Le juge de l'impôt nous rappelle le principe selon lequel le contribuable a la liberté de choisir son adresse de correspondance avec l'administration fiscale, même si celle-ci ne correspond pas à son domicile principal, pour autant qu'elle ne soit pas inexistante et ne vise pas à égarer délibérément le service. Ainsi, la simple divergence entre l'adresse de correspondance et le lieu de résidence effective ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une manœuvre frauduleuse.
Pour mémoire, le régime de notification des propositions de rectification repose sur les articles L. 57 et L. 76 du LPF. L'article L. 57 impose à l'administration d'adresser au contribuable une proposition de rectification motivée lui permettant de formuler ses observations. L'article L. 76 exige que les bases de calcul des impositions d'office soient portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement.
Ces dispositions consacrent le principe selon lequel l'administration fiscale doit notifier la proposition de rectification à l'adresse indiquée par le contribuable. Cette règle protège les droits de la défense en garantissant que le contribuable puisse effectivement prendre connaissance des griefs formulés à son encontre et exercer son droit de réponse.
Toutefois, la jurisprudence a admis des tempéraments à ce principe. L'administration peut retenir une autre adresse lorsqu'elle apporte la preuve que le domicile indiqué présente un caractère fictif ou que cette adresse n'a été communiquée que dans le but de l'égarer dans la conduite de la procédure de contrôle et de rectification. Cette exception vise à empêcher les contribuables de faire échec à la procédure d'imposition par des manœuvres dilatoires.
Rappel des faits :
M. et Mme C ont fait l'objet d'un ESFP portant sur les années 2012 à 2014, générant des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales assorties de pénalités.
Le tribunal administratif de Lyon avait initialement donné gain de cause aux contribuables par deux jugements du 9 mars 2021, prononçant la décharge des impositions établies au titre des années 2013 et 2014. La cour administrative d'appel de Lyon avait ensuite infirmé ces décisions dans des arrêts du 30 juin 2022, remettant les impositions à la charge des contribuables.
Le Conseil d'État, saisi d'un premier pourvoi, avait partiellement annulé ces arrêts par une décision du 14 avril 2023, renvoyant l'affaire devant la cour d'appel. Celle-ci, dans de nouveaux arrêts du 15 février 2024, avait à nouveau donné raison à l'administration fiscale, conduisant aux seconds pourvois examinés dans la présente décision.
Au cœur du litige se trouve la question de l'adresse de notification des propositions de rectification. Peu après l'engagement de l'examen contradictoire, M. et Mme C ont communiqué à l'administration fiscale l'adresse suivante : "Résidence Mississippi - lot 86 appartement 2 - Oyster Pond, rue du Coralita - 97150 Saint-Martin". Il est constant que cette adresse n'était pas inexistante.
Cependant, l'administration a choisi de notifier les propositions de rectification à l'adresse de Caluire-et-Cuire (Rhône), considérant que l'adresse de Saint-Martin a été communiquée dans le but de l'égarer dans la conduite de la procédure de contrôle.
L'administration fiscale justifie sa position en invoquant plusieurs éléments :
- le domicile réel de M. et Mme C était situé à Caluire-et-Cuire,
- les courriers adressés à la vérificatrice mentionnant l'adresse de Saint-Martin ont été expédiés depuis un bureau de poste de Lyon,
- les contribuables n'ont effectué aucun voyage vers ou en provenance de Saint-Martin pendant la période de contrôle.
Ces éléments tendaient selon l'administration à démontrer le caractère fictif de l'adresse de Saint-Martin et l'intention des contribuables de perturber le déroulement de la procédure de contrôle.
Le Conseil d'Etat vient de faire droit à la demande des époux C.
Le Conseil d'État reproche à la Cour d'appel d'avoir dénaturé les pièces du dossier en estimant que les contribuables s'étaient livrés à des manœuvres destinées à égarer l'administration.
- Il estime que les éléments retenus par la cour d'appel étaient uniquement relatifs à la domiciliation fiscale effective de M. et Mme C, sans établir l'existence de manœuvres dilatoires.
- Il précise que par le courrier adressé en cours de procédure, les intéressés devaient être regardés comme ayant légitimement demandé à la vérificatrice de leur communiquer les documents relatifs à la procédure à l'adresse de leur choix.
Cette distinction est fondamentale : elle établit une différence entre le simple choix d'une adresse de correspondance différente du domicile effectif et l'existence de manœuvres caractérisées destinées à faire échec à la procédure.
Le Conseil d'État en conclut que ces circonstances ne sont pas de nature à établir des agissements destinés à égarer l'administration, ce qui entraîne l'irrégularité de la procédure d'imposition et la décharge des impositions litigieuses.
7. Il résulte de l'instruction que peu après l'engagement de l'examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle, M. et Mme C... ont signalé comme adresse à l'administration fiscale " Résidence Mississippi - lot 86 appartement 2 - Oyster Pond, rue du Coralita - 97150 Saint-Martin ", adresse dont il est constant qu'elle n'est pas inexistante. Pour justifier de l'envoi à leur adresse de Caluire-et-Cuire des propositions de rectification faisant suite à l'examen de leur situation fiscale personnelle, l'administration ne fait pas état d'éléments autres que relatifs à leur lieu de résidence effective.
L'administration ne leur a pas plus communiqué ces propositions de rectification à Saint-Martin après que M. et Mme C... lui ont indiqué, alors que le délai de reprise courait encore, qu'ils n'avaient pas reçu de tels documents à l'adresse de Saint-Martin précitée.
Ces circonstances ne sont pas de nature à établir que M. et Mme C... se seraient livrés, en communiquant une adresse qui différait de leur lieu de résidence, à des agissements destinés à égarer l'administration dans la conduite de la procédure de contrôle et d'établissement de l'impôt. Par suite, l'administration a entaché les procédures d'imposition d'une irrégularité qui doit entrainer la décharge des impositions restant en litige.
TL;DR
- Le juge de l'impôt rappelle le principe selon lequel le contribuable a la liberté de choisir son adresse de correspondance avec l'administration fiscale, même si celle-ci ne correspond pas à son domicile principal, pour autant qu'elle ne soit pas inexistante et ne vise pas à égarer délibérément le service.
- La simple divergence entre l'adresse de correspondance et le lieu de résidence effective ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une manœuvre frauduleuse.
- Il incombe à l'administration d'apporter des preuves concrètes d'une intention d'égarer le service pour justifier une notification à une autre adresse que celle indiquée par le contribuable