Nouvelle décision relative aux difficultés rencontrées par les entreprises pour justifier du respect du principe de pleine concurrence en matière de charges financières intragroupe.
La question centrale de cet arrêt est la déductibilité des intérêts versés par une société à ses associés en cas de liens de dépendance.
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Règle de droit commun (Art. 39-1-3° du CGI) : La déduction des intérêts versés aux associés est en principe plafonnée au taux moyen annuel effectif pratiqué par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable d'une durée initiale supérieure à deux ans (Le taux plafond droit commun).
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Règle spécifique des liens de dépendance (Art. 212-I-a du CGI) : Lorsque l'entreprise emprunteuse est liée à l'entreprise prêteuse au sens de l'article 39-12 du CGI, les intérêts sont déductibles dans la limite du taux plafond droit commun ou, s'il est supérieur, du taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues (Le taux de marché).
Selon le 12 de l'article 39 du CGI, des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises lorsque :
- l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision
- elles sont placées l’une et l’autre, dans les conditions définies à l’alinéa précédent, sous le contrôle d’une même tierce entreprise.
Le contribuable doit donc prouver que le taux appliqué (ici 10 %) correspond au taux de marché, c'est-à-dire celui qu'une société indépendante aurait obtenu, en tenant compte de ses caractéristiques propres et du profil de risque de l'emprunt.
Rappel des faits :
La SAS AE a émis en 2015 et 2016 trois emprunts obligataires convertibles en actions (OCA), portant intérêt au taux de 10 %, souscrits par ses principaux associés, des FCPI. L'Administration fiscale a remis en cause la déduction des intérêts au-delà du taux plafond droit commun de l'article 39, 1-3° du CGI, estimant que la société n'avait pas justifié que le taux de 10 % correspondait au taux de marché.
Après un rejet de sa demande de dégrèvement par le TA de Bordeaux, la SAS AE a fait appel.
- Elle soutient que, compte tenu des liens de dépendance établis avec ses associés FCPI (contrôle par une même tierce entreprise, art. 39, 12-b du CGI), elle était fondée à appliquer l'article 212, I-a du CGI. Elle produit des rapports du cabinet NG Finance visant à prouver que le taux de 10 % était un taux de marché compte tenu de ses caractéristiques (profil de risque, nature subordonnée de la dette) et des conditions analogues (Emprunts obligataires convertibles).
La Cour vient de rejeter la requête de la SAS AE
La Cour confirme dans un premier temps l'existence de liens de dépendance entre la société et les FCPI, permettant bien à la SAS AE de se prévaloir de l'article 212 du CGI et de la preuve du taux de marché.
7. Il résulte de l'instruction que les deux FCPI détiennent à eux deux la majorité du capital de la SAS Alliance Etiquettes, et sont eux-mêmes détenus par la SAS Activa Capital, qui détient donc par leur intermédiaire plus de 50 % de son capital. Ainsi, la SAS Alliance Etiquettes et les FCPI sont placés sous le contrôle d'une même tierce entreprise, au sens du b du 12 de l'article 39 du code général des impôts. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que les intérêts litigieux sont déductibles dans la limite de ceux calculés d'après le taux qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues, conformément au a du 1 de l'article 112 du code général des impôts.
Toutefois, sur le fond la Cour a écarté les justifications du contribuable. Bien qu'elle reconnaisse l'effort de justification (production de plusieurs études détaillées), la Cour a sanctionné un défaut de rigueur méthodologique dans l'appréciation du profil de risque de l'emprunteuse.
La Cour a rappellé que le taux de marché doit être évalué en tenant compte des caractéristiques propres de l'emprunteur, notamment son profil de risque, et que les intérêts attachés à des OCA doivent être corrigés pour tenir compte de la valeur de l'option de conversion. Elle a insisté sur le caractère subordonné (mezzanine) des dettes en cause.
Les analyses du cabinet NG finances tiennent compte, comme il se doit, du caractère subordonné des dettes en cause (dites dettes subordonnées ou dettes mezzanines), dont le remboursement, subordonné à celui de la dette dite senior, ne débute qu'à partir du moment où la dette senior est intégralement remboursée. La dette mezzanine étant plus risquée, elle est davantage rémunérée. Ainsi, le rapport d'analyse du cabinet NG Finance du 4 septembre 2018 expose la décomposition du taux d'intérêt à retenir, en insistant sur le risque de subordination, " lié au rang de séniorité plus faible accordé à l'obligation ". Dans son analyse micro-économique, il détaille les différents crédits bancaires de la société et leur rang de subordination, avant de déterminer la probabilité de défaut, élément clé dans le calcul du taux applicable. Dans l'étude complémentaire du 12 mai 2021, le cabinet NG Finance procède à une analyse des caractéristiques de la société Alliance Etiquettes et de ses filiales, à partir de laquelle il déduit une note pour évaluer le risque de crédit de la société. Il attribue la note BB sur l'échelle SetP (soit Ba2 sur l'échelle Moodys), correspondant à un niveau de risque qualifié de " spéculatif " mais plutôt favorable pour une entité de cette taille. Le taux équivalent moyen à cette notation est compris entre 3,2 % et 6 % pour l'ensemble de la dette financière du groupe. Toutefois, la société Alliance Etiquettes fait valoir que cette notation est basée sur des critères d'exploitation et ne tient pas compte de la dette et des capitaux propres, pourtant plus pertinents pour évaluer le profil de risque de crédit. En tenant compte du ratio dette financière sur capitaux propres, s'agissant des obligations convertibles, le rapport retient un taux entre 8,8 % et 10,2 % en fonction d'un risque de défaut dont le modèle d'estimation consiste à apprécier les potentielles évolutions de la valeur de l'actif de la société et son éventuelle capacité à rembourser ses dettes " junior " et " sénior " à l'échéance, selon le modèle probabiliste Black-Scholes-Merton (BSM).
Enfin, la Cour a constaté que le remboursement des OCA et des intérêts capitalisés était fixé in fine et à une échéance (juin/décembre 2030) postérieure à l'échéance des dettes bancaires prioritaires (senior) (janvier 2022 à juin 2023). La Cour en a déduit que l'allègement du niveau d'endettement prioritaire dans le temps est un facteur essentiel qui aurait dû être intégré dans l'analyse :
Ainsi, et comme le soutient le ministre, la prise en compte du caractère subordonné des OCA dans l'appréciation du risque de défaut devait se faire à l'aune de l'échelonnement dans le temps des remboursements successifs. En l'absence d'un tel échelonnement, l'analyse du risque de crédit est faussée.
La CAA a donc rejeté l'appel de la société, confirmant le redressement. L'analyse du cabinet NG Finance a été jugée insuffisante pour justifier que le taux de 10 % correspond au taux de marché, car elle a omis de prendre en compte l'impact de l'échelonnement des dettes sur le risque de défaut au moment de l'exigibilité des OCA.