Par les décisions n° 2012-661 DC et n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution du projet de loi de finances pour 2013 et du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2012 dont il avait été saisi, et a « retoqué » plusieurs mesures emblématiques qui avaient été annoncées par le Gouvernement. Ce faisant, il donne une esquisse de ce que pourrait être une « fiscalité confiscatoire »
Les points les plus saillants sont les suivants :
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Tranche marginale d’imposition à 45% et nouvelle imposition globale des retraites dites«chapeau» (article 3, LF pour 2013)
La mise en œuvre de la nouvelle tranche marginale de taxation à 45% pour la fraction des revenus soumis au barème de l’impôt, supérieure à 150 000 euros par part, n’a pas été jugée « en elle-même » contraire à la Constitution.
Cependant, concernant l’imposition subséquente des retraites complémentaires dites « chapeau », l’application combinée du nouveau taux marginal de l’impôt sur le revenu et du taux marginal maximal de la contribution propre à ces rentes (21% pour la part de ces rentes supérieure à 24 000 euros par mois- article L.137-11-1 du Code de la Sécurité sociale) a été jugée par le Conseil comme faisant peser une charge excessive sur les contribuables au regard de leurs facultés contributives . En effet, le nouveau taux global d’imposition marginale de ces revenus est porté à 75,04% pour les rentes perçues en 2012 et à 75,34% pour celles perçues en 2013. Toutefois, seul le taux marginal de 21 % a été déclaré contraire à la Constitution ; cette censure ayant ainsi pour effet de ramener la taxation marginale des retraites « chapeau » à 68,34%.
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Invalidation de l’imposition rétroactive des dividendes et des produits de placement à revenu fixe au barème progressif de l’IR (article 9, LF pour 2013)
Si le Conseil a validé la suppression de la possibilité d’opter pour un prélèvement forfaitaire libératoire de l’IR pour les revenus des dividendes et produits de placement à revenu fixe et leur basculement au barème progressif de l’IR, ce nouveau régime d’imposition a été considéré comme ne pouvant être appliqué de manière rétroactive aux produits perçus en 2012 pour lesquels le contribuable avait opté pour le prélèvement forfaitaire libératoire et s’était déjà acquitté de l’impôt. L’application de cette nouvelle mesure n’est donc plus possible pour 2012.
La possibilité d’une telle censure avait été soulevée lors des débats parlementaires par le Président de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale.
Par ailleurs, la majoration des taux des prélèvements sur les « bons anonymes », portée de 75,5% à 90,5%, a été considérée par le Conseil comme faisant porter sur les détenteurs de ces bons une charge excessive au regard de la capacité contributive des contribuables.
Invalidation de la contribution exceptionnelle de solidarité sur les très hauts revenus d’activité et donc de la taxation globale corrélative de 75% (article 12, LF pour 2013)_
La contribution de 18% sur la fraction des revenus d’activité professionnelle des personnes physiques excédant un million d’euros a été jugée contraire au principe d’égalité devant les charges publiques, le législateur n’ayant pas pris en compte « l’existence du foyer fiscal » et partant, « l’exigence de prise en compte des facultés contributives » . Le Conseil a souligné, en ce qui concerne cette contribution exceptionnelle, qui s’analyse concrètement comme un complément d’impôt sur le revenu, que le législateur ne saurait s’abstenir de prendre en compte le foyer fiscal, ce qui avait déjà été évoqué dans le rapport de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale.
On notera que le Conseil a « retoqué » cette mesure, sans examiner les autres griefs selon lesquels les « effets de seuil » et le caractère confiscatoire de cette contribution méconnaîtraient le principe d’égalité devant les charges publiques.
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Invalidation de l’imposition au barème progressif de l’IR des gains et avantages retirés des stock-options et des actions gratuites attribuées à compter du 28 septembre 2012 (article 11, LF pour 2013)
L’imposition globale marginale de ces gains résultant de l’application du barème de l’impôt sur le revenu a pour effet de porter le taux marginal à 72% ou à 77% (selon la durée de détention). Par ailleurs, dès 150 000 euros de revenus, l’imposition de ces gains est portée à 68,2% (ou 73,2% en l’absence de respect de la période d’indisponibilité) dès le premier euro de gain.
Le Conseil a censuré de tels niveaux d’imposition en les considérant contraires au principe d’égalité devant les charges publiques, ramenant ainsi la taxation marginale maximale de ces gains et avantages à 60,7% ou à 64,5% (en cas de paiement de la contribution exceptionnelle de 4 % - article 223 sexies du Code Général des Impôts - « CGI »).
