ou encore Hong Kong se disputent ses toiles. C’est d’ailleurs à Hong Kong que tombe son record absolu : 2,3 millions de dollars en 2021.

« Nous sommes honorés de travailler avec la Succession de Georges Mathieu, qui nous a confié l’héritage de cet artiste visionnaire. Aussi audacieux qu’expérimental, Mathieu est le fondateur de l’Abstraction Lyrique, et l’un des pionniers de l’Action Painting et de l’art performatif, avec un travail présent dans une multitude de musées et de prestigieuses collections partout dans le monde. Notre décision de collaborer est un défi excitant qui a revigorera l’héritage de Mathieu à l’international. »

Communiqué officiel des galeries Nahmad et Perrotin, juin 2019

Après l’Asie, cap sur New York : en novembre 2022, Sotheby’s y enregistre la première vente millionnaire de Mathieu sur le sol américain. Camp de Carthage (1951) s’y vend 1,4 million de dollars. Un jalon important pour celui que le grand critique Clement Greenberg considérait comme l’un des peintres européens les plus influents.

 

Mais après l’envolée, le marché se stabilise. Le 11 avril 2025, jour même de l’ouverture de la rétrospective consacrée à Mathieu à la Monnaie de Paris, Christie’s vend Crissay (1969), une toile de moyen format, pour 71 250 $ — un prix raisonnable, sans exubérance. Quelques semaines plus tôt, une œuvre plus spectaculaire, Les Yeux du jour (1987/88), partait à Hong Kong pour 121 500 $. Les acheteurs ne se ruent plus sur toutes les œuvres : ils trient, cherchent des toiles fortes, bien datées, issues de collections solides.

 

Après l’ascension, le marché de Mathieu entre dans une phase plus sélective — un moment d’opportunité pour les collectionneurs patients.

 

Évolution du produit des ventes aux enchères de Georges Mathieu

Un record annuel est atteint deux ans après l’annonce de la représentation de sa succession par les galeries Perrotin et Nahmad Contemporary — signe fort de l’impact de ce partenariat stratégique sur le marché secondaire.

 

Mathieu- evolution du produit des ventes aux enchères

 

Impact sur les prix aux enchères : l’exemple de Gérard Schneider

Dernier en date à bénéficier de la dynamique initiée par Emmanuel Perrotin : Gérard SCHNEIDER (1896-1986) En 2022, le galeriste lui consacre une exposition dans son nouvel espace parisien dédié au second marché, avenue Matignon. Le succès est immédiat. À Art Basel, la galerie vend deux œuvres. À Independents 20th Century, à New York, une vingtaine d’œuvres auraient trouvé preneur.

L’effet ne tarde pas à se faire sentir aux enchères. En 2023, une toile magistrale de 1952 (Opus 21B) explose son estimation : cédée pour 367 300 $, elle établit un nouveau sommet pour l’artiste. Quelques mois plus tard, Opus 375(1948), tout aussi historique, dépasse à son tour les 300 000 $. Deux pièces inédites sur le marché, provenant de collections privées, tombées à point nommé. Le marché s’emballe : le chiffre d’affaires bondit de +139% en un an, et le volume de transactions double l’année suivante.

Mais comme pour Georges Mathieu, le marché se stabilise après la poussée. En avril 2025, une belle toile de 1957 (Opus 132 CY) est vendue 57 000 $ chez Christie’s Paris. Une grande aquarelle de 1978, proposée chez Artcurial, part pour 6 600 $. Des résultats raisonnables, qui traduisent une approche plus sélective des acheteurs et une prudence généralisée sur le marché.

L’élan d’enthousiasme, comme souvent après un effet d’annonce, semble retombé. Mais les fondamentaux restent solides. Comme l’écrivait Michel Ragon : « L’abstraction lyrique s’est surtout incarnée dans Gérard Schneider, comme le cubisme dans Picasso. »

 

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Véritable label sur le marché, la galerie Perrotin agit comme un catalyseur de valeur pour les artistes qu’elle représente. Par sa stature internationale, elle influe puissamment sur le marché secondaire, à l’instar des géants Gagosian, Zwirner ou Pace.

 

Forte de douze espaces répartis sur trois continents — de Paris à New York, de Séoul à Dubaï — la galerie d’Emmanuel Perrotin franchissait un cap en avril dernier en s’alliant au fonds d’investissement Colony, devenu son actionnaire majoritaire. Une première dans le secteur, décrite comme une petite révolution dans l’écosystème de l’art. Ce partenariat stratégique, inédit en ces temps incertains, pourrait offrir à la galerie les moyens de ses ambitions : renforcer sa croissance, répondre aux enjeux globaux du marché et faire rayonner encore davantage la marque Perrotin à l’échelle mondiale.

 

Représentation des grands abstraits par les galeries Perrotin et associés

  • 2014 : Pierre Soulages entre à la galerie Perrotin qui lui orchestre une double exposition à New York avec la galerie Dominique Lévy.
  • 2017 : La galerie Emmanuel Perrotin représente la succession de l’artiste Hans Hartung (succession Hartung-Bergman), en collaboration avec les galeries Simon Lee (malheureusement fermée depuis pour insolvabilité) et Nahmad Contemporary.
  • 2019 : La galerie Emmanuel Perrotin représente la succession de Georges Mathieu, en association avec Nahmad Contemporary.
  • 2022 : La galerie Emmanuel Perrotin représente la succession de Gérard Schneider.

Publié le mercredi 4 juin 2025 par Artprice

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