Le marché de l’art s’enflamme déjà pour les œuvres de l’artiste polonaise Magdalena Abakanowicz, bientôt exposée à la Tate Modern à Londres.
Née en 1930 dans la banlieue de Varsovie, issue d’une noble lignée que la légende familiale fait remonter à Gengis Kahn, Magdalena Abakanowicz a successivement vécu la perte des privilèges de sa classe sociale, le second conflit mondial – dont la mutilation de sa mère par le tir d’un soldat ivre -, et les conditions de vie extrêmement difficiles des Polonais dans les années d’après-guerre. Les tragédies et les difficultés matérielles ont fortement influé sur la conception des œuvres de cette artiste, acclamée sur le plan international.
Des sculptures ambivalentes
Rapidement, Magdalena ABAKANOWICZ abandonne la peinture pour s’imposer une interaction directe avec la matière, sans esquisse préalable, avec le souci de la réalité physique des choses. Elle fait du matériau de fortune de ses années d’apprentissage son matériau de prédilection : des fibres tissées – matériau ambigu et organique – qu’elle travaille en trois dimensions, dans des volumes imposants. Elle invente ainsi une forme d’installation basée sur des “tapisseries-sculptures”, baptisées “Abakans”, d’après son patronyme.
Les formes brutes individuellement pressées à la main, leur surface rêche et rouillée, leur matériau voué à la dégradation renvoient à la corporalité et à la précarité nécessaire du vivant. L’exposition à venir à la Tate Modern de Londres (17 novembre 2022 – 21 mai 2023) promet de réunir bon nombre des Abakans les plus importants agencés comme “une forêt” au sein de la galerie de 64 mètres de long du bâtiment Blavatnik de la Tate Modern. L’évènement explore cette période de transformation de la pratique d’Abakanowicz, lorsque ses formes tissées se détachent du mur pour se retrouver dans l’espace tridimensionnel.
Mais l’imagerie qui l’a rendu célèbre est celle des corps sans tête, fabriqués à partir de sacs soutenus par une armature en acier ou renforcés avec de la colle et de la résine. Ces carapaces de dos sont particulièrement ambivalentes. Présentent-elles des hommes assujettis ou en pleine prière ? En se mettant dans la peau d’un visiteur, l’artiste interroge : “Est-ce Auschwitz ? ; Est-ce une cérémonie religieuse au Pérou ? ; Est-ce une danse du Ramayana ?”. Un peu de tout cela peut-être…
L’œuvre puissante et singulière de Magdalena Abakanowicz bénéficie d’une grande visibilité. Nous ne détaillerons pas ici ses nombreux prix et les expositions dont elle a bénéficié, la liste étant trop longue. Rappelons seulement que le succès est précoce puisqu’elle obtient le Grand Prix de la Biennale de Sao Paulo en 1965, ce qui lui apporte d’emblée une notoriété internationale et permet le début d’une carrière fructueuse. Au même moment, elle commence à enseigner à l’Académie des beaux-arts de Poznań, en Pologne. En 1975, la Whitechapel Art Gallery à Londres, lui consacre une première monographie et, cinq ans plus tard, elle représente la Pologne à la Biennale de Venise où elle montre Embryology : 800 cocons de différentes tailles réalisés en toile de jute, gaze et chanvre. Cette installation fait désormais partie de l’exposition permanente de la Tate Modern.
Soutenue depuis près de 20 ans par la prestigieuse galerie Marlborough, ses œuvres sont présentes dans les plus grandes institutions culturelles internationales, principalement en Europe et aux États-Unis.
Polski: Zespół Czarnych Form Organicznych, 1974. Art Museum de Łódź
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L’artiste la plus cotée du marché polonais
À partir de la fin des années 1980, Abakanowicz diversifie ses matériaux, réalisant notamment des sculptures en bronze. Ce matériau, noble et résistant (notamment aux intempéries extérieures) semble plus adapté aux collectionneurs privés que les œuvres textiles, lesquelles demandent une attention plus rigoureuse quant aux conditions de conservation. En 2019, un ensemble de sculptures en bronze représentant plusieurs silhouettes dépourvues de têtes dépassait pour la première le seuil du million de dollars, grimpant même jusqu’à 2m$ chez Desa Unicum. Caminando (c’est son titre), devenait alors l’œuvre d’art la plus chère jamais vendue en Pologne, deux ans après le décès de l’artiste, advenu le 20 avril 2017 à Varsovie.
Depuis la vente de Caminando, le marché polonais a dispersé quatre oeuvres pour des montants supérieurs, dont un superbe et historique portrait de femme peint par Peter Paul Rubens dans les années 1620, et deux installations de Magdalena Abakanowicz. Le nouveau record d’adjudication a donc passé un nouveau seuil de prix l’an dernier : 3,3m$ ayant été atteint pour un ensemble de 50 sculptures en résine et jute (Crowd III (50 figures)), vente Desa Unicum, Varsovie, 21/10/2021).
En décembre, la hausse des prix s’est confirmée avec la vente de Bambini (1998/99) représentant 83 personnages de la taille d’un enfant. L’œuvre avait auparavant été exposée au Metropolitan Museum of Art de New York (Abakanowicz on the Roof), au Jardin du Palais-Royal à Paris, ainsi que dans divers autres pays. Comme Crowd III en octobre, Bambini a dépassé les 3m$ à Varsovie, cette fois chez Polswiss Art.
Les œuvres monumentales de Magdalena Abakanowicz s’imposent désormais sur le marché des enchères, si bien que le rythme de ses transactions à été multiplié par cinq en quelques années. Son produit de ventes annuel est passé de 1,6m$ à 9,8m$ entre 2020 et 2021, et l’indice de ses prix a récemment bondi de plus de 400%… Une dynamique qui ne semble pas prête de s’arrêter, avec l’ouverture prochaine de la grande exposition qui lui est consacrée à la Tate Modern. La demande grandissante profite pleinement au marché polonais, premier pourvoyeur des oeuvres de cette artiste ayant passé la majeure partie de sa vie à Varsovie. L’an dernier, la vente de ses œuvres a généré plus de 8 millions de dollars en Pologne, soit près de 6% du résultat annuel du pays.
Progression annuelle du produit des ventes de Magdalena Abakanowicz
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Répartition géographique du produit des ventes de Magdalena Abakanowicz
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