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Invalidation des modalités de calcul du plafonnement de l’ISF (article 13 LF pour 2013)
Le Conseil a censuré, d’une part, l’intégration dans le calcul du plafonnement de l’ISF de revenus capitalisés ou distribuables non distribués, que le contribuable n’a pas dès lors réalisés ou dont il ne dispose pas, et d’autre part, l’absence de cohérence à inclure de tels revenus latents au dénominateur pour le calcul du plafonnement, sans prendre en compte au numérateur les impôts correspondant à ces revenus, ces impôts n’ayant pas de fait été effectivement acquittés. Ce point avait été évoqué lors des débats parlementaires.
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Biens professionnels : invalidation de l’extension de l’assiette de l’ISF aux biens non nécessaires à l’activité professionnelle (article 13)
Le Conseil a décidé que la possibilité de réintégrer dans le patrimoine du contribuable la fraction de la valeur des parts ou actions détenues correspondant aux éléments du patrimoine social non nécessaire à l’activité professionnelle (article 885 O ter du CGI) ne saurait être réécrite comme portant sur la fraction du patrimoine social non nécessaire à l’activité professionnelle « alors même qu’il n’est pas établi que ces biens sont, dans les faits, à la disposition de l’actionnaire ou de l’associé », sans être contraire à la Constitution.
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Fin du régime fiscal dérogatoire relatif aux successions sur immeubles situés en Corse (article 14, LF pour 2013)
Le Conseil a déclaré contraire au principe d’égalité devant la loi et les charges publiques, la prorogation du régime fiscal dérogatoire qui porte notamment exonération de droits de succession sur les immeubles situés en Corse (article 1135 bis I. du CGI).
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Exceptions limitatives à l’abaissement du plafonnement global relatif aux « niches fiscales », (article 73, LF pour 2013)
Le législateur a exclu les seuls investissements ultra-marins (articles 199 undecies A, 199 undecies B, 199 undecies C du CGI) et la réduction d’impôt « SOFICA » (article 199 unvicies du CGI- laquelle demeure en outre soumise à un plafond propre de 6480 euros), de l’abaissement du plafonnement global de 18 000 euros et 4% du revenu imposable, porté à 10 000 euros.
Le Conseil a considéré que cette application limitative du plafonnement proportionnel de 4% du revenu imposable, au lieu d’un plafonnement forfaitaire généralisé, constituait une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Le plafonnement global majoré de 18 000 euros pour ces investissements a toutefois été validé.
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Invalidation du nouveau régime des plus-values immobilières sur cessions de terrain à bâtir (article 15, LF pour 2013)
Le Conseil a déclaré contraire à la Constitution le nouveau régime d’imposition des plus-values immobilières sur les terrains à bâtir, qui substitue l’application du barème progressif de l’IR au prélèvement au taux forfaitaire de 19% pour les cessions devant être réalisées à compter du 1er janvier 2015, tout abattement pour durée de détention étant également supprimé à compter du 1er janvier 2013. Le taux marginal maximal d’imposition de 82% a été considéré comme entraînant une charge excessive au regard de la capacité contributive.
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Donation cession : nouveau texte invalidé (article 19, LFR pour 2012)
Dans le cadre d’opérations successives de donations-cessions, le législateur a prévu d’assujettir le donataire de valeurs mobilières cédées à titre onéreux dans les dix-huit mois suivant la donation à l’imposition sur les plus-values en retenant comme valeur de référence non plus la valeur des titres lors de la donation mais la valeur de ces titres lors de leur acquisition ou souscription par le donateur, augmentée des frais afférents à la donation.
Le Conseil a considéré d’une part, (i) que ce dispositif fait peser sur le donataire une imposition supplémentaire qui est sans lien avec sa situation, d’autre part (ii) que le critère de durée (18 mois) est « à lui-seul insuffisant » pour fonder une présomption irréfragable selon laquelle ces opérations successives aurait eu pour seule finalité d’éluder le paiement de l’imposition des plus-values. Dès lors, le Conseil sanctionne l’absence de « critères objectifs et rationnels » en rapport avec l’objectif poursuivi.
Débat à suivre donc puisque le Gouvernement va présenter de nouveaux textes en prenant en compte les observations du Conseil Constitutionnel.