Si vous avez raté le début : "Fiscalité des activités illicites ou quand les présomptions simplifient le travail administratif (Partie I)"
I. Modalités d’imposition des activités illicites
La législation fiscale permet à titre de principe la taxation des revenus tirés d’activités illicites, le contribuable ne pouvant se prévaloir du caractère délictueux de ces dernières pour contester le caractère imposable des sommes qu’il en retire. Ce principe de taxation (A) mérite d’être illustré par les difficultés de l’entreprise dans deux domaines : la drogue et la prostitution (B).
A.Taxation des activités illicites
Le caractère imposable des activités illicites au regard des différents impôts. Au titre de l’impôt sur les bénéfices, les produits tirés de l’exercice d’activités illicites constituent des revenus imposables. Leur catégorie d’imposition (bénéfice industriel et commercial –BIC- ou bénéfice non commercial –BNC-) dépend de la nature de l’activité.
En matière de TVA, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) considère qu’une activité illicite est taxable lorsqu’elle participe à un circuit économique où elle peut entrer en concurrence avec une activité licite.[1].
Quelques activités illicites méritent une attention particulière car elles sont relativement répandues : le détournement de fonds, la vente de produits volés ou contrefaçons, les activités de jeu. La taxation des activités liées à la drogue et la prostitution méritent quelques développements complémentaires (cf. B).
Le détournement de fonds. Le traitement fiscal dépend de la qualification des fonds détournés et de la qualité de l’auteur des détournements. En principe, les détournements de fonds constituent des BNC au sens de l’article 92-1 du CGI. Cette qualification est applicable que le détournement soit le fait d’un salarié.[2] ou d’un non-salarié.[3].
Toutefois, les détournements commis par des associés au détriment d’une société passible de l’IS constituent des distributions imposables dans la catégorie des RCM, en application des dispositions de l’article 109-1 du CGI.[4].
Les produits résultant de détournements de fonds ne sauraient avoir pour contrepartie la livraison d’un bien ou la fourniture d’une prestation. Ces revenus n’entrent donc pas dans le champ d’application de la TVA.[5].
La vente de marchandises volées ou contrefaites. La revente de marchandises volées ou contrefaites constitue une activité commerciale imposable en BIC (art.34 CGI). C’est une livraison de biens qui entre dans le champ d’application de la TVA (art. 256 CGI).
La vente d’objets volés est une activité que le contribuable peut évidemment réfuter. Lorsque l’administration entend établir une imposition du fait de l’exercice d’une activité déterminée que le contribuable conteste exercer, « la charge de prouver l’existence même de cette activité incombe à l’administration, indépendamment de la procédure d’imposition suivie ».[6]. Dans cette affaire de véhicules volés, la substitution de base légale a été demandée et obtenue par l’administration qui avait d’abord notifié les redressements sous la forme contradictoire, dès lors qu’elle ne privait la contribuable d’aucune garantie et par suite, la charge de la preuve du caractère exagéré des bénéfices industriels et commerciaux reconstitués pour l’année 2006 incombait au contribuable. Celui-ci se défendait en invoquant des prêts familiaux et la présomption admise par la jurisprudence selon laquelle ceux-ci ne peuvent constituer des recettes professionnelles lorsque les versements ont été effectués par chèque par un membre de la famille. La présomption ne joue toutefois pas dès lors que les activités lucratives de la contribuable sont regardées comme en partie mêlées à celles de ses fils et de son concubin.
La vente de produits contrefaits.[7] constitue une livraison de biens qui entre dans le champ d’application de la TVA au sens de l’article 256 du CGI. Un contribuable peut non seulement être imposable mais aussi encourir les peines prévues en matière de droit de garantie.[8] s’il est trouvé porteur d’ouvrages d’or, contrefaisant des pièces de 10 francs de type Napoléon III, démunies des poinçons réglementaires au cours d’un contrôle routier effectué par les fonctionnaires des Douanes.
Après sa condamnation définitive pour recel de ces pièces, le contribuable est cité directement devant le tribunal correctionnel, à la requête de l’Administration, sous la prévention d’exercice, sans déclaration préalable au bureau de la Garantie de la profession de marchand d’or (article 534 du Code général des impôts), de détention d’ouvrages destinés à être commercialisés sans avoir été soumis au contrôle de la Garantie (articles 535 et 536 du Code général des impôts) et de non-tenue du registre de police retraçant les réceptions et livraisons de métaux précieux (articles 537 et 538 du Code général des impôts).
