Un rapport parlementaire dévoile une pratique méconnue mais préoccupante de l'administration fiscale française : les règlements d'ensemble. Ces accords permettent aux contribuables d'obtenir des réductions substantielles de leurs droits et pénalités fiscales par rapport aux montants initialement réclamés.
Selon le rapport annuel transmis au Parlement sur les remises et transactions à titre gracieux et les règlements d’ensemble, un règlement d’ensemble désigne la situation où, en présence de sujets complexes marqués par une forte incertitude juridique, l’administration conclut avec le contribuable
« un accord global qui inclut une atténuation des droits par rapport à la lecture initialement retenue par l’administration de contrôle dans sa proposition de rectification ».
Le règlement d’ensemble se distingue des remises gracieuses et des transactions prévues à l’article L. 247 du LPF : la remise gracieuse consiste en l’abandon consenti par l’administration à son débiteur d’une créance définitive lorsque ce dernier est dans l’impossibilité de payer « par suite de gêne ou d’indigence » ; la transaction consiste en une atténuation des pénalités appliquées à l’occasion d’un redressement fiscal. À la différence de ces deux dispositifs, le règlement d’ensemble peut porter tant sur les montants des bases notifiées – donc sur les droits dus – que sur les pénalités et ne constitue qu’une étape de la procédure de contrôle. En outre, contrairement à la transaction, l’engagement à payer ou à renoncer à une procédure contentieuse prise par le contribuable n’a aucun effet contraignant.
L'analyse révèle plusieurs dysfonctionnements majeurs. D'abord, cette pratique ne repose sur aucune base légale claire, reposant uniquement sur des notes internes de 2004 et 2019. Ensuite, son coût est considérable : environ un milliard d'euros de modérations accordées chaque année, soit 60% des montants initialement dus. Le nombre de ces règlements a explosé, triplant entre 2019 et 2024.
Modérations consenties dans le cadre des règlements d’ensemble
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Montant des modérations |
dont modérations portant sur les droits dus |
dont modérations portant sur les pénalités |
2019 |
1 635 377 676 |
1 121 108 901 |
514 268 775 |
2020 |
854 794 195 |
629 966 381 |
224 827 814 |
2021 |
1 109 760 285 |
783 728 460 |
326 031 825 |
2022 |
1 250 114 917 |
850 341 419 |
399 773 498 |
2023 |
849 694 863 |
540 627 729 |
309 067 134 |
2024 |
1 860 978 733 |
1 450 916 573 |
410 062 160 |
Source : rapports remis au Parlement et réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs spéciaux à l’administration fiscale.
Ce montant est à mettre en parallèle de celui initial des droits et pénalités dont les contribuables auraient dû s’acquitter, qui s’élève en moyenne à 2,08 milliards d’euros sur la période. Autrement dit, les modérations consenties ont représenté en moyenne 60,6 % des droits et pénalités initialement demandés. Là également la proportion des droits et pénalités non perçus peut varier dans une fourchette de l’ordre de + – 10 % autour de la moyenne. On peut également relever que les modérations sont de façon générale plus prononcées pour les pénalités que pour les droits initialement dus.
Modérations consenties par rapport aux droits et pénalités dus
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Montant total des droits et pénalités initialement dus |
Modérations totales consenties (en % des droits et pénalités) |
dont modérations portant sur les droits dus (en % des droits dus) |
dont modérations portant sur les pénalités (en % des pénalités) |
2019 |
3 181 842 087 |
51,4 % |
46,5 % |
66,8 % |
2020 |
1 411 296 641 |
60,6 % |
55,2 % |
83,1 % |
2021 |
1 524 242 469 |
72,8 % |
69,6 % |
81,9 % |
2022 |
2 223 743 405 |
56,2 % |
53,2 % |
63,8 % |
2023 |
1 508 984 001 |
56,3 % |
51,2 % |
68,2 % |
2024 |
2 601 813 832 |
71,5 % |
69,3 % |
80,9 % |
Source : rapporteurs spéciaux, d’après les données disponibles dans les différents rapports annuels et les données transmises par l’administration fiscale.
Cette opacité profite essentiellement aux contribuables fortunés et aux grandes entreprises, créant une inégalité devant l'impôt. Les rapporteurs dénoncent une "fiscalité négociée" accessible uniquement aux initiés disposant de conseils juridiques sophistiqués.
Face à ces constats, huit recommandations sont formulées, notamment l'établissement d'un cadre législatif, l'amélioration de la transparence et le renforcement des moyens de contrôle. Ce rapport soulève des questions fondamentales sur l'équité fiscale et le consentement à l'impôt dans une démocratie.
Recommandation n° 1 : définir un cadre législatif applicable au dispositif de règlement d’ensemble
Recommandation n° 2 : inscrire dans la loi les critères précisant les situations ou les circonstances permettant à l’administration de conclure un règlement d’ensemble
Recommandation n° 3 : créer un service compétent pour analyser l’ensemble des règlements d’ensemble
Recommandation n° 4 : enrichir le rapport annuel transmis au Parlement prévu à l’article L. 251A du livre des procédures fiscales d’informations supplémentaires relatives aux modérations consenties dans le cadre de règlements d’ensemble et aux contribuables avec lesquels l’administration est amenée à conclure des règlements d’ensemble
Recommandation n° 5 : dans le cadre fixé par la loi, éviter que l’administration s’inscrive systématiquement dans une logique de rentabilité à court terme, au profit d’un recours limité à la pratique des règlements d’ensemble
Recommandation n° 6 : à rebours des suppressions de postes effectuées depuis des années au sein de cette administration, augmenter les effectifs de la Direction générale des Finances publiques, en particulier au sein des équipes dédiées au contrôle fiscal
Recommandation n° 7 : un règlement d’ensemble ne peut être conclu avec un contribuable qui n’a pas adopté au cours de la vérification un comportement coopératif, notamment qui n’a pas respecté les délais des obligations déclaratives auxquelles il est assujetti
Recommandation n° 8 : renoncer au management à l’objectif auquel sont soumis les agents chargés du contrôle fiscal