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Contrôle et contentieux

Garanties du contribuable vérifié : le droit d'entretien avec le supérieur hiérarchique s'applique à toutes les procédures de contrôle

Nouvelle précision juridictionnelle relative à la portée des garanties prévues par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, particulièrement le droit de s'adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur en cas de difficultés, et affirme que ces garanties s'appliquent indépendamment de la procédure d'imposition ultérieurement mise en œuvre.

 

Pour mémoire, Le dernier alinéa de l'article L. 10 du LPF impose à l'administration de remettre au contribuable, avant l'engagement d'une vérification, la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, dont les dispositions sont opposables à l'administration. Cette charte constitue un élément essentiel de l'encadrement procédural des contrôles fiscaux et de la protection des droits du contribuable.

 

La charte prévoit spécifiquement, dans son § 6 du chapitre premier, que le contribuable peut s'adresser à l'inspecteur divisionnaire ou principal, puis à l'interlocuteur désigné par le directeur, en cas de difficultés survenant pendant la vérification. Le § 4 du chapitre III précise que ces mêmes interlocuteurs peuvent fournir des éclaircissements supplémentaires si le vérificateur maintient ses redressements après la phase contradictoire.

 

Cette procédure s'articule avec les dispositions de l'article L. 74 du LPF qui permet à l'administration de procéder à une taxation d'office en cas d'opposition à contrôle fiscal, et avec l'article L. 76 qui encadre les modalités de notification des bases d'imposition évaluées d'office.

 

Rappel des faits :

L'affaire oppose l'administration fiscale  à une société de droit polonais, ZOPL, soupçonnée d'exercer en France une activité occulte de placement de main-d'œuvre et de travail temporaire. À la suite d'une procédure de visite et saisie autorisée par l'autorité judiciaire en novembre 2012, l'administration a engagé une vérification de comptabilité couvrant la période 2005-2012.

L'administration fiscale a engagé une procédure d'évaluation d'office des bases d'imposition, en application de l'article L. 74 du LPF, pour opposition à contrôle fiscal. Cette procédure a entraîné des rappels de TVA, des suppléments de CVAE, et d'autres impositions assorties de pénalités. La chronologie du contrôle était le suivant :

  • Le 15 juin 2015, un procès-verbal d'opposition à contrôle fiscal a été dressé contre la société en raison du défaut de production de sa comptabilité
  • Le 19 juin 2015, le conseil de la société a demandé un entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur pour évoquer les difficultés du contrôle et "trouver un mode opératoire permettant de répondre aux demandes" de l'administration.
  • Le 23 juin 2015, cette demande a été refusée. Le supérieur hiérarchique a refusé l'entretien au motif que cette garantie ne s'appliquerait que dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire, après confirmation des redressements
  • Le 2 septembre 2015, l'administration a notifié à la société les bases d'imposition évaluées d'office
  • Un entretien avec le supérieur hiérarchique n'a finalement eu lieu que le 28 septembre 2016, soit plus d'un an après la demande initiale et seulement après l'exercice d'un recours hiérarchique par la société.

     

La société polonaise soutient avoir été privée de la garantie prévue par la charte du fait du refus opposé à sa demande d'entretien du 19 juin 2015. Elle estime que ce refus constitue une violation des droits procéduraux qui entachait la régularité de la procédure d'imposition.

 

L'administration fiscale de son côté estime que le droit d'entretien avec le supérieur hiérarchique ne s'appliquait qu'aux procédures contradictoires et non aux procédures de taxation d'office. Elle met en avant le fait qu'un entretien avait finalement eu lieu en septembre 2016, avant la mise en recouvrement des impositions.

 

Les juges du fond ont donné raison à l'administration. Le tribunal administratif de Strasbourg, par jugement du 29 juin 2021, a rejeté les conclusions de la société. La CAA de Nancy, par arrêt du 21 décembre 2023, a confirmé cette décision en considérant que l'entretien du 28 septembre 2016 avait permis à la société de bénéficier de la garantie prévue par la charte, même de manière différée.

 

La société s'est pourvue en Cassation.

 

Le Conseil d'Etat vient d'annuler l'arrêt de la CAA de Nancy

 

La haute juridiction énonce d'abord un principe général selon lequel...

la possibilité pour un contribuable de s'adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis à l'interlocuteur départemental ou régional constitue une garantie substantielle ouverte à l'intéressé à deux moments distincts de la procédure d'imposition.

 

Cette dualité correspond à deux finalités différentes : résoudre les difficultés de déroulement du contrôle d'une part, discuter du bien-fondé des rectifications d'autre part.

 

S'agissant du premier moment, relatif aux difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle, le Conseil d'État affirme que...

...la garantie est offerte à tous les contribuables, quelle que soit la procédure d'imposition qui sera ultérieurement mise en œuvre à leur encontre.

Autrement dit, le Conseil d'Etat prend le contrepied de l'interprétation restrictive de l'administration qui réservait cette garantie aux seules procédures contradictoires.

 

La décision précise ensuite les délais dans lesquels cette garantie peut être exercée selon la procédure applicable :

  • Pour les procédures contradictoires, elle peut être mise en œuvre jusqu'à l'envoi de la proposition de rectification.
  • Pour les procédures d'imposition d'office, elle peut être exercée jusqu'à l'envoi des bases d'imposition d'office ou, en l'absence d'un tel envoi, jusqu'à la mise en recouvrement.

Le Conseil d'État développe enfin un considérant concernant les cas où l'administration procède à une notification facultative dans le cadre d'une taxation d'office. Il précise que...

...lorsque l'administration fiscale, sans y être tenue, adresse néanmoins au contribuable faisant l'objet d'une procédure de taxation d'office pour opposition à contrôle fiscal un document l'informant des bases évaluées d'office, elle doit, saisie régulièrement avant l'envoi de ce document d'une demande tendant au bénéfice de cette garantie faisant état de difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle, y donner suite avant cet envoi, qui marque l'achèvement des opérations de contrôle

Le Conseil d'État reproche à la CAA de Nancy d'avoir commis une erreur de droit en validant le refus initial d'entretien au motif qu'un entretien ultérieur avait finalement eu lieu. Cette approche méconnaît la nature de la garantie en cause et sa finalité spécifique.

La cour avait considéré comme "sans incidence" le refus initial du supérieur hiérarchique et la circonstance que l'administration avait notifié les bases d'imposition d'office le 2 septembre 2015, au motif que cette notification n'était pas obligatoire et qu'un entretien avait eu lieu en septembre 2016 avant la mise en recouvrement.

 

Le Conseil d'Etat rappelle que l'entretien sollicité en juin 2015 visait à résoudre les difficultés de déroulement du contrôle et éventuellement éviter l'établissement d'un PV d'opposition. L'entretien accordé en septembre 2016, soit après la notification des bases d'imposition, ne pouvait plus remplir cette fonction puisque les opérations de contrôle étaient achevées.

 

Publié le mercredi 2 juillet 2025 par La rédaction

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