Le recel d’objets revendus détermine une imposition.[9] lorsqu’un récupérateur-brocanteur a été, en application de l’article L. 69 du livre de procédures fiscales, taxé d’office à l’impôt sur le revenu à raison de la possession d’espèces, dont il n’a pu justifier la provenance pour un montant de 470.000 F, saisies à son domicile par la sûreté urbaine lors d’une perquisition dans le cadre d’une affaire de recel et de revente d’objets volés. Le brocanteur n’a pas répondu aux demandes d’éclaircissements ou de justifications prévues à l’article L. 16 LPF en invoquant le vol de son livre de police dans lequel il aurait consigné les renseignements relatifs à des achats de pâtes de verres. En l’occurrence, il n’a apporté à l’appui de ses dires aucune précision sur les objets vendus ni pu établir que les objets de collection qu’il aurait alors cédés auraient été en sa possession avant l’année vérifiée. Les indications fournies sur les anciens propriétaires de ces objets se sont révélées invérifiables, s’agissant dans tous les cas de personnes décédées. Il appartient toujours au contribuable d’apporter la preuve de l’exagération des bases d’impositions taxées d’office par l’administration.
La vente sous le manteau de biens culturels présentant un intérêt archéologique, artistique, historique ou scientifique en sachant que ce bien a été soustrait d’un territoire qui constituait, au moment de la soustraction, un théâtre d’opérations de groupements terroristes et sans pouvoir justifier la licéité de l’origine de ce bien est sanctionné par le Code pénal.[10] et suit le régime fiscal des biens volés.
La vente des animaux de compagnie est devenue un enjeu financier important dans l’activité économique nationale. Elle alimente parfois des réseaux de commerce frauduleux qui génèrent des revenus occultes élevés et qui créent de véritables menaces sanitaires.[11]. Lorsque les prescriptions relatives à la vente ou l’importation d’animaux ne sont pas remplies, la fraude détermine des redressements fiscaux dans les conditions ordinaires semblables à celles de la vente de biens meubles. De même pour la vente illégale d’ivoire, etc…
Le jeu. L’organisation illicite de jeux de hasard étant réalisée dans un but spéculatif, les revenus tirés de œtte activité constituent des revenus commerciaux, bien que les jeux ne figurent pas;[12] parmi les actes de commerce énumérés à l’article L 110-1 du Code de commerce.
L’article 261 E du CGI prévoit que l’organisation des jeux de hasard ou d’argent par les casinos, cercles et maisons de jeux est exonérée de TVA. Dès lors, l’organisation illégale de jeux de hasard ne peut être soumise à TVA puisque la même activité effectuée par un exploitant expressément visé dans la loi bénéficie d’une exonération.[13].
Régime d’imposition. A compter de l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 18 de la loi de finances rectificative pour 2009, les contribuables exerçant une activité illicite relèvent du régime réel normal en matière de TVA et de BIC et de celui de la déclaration contrôlée pour les BNC, quel que soit le chiffre d’affaires réalisé, que les opérations entrent ou non dans le champ d’application de la TVA.
L’exclusion des régimes simplifiés TVA et BIC est codifiée à l’article 302 septies A ter B du CGI et celle de la franchise en base TVA à l’article 293 B du même code, par renvoi aux dispositions de l’article L. 169 du LPF.
S’agissant des revenus illicites imposés selon un régime réel dans la catégorie des BIC ou des BNC, l’attention est appelée sur le fait que le résultat doit être déterminé sous déduction des frais et charges éventuels engagés par le contribuable (art. 39-1 et 93 du CGI). En effet, une dépense engagée par le contribuable pour l’exercice d’une activité illicite ne peut, de ce seul fait, être regardée comme non déductible des revenus bruts tirés de cette activité (CE 10 juillet 2007 n° 294043, 8è et 3è s-s., Grau, RJF10/07 n° 1245).
Les activités illicites sont exclues du régime micro-BIC et déclaratif spécial BNC. L’article 26 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 a exclu les contribuables se livrant à des activités occultes des régimes simplifiés de TVA et d’imposition des bénéfices et du régime de la franchise en base.
