Panorama de l’art latino-américain aux enchères

08/11/2023 Par Artprice
6 min de lecture
 

L’intérêt pour l’art d’Amérique latine est manifeste à bien des égards. Les initiatives muséales et privées se multiplient depuis le début du millénaire, essentiellement en Europe et aux États-Unis. Des initiatives visant à soutenir et diffuser, à tisser des liens et à constituer la masse critique et les archives indispensables pour orchestrer des acquisitions pertinentes.

 

Le travail initié il y a une dizaine d’années par le musée Guggenheim est exemplaire sur ce point : en 2013, le curateur d’origine mexicaine Pablo León de la Barra est embauché par le musée Guggenheim en qualité d’expert pour l’art latino-américain.

 

L’une de ses missions est de proposer des artistes et des œuvres destinées à intégrer les collections permanentes. Cette prise de position du grand musée américain n’est pas un phénomène à part : le Centre Georges Pompidou de Paris, la Tate Modern de Londres, le MoMA de New York, tous ces musées de grande envergure collectent des informations et des œuvres latino-américaines, parfois par le biais de fonds d’acquisition spécialisés, à l’instar du Fond Latino-américain et caribéen du MoMA. Tandis que les grands musées témoignent de la valeur historique ou artistique des artistes latino-américains, qu’en est-il de leur valeur marchande sur le seul terrain qu’il est possible d’analyser avec fiabilité : celui des enchères?

 

FRIDA KAHLO (1907-1954), Portrait of Cristina, My Sister (Collection Jerry Moss)

Estimé entre 8 et 12 millions de dollars chez Christie’s pour la vente 20th Century Evening Sale du 9 novembre

 

Place des latino-américains dans le marché mondial

L’art d’Amérique Latine se place naturellement sous la coupe de Frida Kahlo et d’autres icônes populaires telles que Fernando Botero ou Wifredo Lam, aux côtés desquelles fleurit une création artistique foisonnante mais dont la notoriété varie sur la scène internationale. Les ventes aux enchères, tout en réservant certaines surprises, n’échappent pas à une telle emprise. Aussi, pour apprécier toute l’ampleur de ce marché et en sentir la véritable profondeur, convient-t-il de commencer par identifier le nombre total d’œuvres adjugées chaque année en salles des ventes, la façon dont ces échanges se déploient à la surface de la Terre ainsi que les résultats de chaque artiste les uns par rapport aux autres.

Au total, 6 904 artistes latino-américains comptent au moins une œuvre d’art vendue aux enchères publiques entre 1998 et 2022. Ils enregistrent tous ensemble 152 500 adjudications pour un total de 2,92 Mrd$. Ce riche marché est toutefois sujet à une forte concentration de valeur, puisque les 100 artistes latino-américains les plus performants du monde aux enchères engrangent 82% du chiffre d’affaires, avec 30% des transactions. Ces artistes font l’objet d’une attention prioritaire de la part des collectionneurs et des acteurs du marché.

 

ÉVOLUTION DE LA POSITION DE FERNANDO BOTERO AU CLASSEMENT MONDIAL DES ENCHÈERS

 

Les figures tutélaires

Huit pays d’Amérique Latine contribuent plus que les autres à rendre la création artistique de ce continent visible sur le marché de l’art international, fournissant chacun une ou plusieurs superstars que valorisent énormément les collectionneurs : Roberto Matta pour le Chili, Joaquín Torres-García pour l’Uruguay, Jesús-Rafael Soto et Carlos Cruz-Diez pour le Vénézuela, etc. Il en résulte que 100 signatures latino-américaines concentrent à elles-seules 82% de la valeur de ce marché.

 

Les préférences des collectionneurs ont évolué en l’espace de 25 ans sans jamais toutefois être véritablement bouleversées. Les artistes modernes Rufino Tamayo, Roberto Matta et Wifredo Lam dominent avec Fernando Botero le classement annuel des artistes latino-américains les plus performants en salles des ventes depuis un quart de siècle. De toute évidence, les œuvres latino-américaines les plus attendues sur le marché international ont été produites vers le milieu du 20ème siècle, notamment par les artistes qui ont gravité autour du mouvement surréaliste. Mais les années 1990 ne sont pas en reste, avec les sculptures et les peintures de Fernando Botero ainsi que les installations de Félix González-Torres. Dans tous les cas, le marché montre bien qu’il valorise en premier lieu les artistes latino-américains qui ont noué des liens ostensibles avec l’histoire de l’art occidentale. 

