Yoshitomo Nara, l’artiste asiatique le plus coté du marché de l’art contemporain

19/12/2023 Par Artprice
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Figure de proue de la création nippone, Yoshitomo Nara s’est imposé dans les collections du monde entier avec, pour seul sujet, une petite fille aux grands yeux.

 

Yoshitomo Nara s’est fait connaître au moyen d’un unique sujet emblématique : une enfant aux traits stylisés, présentée sur fond neutre, immédiatement reconnaissable. Son dessin rejoint la figuration du monde Superffat, dont Takashi Murakami invente le terme en 2001, lançant là l’un des mouvements les plus revigorants de l’art postmoderne. L’esthétique Superflat (super-plate) plonge tout aussi bien son inspiration dans les gravures ukiyo-e historiques de l’époque d’Edo que dans les mangas déferlants au Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce courant faussement “plat” et superficiel a contribué à placer l’art contemporain japonais sur la carte du monde de l’art et à asseoir au passage Yoshitomo Nara comme l’un des artistes les plus cotés de la planète.

 

Né en 1959 et élevé à Hirosaki, une ville isolée d’Aomori, dans le nord du Japon, Yoshitomo NARA passe une enfance solitaire à la campagne, entouré de vastes champs. Entre des parents forts occupés et deux frères beaucoup plus âgés, il s’occupe en écoutant de la musique, joue avec les chiens des voisins et gribouille sur des carnets de croquis. Il déménage à Tokyo dans son adolescence, puis à Nagakute à l’âge de 21 ans pour étudier l’art à l’Université d’Aichi, avant de quitter le Japon pour l’Allemagne en 1988. Il poursuit alors son apprentissage artistique à la Staatliche Kunstakademie de Düsseldorf pendant six ans, sous le mentorat d’A.R. Penck, puis s’établit à Cologne avant de revenir au Japon en 2000. Au milieu des années 1990, il expose déjà occasionnellement ses œuvres à Nagoya et à Tokyo, où il commence à s’imposer.

 

Les peintures de cette période présentent des contours noirs épais, des couleurs tranchées, des traits volontairement naïfs ou grossiers rappelant des croquis pour manga. Elles révèlent néanmoins déjà certaines caractéristiques de sa maturité plastique. De profonds changements stylistiques se produisent à partir de 2000, coïncidant avec le retour de l’artiste dans son pays natal. Nara se dirige tout d’abord vers des toiles grand format pour réaliser des portraits en pied sur un fond nacré vibrant, raffiné sans en avoir l’air. En affinant par ailleurs les proportions et les traits des petites filles, il parvient à leur conférer une aura énigmatique plus captivante. L’enfant déborde le prétexte d’un sujet “mignon” pour se faire le véhicule d’une allégorie subversive. 

 

Évolution de l’indice des prix aux enchères de Yoshimoto Nara (copyright Artprice.com)

 

Pas si mignon

Le Kawaii n’est pas seulement un adjectif que l’on traduit par “Mignon”. Il est une véritable obsession japonaise qui, depuis son apparition il y a une cinquantaine d’années, s’est immiscée dans toutes les strates de la culture japonaise y compris dans des évènements officiels requérant a priori le plus grand sérieux. Expression d’un syndrome de Peter Pan quelque peu pathétique pour bien des occidentaux nés avant les années 1980, cette esthétique  Kawaii serait, pour les japonais, une immaturité cultivée dans le but de contrebalancer la rigidité et les pressions extrêmement lourdes qu’exercent sur eux l’école, la famille puis l’entreprise pour qu’ils réussissent à tout prix. Il s’agit donc, initialement, d’une forme de contestation, exprimée par un retour à l’esprit enfantin. Une contestation peuplée de gentils petits lapins, de lolitas aux chaussettes hautes et de mascottes géantes à câliner. On y promeut une gentillesse, une vulnérabilité et une innocence se voulant attendrissantes, que Nara se plaît à déformer dans ses œuvres.