L’exclusion du régime de la franchise en base entraîne automatiquement la non—application des régimes micro-BIC et déclaratif spécial BNC pour l’imposition des résultats.
Les contribuables se livrant à une activité occulte soumise à TVA relèvent donc du régime réel normal en matière de TVA et du régime réel normal (BIC) ou de la déclaration contrôlée (BNC) en matière d’imposition de leurs bénéfices. Ces dispositions ne concernaient toutefois pas les contribuables relevant du régime micro ou déclaratif spécial exerçant une activité occulte non soumise à TVA, qui restaient donc imposés selon ces régimes (cas du trafic de stupéfiants ou de la vente de métaux, par exemple). Pour mettre fin à cette différence de traitement, l’article 18 de la loi de finances rectificative pour 2009 étend l’exclusion des régimes micro-BIC et déclaratif spécial BNC aux contribuables exerçant une activité occulte non soumise à TVA.
B.Les exemples de la drogue et du proxénétisme
Deux sujets majeurs, la drogue et la prostitution, retiennent souvent l’attention car les modalités d’imposition qui les concernent éveillent généralement la curiosité. Des procédures de taxation un peu outrancières ont parfois été utilisées dans le passé. Le gérant d’une maison de passe et ses pensionnaires ont ainsi parfois été taxés sur la base d’une évaluation du nombre de clients à l’année extrapolée à partir d’un rapport de surveillance établissant les entrées à partir d’une après-midi et soirée. En matière de drogue, un PV d’audition peut fonder un redressement démesuré à partir d’un aveu davantage « soufflé » par l’enquêteur que des ventes réelles.
La difficulté de la preuve mérite donc d’être soulignée dans une étude jurisprudentielle d’affaires jugées avant l’introduction des nouveaux textes mais apportant des éléments utiles pour l’appréciation des éléments combattant la présomption de revenus introduite justement par ces textes.
Le trafic de drogue et la TVA. La livraison illégale de stupéfiants n’entre pas dans le champ d’application de la TVA dans la mesure où ces produits ne font pas partie d’un circuit économique strictement surveillé par les autorités compétentes en vue d’être utilisés à des fins médicales et scientifiques.[14] .
La livraison illégale de stupéfiants sur le marché intérieur d’un état membre, qui, de même que leur importation dans la communauté, ne peut donner lieu qu’à des mesures répressives, est étrangère aux dispositions de la sixième directive en matière d’harmonisation des législations des états membres relatives aux taxes sur le chiffre d’ affaires.[15]. Dans la mesure où il n’y a pas concurrence entre un secteur licite et un secteur illicite, la TVA n’est pas due. L’article 2, point 1, de la sixième directive relative à la TVA, prévoit pourtant que « les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel », sont soumises à la TVA. Dans son arrêt Happy Family, la Cour a néanmoins interprété cette disposition en ce sens « qu’aucune dette de taxe sur le chiffre d’affaires ne prend naissance lors de la livraison illégale de stupéfiants effectuée à l’intérieur du territoire d’un État membre » sauf dans le cadre des transactions, strictement surveillées, effectuées à des fins médicales ou scientifiques ». La taxe sur la valeur ajoutée est malgré cela due au titre des prestations accessoires. Ainsi sur le produit de la location d’une table utilisée pour la vente de drogues illégales dans un Coffeeshop.[16]. L’opération de location n’est pas considérée comme inséparable de la vente de stupéfiants et, par conséquent, les principes énoncés par la Cour dans l’arrêt Happy Family.[17] ne lui sont pas applicables. On peut en déduire que les opérations annexes à la fourniture illégale de stupéfiants qu’elle vise à faciliter sont imposables à la TVA.
Le trafic de drogue et l’IR. Les profits retirés d’un trafic de stupéfiants constituent des BIC au sens de l’article 34 du CGI.[18].
En matière d’imposition des bénéfices, les bases d’imposition sont évaluées selon les modalités prévues par les dispositions de l’article 1649 quater-0 B bis CGI.[19] et de l’article L. 76 AA du LPF à compter des revenus 2009 mais, dans le cadre d’une reconstitution du chiffre d’affaires, à partir des quantités de produits stupéfiants vendus et des prix pratiqués pour les revenus des années antérieures.
