Le premier est marocain, la seconde béninoise : M’barek Bouhchichi et Moufouli Bello ont fait parler d’eux sur des scènes internationales tout en restant, pour l’heure, discrets aux enchères. Présentation de deux artistes à suivre, dont le point commun est la réalisation de ces portraits figuratifs qui trouvent un écho très favorable aux enchères depuis quelques années.
M’barek Bouhchichi
M’barek Bouhchichi vit, crée et enseigne l’art à Tahannaout, au Maroc, où il endosse son rôle avec cœur et conviction. Enseigner l’art est un véritable engagement pour lui, car cela implique de jouer un rôle social décisif en participant à la construction de la création contemporaine de son pays. Cette mission essentielle lui offre aussi la chance de rester en contact avec les nouvelles générations et les changements sociétaux dont les jeunes sont porteurs. Or, les pratiques artistiques de M’barek Bouhchichi se nourrissent de ces engagements-là : se souvenir et questionner l’histoire tout en étant profondément ouvert sur la modernité.
Né en 1975 à Akka, l’artiste à la vocation précoce, puisqu’il commence à peindre à l’âge de 19 ans. Au fil des années, son travail s’ouvre à une diversité de médiums et il marque les esprits avec des installations, dont le “matérialisme conceptuel” et poétique implique toujours une analyse des systèmes sociaux, des mécanismes de discrimination à l’encontre des Berbères noirs du sud du Maroc. L’une de ses installations à forte résonance a intégré les collections du Centre Pompidou en 2020. Il s’agit d’Imdyazne #3 (2018), une œuvre constituée de 13 bâtons appuyés contre un mur. Réalisés en bois et en cuivre, les bâtons ciselés à leur surface transportent avec eux les vers du poète M’Barek Ben Zida (1925-1973), un poète-paysan noir de Tata praticien d’Ahwach, une forme de poésie orale accompagnée de musique, de danse et souvent pratiquée sous forme de joutes. A travers Imdyazne #3, M’Barek BOUHCHICHI insuffle une nouvelle forme aux mots, mais pas seulement : “en apportant un éclairage nouveau sur les activités traditionnellement associées aux Noirs dans le sud marocain, M’barek Bouhchichi bouleverse symboliquement les divisions établies de l’espace et du travail. Il effectue des prélèvements dans la réalité sociale, qu’il convertit en formes physiques”, pour reprendre les mots d’Omar Berrada dans un très beau texte consacré à l’artiste sous le titre “Mémoire et Matière”.
Depuis 2018, année de son exposition sur la 13ème édition de la Biennale de l’Art Africain Contemporain de Dakar et sur l’édition londonienne de la foire 1-54 où il était représenté par la galerie Voice (Marrakech), le travail de M’barek Bouhchichi est défendu par un nombre grandissant d’institutions et de galeries, parmi lesquelles Selma Feriani (Tunis), Valentina Bonomo (Londres) et l’Atelier 21 (Casablanca). Les collectionneurs internationaux découvrent donc son travail depuis quatre ans seulement, alors que sa notoriété est faite au Maroc depuis longtemps, que ses œuvres ont gagné de belles collections privées sur place et que certaines reviennent déjà sur le marché des enchères. En 2017, la Compagnie Marocaine des Oeuvres et Objets d’Art soumet en effet aux enchérisseurs de Casablanca une gravure sur caoutchouc de près de deux mètres, Moroccan Pattern #1 (2017), cédée pour plus de 5 000$. En 2021, Artcurial renoue, depuis Marrakech, avec une vente autour de 5 000$ pour un portrait sans titre (Sans titre, image ci contre) tout juste sorti de l’atelier. Cette vente au double de l’estimation basse chez Artcurial envoie alors un signal favorable quant au retour de l’artiste à la peinture.