 

Sous la mièvrerie stylistique des enfants peints par Nara pointe un jenesaisquoi de grinçant, une énergie rebelle, une tension vers le conflit. Les petites filles potelées aux visages renfrognés livrent parfois un regard oblique, empli d’une colère rentrée. Elles pourraient se battre contre plus fort qu’elles, d’autant qu’elles dissimulent de temps à autre une arme dans leur dos. Ces enfants expriment moins le paradis d’une innocence insouciante que la conscience du danger dans un monde social sous haute pression. 

 

C’est l’un des tours de force de Nara sur lequel s’est assis sa singularité et sa notoriété : refondre les formes japonaises traditionnelles et contemporaines les plus populaires tout en exprimant les sentiments ambigus d’une jeunesse souvent maussade. Autre force, sa capacité à séduire et à satisfaire tout type de collectionneur, du milliardaire influent au jeune amateur de culture pop, non argenté. 

 

Yoshimoto Nara, Night Walker

Réception sur le marché de l’art

L’ascension fulgurante de Yoshitomo Nara sur le marché mondial des enchères est emblématique des transformations rapides du Marché de l’Art Contemporain sur une génération. Absent des radars en 2000, il obtient un premier résultat millionnaire à New York en 2007 pour une petite funambule (Night Walker, 2001) revendue presque un million de plus en 2014 à Hong Kong (Sotheby’s). Mais la cote et la popularité internationale de Nara explosent véritablement en 2015, année où l’artiste déclenche pas moins de neuf ventes millionnaires et se hisse dans le top 100 des artistes mondiaux les plus performants aux enchères. Son ascension n’est pourtant pas encore terminée.

 

En octobre 2019, l’année de ses 60 ans, Nara pulvérise son précédent record à l’occasion d’une vente d’art contemporain organisée par Sotheby’s à Hong Kong. Son sommet passe de 4,4m$ (Sleepless Night (Cat)) à près de 25m$ pour une imposante toile (234 x 208 cm) datée de 2000, soit l’année du retour de l’artiste au Japon après 12 ans passés en Allemagne. La fillette du tableau, qui dissimule une arme dans son dos comme l’indique le titre Knife Behind Back, devient alors plus coûteuse que les meilleures œuvres de Takashi MURAKAMI. Un véritable renversement s’opère : Nara s’impose alors comme l’artiste contemporain aisatique favori des grands collectionneurs internationaux. Aujourd’hui, il apparaît comme le 20e artiste le plus performant du monde des enchères (au 1er décembre 2023), toutes périodes de création confondues, et le deuxième sur la période strictement contemporaine, derrière l’éternel premier Jean-Michel Basquiat.

 

Répartition géographique du produit des ventes aux enchères de Yoshimoto Nara (copyright Artprice.com)

 

Le monde de Yoshitomo Nara ne saurait cependant se réduire à une niche réservée aux collectionneurs fortunés. L’artiste a suivi la voie ouverte par son compatriote Takashi Murakami, et par Andy Warhol avant eux, en déclinant son travail sous toutes formes d’éditions et de produits dérivés. En plus des des peintures et des sculptures ultra-valorisées, il produit des animaux en peluche, des céramiques, des luminaires, des lithographies, de petites figurines éditées sur plusieurs milliers d’exemplaires, des skateboards, des cendriers, des réveils et même des boîtes à pansements, souvent édités en partenariat avec les sociétés américaines Cerealart Multiples et Artware. Il a ainsi suivi le modèle économique initié par Takashi Murakami qui, en créant sa société Kaikai Kiki Co. il y a plus de 20 ans, a largement contribué à estomper les frontières entre les beaux-arts et l’art commercial. La déclinaison de leurs formes créatives vers des objets accessibles par des publics de tous les spectres économiques a permis aux Néo-Pop japonais d’infiltrer tous les domaines de la culture de consommation, et de devenir un phénomène véritablement international.

 

C’est ainsi que Nara, artiste auréolé d’une centaine d’adjudications millionnaires, est par ailleurs abordable pour quelques centaines de dollars. Attention cependant car l’esprit de collection peut faire flamber les prix des plus petites choses : une serviette de plage atteignait 2 656$ à Londres l’été dernier…

 

Communiqué d'Artprice