Le contribuable peut difficilement se défendre car la double circonstance qu’il n’a pas constitué un patrimoine immobilier et n’a pas disposé de crédits bancaires à hauteur des revenus évalués par l’administration n’est pas de nature à établir qu’il n’a pas perçu les revenus tirés de l’activité de trafic de stupéfiants imposés entre ses mains dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et qu’il n’en a pas eu la libre disposition.[20].
Le fisc impose l’activité de vente de stupéfiants mais aussi celle de collecteur de fonds.[21] exercée illégalement sans être titulaire d’un agrément délivré par le comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, en violation des articles L. 511-5 et L. 571-3 du code monétaire et financier. L’administration ne tient pas compte des achats pour la détermination du bénéfice imposable lorsque le contribuable ne peut les justifier et le juge peut « sans entacher son arrêt d’insuffisance de motivation, ni d’erreur de droit, se fonder » sur ce que le contribuable « ne pouvait utilement se prévaloir, pour apporter la preuve de l’exagération des bases d’imposition retenues par l’administration, du fait que le service de douanes aurait estimé, aux fins d’une législation distincte de la législation fiscale, que la valeur des achats de stupéfiants qu’il avait effectués en 1981 représentait 40 % du prix de vente de ces produits ».[22]. Il est ainsi surprenant qu’au sein d’un même ministère, les douanes et le fisc ne retiennent pas nécessairement les mêmes bases imposables pour les mêmes faits répréhensibles.
L’administration n’est pas nécessairement suivie par le juge dans son raisonnement lorsque le contribuable établit que le tarif de vente retenu par l’administration, sur la base générale de données (données de l’observatoire français des drogues et toxicomanies concernant le prix de vente au consommateur), était excessif, et qu’il y a lieu de retenir les tarifs, qui n’étaient pas irréalistes, qu’il avait indiqués dans ses aveux.[23]. Le contribuable se présentait en effet comme un revendeur auquel on ne pouvait prêter une marge aussi importante que celle qu’avait fixé le vérificateur dans la mesure où il ne revendait pas directement au consommateur. Le contribuable avait aussi fait l’objet de vols de marchandises dont le juge a tenu compte pour diminuer sa base d’imposition.
Le trafic de drogue et la preuve. Il arrive à l’administration fiscale d’être débouté de ses prétentions pour insuffisance de preuves quant à l’exercice de commerce illicite.
Lorsqu’il résulte de l’instruction que le contribuable est revenu sur ses aveux - lesquels ont été explicitement écartés par le juge pénal, dans un jugement précédent rendu en matière correctionnelle et devenu définitif- et que l’absence d’éléments concrets ne permet pas, malgré de nombreuses surveillances, de mettre en évidence l’exercice d’une activité de machines à sous par le prévenu, l’abandon des redressements est de rigueur pour le juge de l’impôt.[24] . Dans cette même affaire, le juge s’est également prononcé pour l’abandon des redressements fiscaux dans la mesure où la méthode d’évaluation du montant des bénéfices industriels et commerciaux au titre du trafic de stupéfiants est radicalement viciée. En effet, il ne ressort pas des faits constatés par le juge pénal que le contribuable aurait effectivement procédé à la vente de 9 kilogrammes de cocaïne alors que la marchandise a été saisie.
Ainsi également dans une affaire jugée par la Cour administrative d’appel de Marseille.[25] où le contribuable poursuivi n’avait pas été condamné par un jugement pénal revêtu de l’autorité de la chose jugée. Le fisc n’alléguait même pas qu’une quelconque procédure pénale avait été engagée à l’encontre du contribuable à la suite d’une perquisition et le contribuable n’avait pas davantage admis avoir été impliqué dans un trafic de stupéfiants et en avoir tiré les revenus imposés par l’administration dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. La perquisition menée par les services de police n’avait pas permis de trouver dans le local concerné des traces de substances prohibées et d’éléments permettant de mettre en évidence la participation du contribuable à un trafic de stupéfiants. La seule détention d’une importante somme d’argent découverte pendant la perquisition ne peut constituer un indice suffisant de l’exercice d’une activité imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. De fait, l’administration aurait dû dresser une balance d’espèces et, après avoir constaté l’existence d’un important solde créditeur inexpliqué, demander au contribuable des explications sur l’origine de ce solde créditeur en application de l’article L. 16 LPF et imposer la somme litigieuse comme revenu d’origine indéterminée.