 

Malgré le petit nombre d’œuvres en circulation, Frida KAHLO se hisse parmi les dix artistes les plus performants de ce marché. C’est la première artiste femme de ce marché, mais dix autres figures féminines prennent place à ses côtés parmi les 100 artistes latino-américains les plus performants du monde aux enchères depuis 1998 : Beatriz Milhazes, Adriana Varejão, Carmen Hererra, María Berrío, Lygia Clark, Amelia Peláez, Martha S. Boto, Alicia Pérez Penalba, Doris Salcedo et María Freire. La présence féminine est ainsi trois fois plus importante dans le top 100 latino-américains que dans le top 100 mondial.

 

L’artiste colombien Fernando BOTERO, décédé le 15 septembre dernier, s’iimpose comme l’artiste le plus performant du continent latino-américain aux enchères. Il est, en quelque sorte, la signature de ralliement des ventes d’art latino-américain : la session Latin American Art du 9 mars 2023 de Christie’s comprenait d’ailleurs 10 œuvres d’un Fernando Botero à la notoriété écrasante, sur une vente de 48 lots.

 

D’autres artistes, peut-être moins connus du grand public, sont incontournables pour les collectionneurs : citons l’Afro-brésilien Cildo MEIRELES, désormais classé dans le Top 100 aux enchères mondiales (selon ses résultats sur 20 ans) ou la graveuse cubaine Belkis AYON, dont les prix explosent. L’œuvre de Belkis Ayon aborde des thèmes aussi spécifiques que les croyances, rituels et mythes de la société secrète Abakuá qui fait partie intégrante de l’univers religieux afro-cubain. Sa carrière fut interrompue par son suicide à l’âge de 32 ans : l’extrême rareté des œuvres, en plus de leur virtuosité, font d’elle l’une des graveuses les plus convoitées du marché. Une gravure monumentale dont il existe quatre exemplaires seulement – Desobediencia (1998, 253,4 x 197,2 cm) – a flambé à 214 200$ en septembre 2022, lors de la vente Latin American Art de Christie’s à New York, un prix exceptionnel, trois fois supérieur à l’estimation haute. 

 

Belkis Ayon, Desobediencia

 

Un marché porté par les salles des ventes new-yorkaises

Les États-Unis jouent un rôle prépondérant dans la dynamique des échanges. New-York concentre à elle seule 68% du chiffre d’affaires de l’art latino américain aux enchères sur les vingt-cinq dernières années ; tandis que les autres villes américaines, dont Miami, Chicago, Dallas et Los Angeles, ajoutent encore 3%. La domination new-yorkaise s’explique en partie par le fait que de nombreux artistes y ont étudié et s’y sont installés, depuis Rufino Tamayo dans les années 1920 jusqu’à María Berrío aujourd’hui, en passant par Félix González-Torres dans les années 1980, tissant des liens étroits avec la scène artistique locale ainsi qu’avec les marchands et les collectionneurs.

 

New York règne au 21e siècle sur le marché de l’art haut de gamme, attirant plus que toute autre ville les plus belles pièces au monde ; et celles de l’art latino-américain ne font pas exception. Elles trouvent leur place dans les prestigieux catalogues de vente du soir dédiés à l’art du 20e siècle, mais font aussi l’objet de sessions spécifiques à New York, intitulées Latin American Art. Celles-ci ont joué un rôle fondamental dans le développement du marché de l’art latino-américain, totalisant plus de 1,43Mrd$ sur 25 ans.

 

Les ventes thématiques sont toutefois devenues moins fréquentes au cours des cinq dernières années, en particulier depuis que Sotheby’s et Phillips ont choisi de répartir les œuvres latino-américaines dans des catalogues plus généraux. Le département “Amérique latine” de Phillips, qui entend jouer un rôle fondamental dans la promotion du marché de l’art latino-américain, affiche son objectif d’offrir le meilleur tremplin aux artistes latino-américains en les plaçant parmi les figures phares de l’art européen et américain. Un choix stratégique pour s’adresser à l’ensemble des collectionneurs internationaux et une façon de valoriser les artistes d’Amérique latine sans les mettre à la marge. 

 

Communiqué d'Artprice