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Droits de mutation et Dutreil

La proposition de loi visant à un « meilleur encadrement du Pacte Dutreil » accouche d'un rapport d'évaluation en commission

La commission des finances de l'Assemblée nationale a examiné la proposition de loi visant à un meilleur encadrement du Pacte Dutreil, présentée par Nicolas Sansu et les députés du groupe Gauche Démocrate et Républicaine. Cette initiative législative, qui s'inscrivait dans un contexte de questionnement croissant sur l'efficacité des niches fiscales et leur coût pour les finances publiques, proposait trois modifications substantielles du dispositif d'exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit.

 

Cependant, l'examen en commission a pris une tournure inattendue avec l'adoption de deux amendements qui ont profondément modifié la philosophie du texte initial. Le premier amendement, déposé par Jean-Paul Mattéi, député du groupe Les Démocrates, a purement et simplement supprimé l'article unique de la proposition de loi, vidant ainsi le texte de sa substance réformatrice. Un second amendement a toutefois été adopté, transformant la proposition de loi en un mécanisme d'évaluation et de transparence du dispositif existant.

 

Cette évolution procédurale révèle les tensions politiques et techniques qui entourent la réforme du Pacte Dutreil, dispositif créé il y a plus de vingt ans et devenu un enjeu majeur des débats sur la fiscalité du patrimoine et la transmission d'entreprise.

 

La proposition de loi portée par Nicolas Sansu s'appuyait sur un constat critique du fonctionnement actuel du Pacte Dutreil. Les députés de la Gauche Démocrate et Républicaine pointaient trois problématiques majeures justifiant selon eux une réforme d'ampleur du dispositif.

  • Le premier grief concernait l'évaluation du coût budgétaire du dispositif, jugée largement sous-estimée. Alors que les estimations officielles de Bercy situaient le manque à gagner fiscal à 800 millions d'euros, les députés se référaient aux travaux du Conseil d'analyse économique qui évaluaient le coût réel entre 2 et 3 milliards d'euros annuels. Cette différence révélait selon eux une opacité problématique dans l'évaluation des niches fiscales.
  • Le deuxième axe de critique portait sur les détournements de l'objectif initial du dispositif. Les députés dénonçaient l'utilisation du Pacte Dutreil au bénéfice de holdings familiales incluant des actifs non professionnels, notamment des investissements immobiliers ou dans l'art, sans lien avec une activité économique opérationnelle. Cette dérive s'éloignait fondamentalement de l'objectif initial de préservation du tissu économique français.
  • Le troisième élément de critique concernait les mécanismes d'optimisation fiscale excessive permis par le cumul du Pacte Dutreil avec d'autres dispositifs, notamment le démembrement de propriété. Cette combinaison permettait selon les auteurs d'atteindre une exonération effective pouvant représenter jusqu'à 90 % de la valeur des actifs transmis, créant des effets d'aubaine considérables pour les très grandes fortunes.

 

Pour répondre à ces problématiques, la proposition initiale prévoyait trois modifications concrètes.

  • La première consistait en une modulation du taux d'exonération selon la valeur des titres transmis, maintenant l'exonération de 75 % pour la fraction inférieure à 50 millions d'euros mais la réduisant à 50 % au-delà de ce seuil.
  • La deuxième mesure allongeait la durée de l'engagement individuel de conservation des titres de quatre à huit ans.
  • La troisième excluait explicitement les transmissions en démembrement de propriété du bénéfice du dispositif.

 

L'amendement déposé par Jean-Paul Mattéi constitue une remise en cause de l'approche réformatrice portée par la proposition Sansu. Le député centriste développe une argumentation qui privilégie la préservation de l'efficacité économique du dispositif sur les considérations d'équité fiscale.

 

L'exposé de l'amendement Mattéi révèle une vision diamétralement opposée des enjeux liés au Pacte Dutreil. Pour le député des Démocrates, les trois mesures proposées sont :

de nature à profondément remettre en cause l'efficacité du dispositif et très dangereuses pour notre économie en risquant de fragiliser nos entreprises familiales.

L'argument de la compétitivité internationale occupe une place centrale dans la justification de Mattéi. Il souligne qu'en cas d'adoption des mesures proposées, la France adopterait

le régime d'imposition le plus lourd s'agissant des successions et donations d'entreprise

par rapport à ses voisins européens. 

 

L'amendement développe également une critique technique précise de la modulation proposée. Pour une transmission d'entreprise de 100 millions d'euros, le taux effectif d'imposition augmenterait de près de 6 %, ce qui constituerait selon Mattéi une

 

hausse inconsidérée susceptible de mettre à mal la pérennité des entreprises françaises face aux successions

Concernant l'exclusion du démembrement de propriété, l'amendement souligne que cette technique permet d'éviter l'indivision entre héritiers, considérée comme "peu profitable" à la gestion d'entreprise. La suppression de cette possibilité

grèverait lourdement la capacité de notre système fiscal à favoriser la continuité de l'actionnariat

et découragerait les transmissions anticipées. Enfin, l'allongement de la durée d'engagement de quatre à huit ans est critiqué comme une rigidification excessive qui pourrait

entraver certaines opérations stratégiques

nécessaires à la compétitivité des entreprises, particulièrement dans les secteurs en mutation rapide.

 

L'adoption du second amendement, instaurant un mécanisme de rapport annuel sur l'application du Pacte Dutreil répond partiellement aux préoccupations exprimées par les auteurs de la proposition initiale concernant l'opacité du dispositif, sans pour autant modifier les paramètres actuels d'application.

 

L'analyse du coût budgétaire réel permettra de trancher le débat sur l'évaluation du manque à gagner fiscal, question centrale depuis plusieurs années. L'examen du profil des bénéficiaires, notamment leur répartition par décile de patrimoine, répondra aux interrogations sur la concentration des avantages fiscaux.

 

La position de Jean-Paul Mattéi présente une dimension ambivalente. Si l'amendement supprime les mesures de réforme immédiate, l'exposé sommaire reconnaît explicitement que

des adaptations du Pacte Dutreil pourraient être envisagées afin de garantir qu'il n'est pas un vecteur d'optimisation fiscale.

Cette ouverture suggère que l'opposition ne porte pas sur le principe d'une réforme mais sur les modalités et le calendrier.

 

Le rapport de la Mission d'information sur la fiscalité du patrimoine, co-présidée par Nicolas Sansu et Jean-Paul Mattéi en octobre 2023, avait d'ailleurs souligné un accord entre les rapporteurs sur la nécessité

qu'une réflexion soit menée sur la définition des actifs pouvant être transmis par Dutreil.

Cette convergence partielle pourrait préfigurer des évolutions futures plus consensuelles.

 

L'adoption du mécanisme de rapport annuel pourrait constituer un préalable à des réformes ultérieures. En créant une obligation d'évaluation transparente et régulière, ce dispositif pourrait alimenter de futurs débats parlementaires sur la base de données objectives.

 

Affaire à suivre en séance publique...

Publié le lundi 2 juin 2025 par La rédaction

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