La qualité des preuves avancées par l’administration fiscale est parfois sujette à caution. La mise à l’écart de la comptabilité officielle et le calcul des bases d’imposition sur le rapport d’un expert-comptable désigné par le TGI, sans que l’agenda (non tenu par le contribuable lui-même) qui a servi à l’établissement du rapport ne puisse être consulté par la défense et sans qu’il soit versé au procès, ne peut fonder l’existence d’une comptabilité occulte.[26]. Néanmoins, l’existence d’une comptabilité occulte peut suffire à écarter la comptabilité, même si le vérificateur ne fait pas état de graves irrégularités entachant celle-ci.[27] . La question se résume donc à la valeur probante intrinsèque de la comptabilité tenue, de la valeur supérieure ou non des preuves extérieures et du respect des droits de la défense.
Le trafic de drogue et l’extrapolation des bases d’imposition. Il existe une propension pour l’administration fiscale à l’extrapolation. Ainsi un procès-verbal établi par le SRPJ ne peut être opposé au contribuable dès lors qu’il a refusé de le signer ; ce procès-verbal ne valant alors qu’à titre de simples renseignements.[28]. L’administration doit établir son imposition sur des éléments dont la force probante pourra être opposée au contribuable et si aucune activité occulte de revente de vêtements n’a été révélée par les informations ouvertes par le TGI, la procédure pénale démontre que les dires du fisc étaient faux puisque le contribuable a été condamné pour trafic de stupéfiants. L’administration n’avait pu présenter que des tickets d’achats de vêtements pour une valeur de 5000€ et cela ne pouvait constituer en soi une activité professionnelle d’achat pour revendre alors même que le contribuable avait avoué cette activité pour tenter de se disculper d’une activité de trafic de stupéfiants. Cette affaire reflète la difficulté que représente parfois l’imbrication des procédures fiscales. Au cas particulier, l’administration avait cru pouvoir se dispenser de la procédure de vérification de comptabilité selon les termes de l’article L 47 C du LPF.[29] car elle avait engagé une procédure ESFP avant d’être informée d’un trafic de drogue mais il s’est avéré que l’activité occulte de commerce de vêtements était inexistante.
La dénaturation des faits et l’extrapolation sont parfois aussi le fait du juge. Le Conseil d’Etat a ainsi sanctionné.[30] la CAA de Marseille jugeant que la décision du tribunal correctionnel suffisait à justifier l’origine des sommes sur lesquelles portaient les demandes de justifications adressées aux contribuables, eu égard à leur condamnation pour trafic de stupéfiants, et donc leur rattachement à la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Il ressortait pourtant des pièces du dossier que le montant global des mouvements financiers constatés sur les comptes bancaires étaient liés à une double activité de grossiste en drogue et de travail au noir et que, ce faisant, l’administration fiscale ne pouvait se dispenser d’envoyer une demande de justification en application de l’article L. 16 du livre des procédures fiscales sans risquer de commettre une erreur de qualification des sommes en cause.
De l’indépendance du pénal et du fiscal. Il existe en fait deux limites à cette indépendance : le conseil constitutionnel plafonne le montant des pénalités aux plus élevées des sanctions encourues.[31] et les constatations opérées par le juge pénal s’imposent au juge fiscal en application du principe dit « de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal.[32] ». Le cumul des majorations d’impôts et des sanctions pénales a été confirmé par le Conseil constitutionnel récemment avec l’affaire « Cahuzac ». L’indépendance.[33] des procédures pénales et fiscales est souvent invoquée en matière de trafic de drogue comme en d’autres matières. Dès lors que des pièces, saisies dans le cadre d’une procédure distincte de droit commun, ont été régulièrement communiquées par l’autorité judiciaire à l’administration des Impôts en application de l’article L. 101 du Livre des procédures fiscales, la nullité de la saisie de ces pièces, versées dans la procédure ultérieurement engagée du chef de fraude fiscale, ne peut être invoquée dans le cadre de cette dernière procédure.[34]. Dans cette affaire, il y avait pourtant détournement de pouvoir résultant de la commission rogatoire par violation des dispositions de l’article 152 du code de procédure pénale et L. 16- B du Livre des procédures fiscales qui organisent les conditions dans lesquelles l’administration fiscale peut effectuer des visites aux domiciles des contribuables.