Ce retour à la peinture est bénéfique pour séduire davantage les collectionneurs privés, plus enclins à acheter des œuvres réalisées sur des supports classiques plutôt que des installations qui impliquent une logistique parfois lourde (stockage, modalité d’exposition, conservation). Une installation de M’barek Bouhchichi vendue aux enchères l’année dernière – Terre, constituée d’une multitude de petites têtes de différentes couleurs en terre cuite – a vu son prix plafonner à 3 500$ seulement lors d’une vente caritative au profit du Norval Sovereign African Art Prize 2022. Les collectionneurs ont manqué de nerfs pour soutenir cette première installation en salle, dont le prix reste dans la fourchette basse de son estimation. Mais l’aspect positif de cette vente repose sur le fait qu’elle se soit tenue chez la puissante Sotheby’s New York, dont le réseau planétaire de collectionneurs est désormais informé que M’barek Bouhchichi est un artiste à suivre.
Moufouli Bello
Créant la notoriété et stimulant le désir, les expositions peuvent avoir une influence immédiate sur la demande, et considérablement booster le premier comme sur le second marché. Le pedigree conféré par certaines expositions et la visibilité accrue d’œuvres relayées par la presse permet à de jeunes artistes d’intégrer très rapidement les coulisses du marché de l’art et d’être repéré pour de grandes ventes aux enchères internationales.
Il en va ainsi de Moufouli BELLO, artiste béninoise de 35 ans, qui vit et travaille à Cotonou. La jeune femme a commencé à trouver son public en 2017 à l’occasion de l’exposition Afrique : Le grand Festin, organisée à Vienne (Autriche) où elle exposait aux côtés de l’artiste camerounais Barthélémy Toguo qui utilise a bon escient sa notorité internationale pour assurer la promotion de ses cadets. Rappelons en effet que Barthélémy Toguo a créé, en pays Bamileke au Cameroun, en 2000, la fondation Banjoun Station animé par le désir de faire en sorte que l’Afrique et les Africains soient maîtres de leur production artistique et qu’ils se développent avec une plus grande indépendance.
Trois ans après l’exposition viennoise au côté de Toguo, Moufouli Bello conforte sa place dans le secteur convoitée d’une peinture africaine engagée en intégrant une autre exposition de groupe : Say My Name : Signature African Art. Présentée par la cinéaste Ava DuVernay, l’exposition visait à mettre le mouvement Black Lives Matter au cœur du monde artistique londonien à partir d’octobre 2020, autour de 13 artistes tous basés en Afrique. Moufouli Bello y montre alors d’imposants portraits de femmes noires adoptant généralement des attitudes dominantes calquées sur la gestuelle masculine, dont un grand portrait intitulé Breonna (2020), convoquant “Breonna Taylor”, une ambulancière afro-américaine de 26 ans tuée par balle par des agents de la police de Louisville en mars 2020. Cette œuvre ayant été reproduite à de nombreuses reprises dans la presse, elle est en quelque sorte devenue l’emblème de l’exposition Say My Name… avant de faire son apparition aux enchères en novembre 2021, de surcroît chez l’une des plus prestigieuses maisons de ventes : Sotheby’s, à Londres. Breonna a trouvé son acheteur au prix de 18 600$, un résultat d’autant plus honorable s’agissant d’un tout premier passage en salle pour la jeune femme
Aucune œuvre n’est passée aux enchères depuis. Néanmoins, d’autres portraits de Moufouli Bello ont été présentés à Londres en octobre dernier, dans le cadre de de la foire 1-54. On pouvait alors constaté que la cote de ses grands portraits à l’atmosphère bleutée avait doublé depuis la vente de Breonna chez Sotheby’s, les toiles étant proposées entre 35 000 et 41 000$ sur 1-54 Contemporary African Art Fair. Les prix montent très vite pour cette nouvelle génération de peintres portée par une demande qui s’est considérablement internationalisée. Or le travail de Moufouli Bello répond parfaitement aux attentes du marché actuel.