Dans un autre exemple, le juge administratif a mis la totalité de l’imposition à la charge d’un contribuable alors que le juge pénal avait constaté la participation de la compagne de celui-ci au trafic. Sa participation au commerce dont elle avait tiré profit devait au moins la rendre imposable du supplément de revenu litigieux pour moitié. La Cour estime pourtant que le contribuable n’établit pas la part des bénéfices industriels et commerciaux qui revenait à la complice.[35].
Le proxénétisme. En France, la prostitution n’est ni interdite (sous réserve du respect de l’ordre public) ni sanctionnée – le racolage public est cependant réprimé par l’article 225-10-1 du code pénal, inséré par loi nº 2003-239 du 18 mars 2003 – ni réglementée, alors que le proxénétisme y est sévèrement réprimé.[36] La France a ainsi signé et ratifiée (le 19 novembre 1960) la Convention des Nation Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949 (entrée en vigueur le 25 juillet 1951.
Les profits retirés d’une activité de proxénétisme « simple » constituent des BNC au sens de l’article 92-1 du CGI.[37]. En revanche, le proxénétisme hôtelier est assimilé à une activité d’entremise, dont les revenus sont imposables dans la catégorie des BIC au sens de l’article 34 du CGI.[38] .
Le proxénétisme entre dans le même circuit économique que la prostitution, qui n’est pas illicite en elle-même. Dès lors, le proxénétisme qui est une activité d’entremise au sens de l’article 256 du CGI, est soumis à TVA.[39] .
L’administration fiscale impose les revenus du proxénétisme comme revenus d’origine indéterminée faute de pouvoir les rattacher avec certitude à une catégorie précise. Il suffit que le contribuable.[40] :
-
ne soit privé d’aucune garantie,
-
que les impositions en litige soient établies au terme d’une procédure régulière,
-
que les pièces utiles aient été valablement notifiées au contribuable même s’il s’agit de son lieu de détention.[41] ,
-
que la notification de redressement soit correctement motivée,
-
et que les bases d’impositions aient été correctement évaluées au vu des éléments recueillis sur les comptes bancaires et le train de vie du contribuable.
Les revenus de la prostitution relèvent de la catégorie des BNC et la jurisprudence relève que la circonstance que « le mari d’une prostituée ait fait l’objet d’une condamnation pénale pour proxénétisme n’est pas de nature à révéler l’existence d’un lien de subordination et, par voie de conséquence, à conférer à la requérante la qualité de salariée » soumise à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des Traitements et Salaires (TS).[42]. A noter que le contribuable peut demander une imposition dans la catégorie des traitements et salaires lorsqu’il est sous la dépendance manifeste d’un proxénète mais le lien de subordination n’est jamais clairement établi. Il pourrait en être ainsi, par exemple, lorsque la prostituée révèle l’identité du proxénète.[43] à l’administration fiscale ou attaque celui-ci devant la justice. Une telle situation est assez exceptionnelle. Il s’agit de marquer la volonté du contribuable de se sortir de la prostitution. Le BOFIP prévoit plutôt que « les impositions mises à la charge des personnes qui ont quitté une activité de prostitution pour entreprendre une reconversion permettant une réinsertion sociale et professionnelle seront abandonnées dans le cadre d’un règlement gracieux.[44] ». En fait, si les services de police se servent de cet argument financier pour obtenir des renseignements sur les proxénètes, l’administration fiscale ne retient pas forcément la catégorie TS car elle n’est pas tenue par la qualification donnée par la police.
La mise à disposition, à destination de personnes pratiquant la prostitution, d’un ou plusieurs studios est analysée comme une opération d’entremise et de spéculation sur le travail d’autrui et, par conséquent, les revenus qui en résultent ont la nature de bénéfices industriels et commerciaux.[45] « sans qu’y fasse obstacle, ni le montant élevé des loyers perçus, ni la circonstance invoquée par le ministre en défense, tirée de ce que Mme B… n’avait pas déclaré les revenus de cette activité ; que, par voie de conséquence, la requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que l’administration fiscale a imposé ces revenus dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ».
« sans qu’y fasse obstacle, ni le montant élevé des loyers perçus, ni la circonstance invoquée par le ministre en défense, tirée de ce que Mme B… n’avait pas déclaré les revenus de cette activité ; que, par voie de conséquence, la requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que l’administration fiscale a imposé ces revenus dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ».
En matière de proxénétisme hôtelier, il peut arriver que certaines personnes profitent de l’incapacité mentale d’autres personnes pour cacher leur activité. Mais, si l’état d’incapacité mentale du contribuable n’a fait l’objet d’aucune mesure de protection légale comportant la désignation d’une personne habilitée à pourvoir à ses intérêts, cette incapacité n’est pas de nature à entacher de nullité la procédure de redressement contradictoire suivie par l’administration fiscale à son égard.[46] .
Le proxénétisme et la difficulté des preuves. Des erreurs de procédure peuvent toutefois éventuellement mettre à l’abri un proxénète des redressements envisagés par l’administration lorsque celle-ci, pour motiver le montant des bases d’imposition retenues, se borne à indiquer qu’il ressort des éléments du dossier que le bénéfice pouvait être évalué pour chaque année selon les éléments suivants « 300F par client, sept clients par jour, deux cents jours d’activité » et que les bases d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée sont extrapolées des « bénéfices » ainsi calculés par simple application du taux de conversion. Une telle motivation se référant seulement aux « éléments du dossier » sans faire connaître les pièces sur lesquels le vérificateur s’est fondé (procès-verbaux SRPJ par exemple) pour évaluer les bases des rappels d’imposition est insuffisante au regard du juge.[47] et détermine la décharge des impositions.
A contrario, lorsque le contribuable est suffisamment informé de la teneur des renseignements recueillis auprès de l’autorité judiciaire pour être ainsi mis à même de demander communication de ces documents avant la mise en recouvrement des impositions, les redressements sont maintenus.[48] . Le débat contradictoire durant la vérification de comptabilité a en effet eu lieu.
La méthode parfois sommaire de reconstitution des recettes de la prostitution est difficilement contestable par le contribuable car il lui appartient, en matière d’imposition d’office, de proposer une méthode alternative de reconstitution et de rapporter la preuve que la reconstitution des recettes de son activité aurait été, dans les circonstances particulières de l’espèce, viciée dans son principe, excessivement sommaire, ou aurait abouti à des montants erronés. Or, l’administration fiscale se fonde sur les renseignements recueillis par la police judiciaire auprès des prostituées et recoupe ces éléments avec les auditions du proxénète. De facto, ces procès-verbaux sont toujours approximatifs et menés lors d’auditions mettant la pression sur le contribuable.[49] Ils « établissent » des faits par des officiers de police qui justifient leur propre action en faisant accroire des éléments dont l’ampleur démontre la nécessité de leur action et permet leur évaluation administrative. Bien qu’en théorie, la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement pénal ne s’attache pas à l’appréciation de ces mêmes faits au regard de la loi fiscale, notamment en ce qui concerne l’évaluation des bases d’imposition, le caractère exagéré de la méthode de reconstitution des recettes ne peut être aisément battu en brèche.[50]. La confusion entre le chiffre d’affaires réalisé par les prostituées et celui relevant de l’activité d’entremise est même possible mais toutefois sanctionnée par le juge.[51] Seul, peut-être, l’établissement du montant exact des résultats en s’appuyant sur une comptabilité régulière et probante (mais est-ce possible ?) peut être conseillé aux contribuables. En effet, il n’existe sinon que des estimations, chacun sachant que le prix moyen d’une prestation de massage ou de prostitution recouvre en fait de gros écarts, que l’activité est très aléatoire d’une période à l’autre, que la clientèle n’est pas fidélisée et que l’administration ne retient pas toujours les frais occasionnés par l’activité.
Proxénétisme et tenue de comptabilité. Dans une affaire de salon de massage où une comptabilité avait été tenue.[52], l’administration l’a rejetée et la CAA l’a suivie ; ce moyen de défense est donc limité. En effet, faut-il encore que la comptabilité soit probante et on peut être sûr que les entreprises « du sexe » sont considérées avec un œil défavorable permettant toujours au vérificateur de critiquer la valeur probante des journaux comptables alors même que certaines pièces comptables sont par ailleurs saisies par la police et non rendues au contribuable pour permettre sa défense après la mise en recouvrement. Le juge administratif ne voit rien là de choquant au prétexte de l’indépendance des procédures fiscale et pénale. Au cas d’espèce, les fiches récapitulatives mensuelles des recettes faisant apparaître, pour chaque jour ouvré, le montant global des recettes ventilées en recettes « espèces », « cartes bleues » et « chèques », n’étaient pas appuyées du détail des prestations journalières facturées, ni de justificatifs de leur facturation et le montant des espèces reçues n’était pas corroboré en l’absence de caisse enregistreuse. Il suffirait pourtant de constater que le livre des recettes correspond aux relevés bancaires pour constater la réalité des gains. Mais ce moyen est écarté systématiquement car il est plus simple pour le vérificateur d’utiliser un coefficient multiplicateur approximatif pour fonder une imposition qui relève donc davantage de la méthode forfaitaire que de la méthode réelle. Toutefois, pour écarter cet argument et faire apparaître ainsi la méthode forfaitaire comme acceptable, celle-ci se perfectionne.[53] en introduisant tout une série de circonstances donnant à faire croire en la réalité des chiffres proposés : relevé de tarifs, nombre de jours de travail, horaires d’activité, qualification du personnel, estimation du nombre de clients suivant la grille tarifaire, environnement et concurrence, qualité des installations, etc. Il n’en reste pas moins que la multiplication des imprécisions ne fait pas un calcul vrai.
Conclusion
Le « rendement » fiscal.[54]. des opérations de contrôle des activités illicites doit certainement davantage être évalué à partir des statistiques de l’AGRASC.[55] que des statistiques du recouvrement de l’impôt où bon nombre de procédures se terminent par une admission en non-valeur suite à la disparition ou l’insolvabilité du contribuable. A signaler toutefois que la convention signée entre l’AGRASC et l’ensemble des créanciers publics le 21 juillet 2011 en application de l’article 706-161 4° du code de procédure pénale, permettant à l’Agence, avant de procéder à des restitutions, de prévenir les créanciers publics afin qu’ils puissent opérer entre ses mains un avis à tiers détenteur ou une opposition, s’avère efficace. Elle a donné lieu ainsi au paiement de près de 1,3 M.€ en 2013.[56] Le dispositif a été étendu en 2013 aux mainlevées de saisies pénales immobilières (404 saisies en 2013).
Le « rendement » économique pour l’Etat des opérations illicites doit aussi être mesuré à l’aune des confiscations opérées. La confiscation, comme peine complémentaire existe d’une part, sous la forme de la confiscation spéciale « de l’objet ou [du] produit » d’une l’infraction (C. pén. art. 131-21, al. 3) et d’autre part, sous la forme de la confiscation « de tout ou partie des biens appartenant au condamné » (C. pén, art. 131-21, al. 6). La chambre criminelle s’est donné le pouvoir de contrôler désormais la proportionnalité de la peine effectivement prononcée à l’égard d’un condamné avec une jurisprudence.[57] récente. La confiscation du produit du délit n’est que l’effacement de la conséquence illégale de l’infraction et la proportionnalité n’y a pas sa place. Au contraire, la confiscation de tout ou partie de ses biens, indépendamment de leur rapport avec l’infraction, est un appauvrissement qui mérite considération.
Cet article aurait pu s’intituler « de la difficulté de la preuve ». Mais sur le fond, ce n’est pas parce que le créancier fiscal éprouve des difficultés qu’il faut en revenir à un système d’imposition archaïque par son approximation des bases imposables et son autoritarisme des procédures. D’autant, on l’a vu, que les mécanismes d’avant la réforme de 2009 faisaient quand même la part belle aux services fiscaux.
Si on en est arrivé là, c’est sans doute que le fisc est contraint d’afficher son autorité mais désireux de ne pas perdre son temps avec des affaires qui lui ont échappé au départ et qu’il sait n’être que d’un rendement très relatif. L’affichage politique est l’élément déterminant d’une politique régalienne.