Nouvelle décision du juge de l'impôt sur la qualification de titres de participation pour un établissement bancaire, et plus particulièrement sur la difficulté de la remettre en cause a posteriori sur le fondement de l'erreur comptable lorsque l'investissement s'est soldé par une perte. Cette décision nous rappelle que l'intention stratégique initiale, lorsqu'elle est matérialisée par un faisceau d'indices concordants, scelle la qualification des titres, en dépit de l'échec du projet d'influence.
Le litige réside dans la distinction entre les titres de participation et les titres de placement. Pour mémoire, en vertu de l'article 219, I-a quinquies du CGI, les plus-values de cession de titres de participation bénéficient d'une exonération quasi-totale (hors quote-part de frais et charges). En contrepartie, les moins-values, y compris les provisions pour dépréciation, sont traitées comme des moins-values à long terme, non déductibles du résultat ordinaire et seulement imputables sur des plus-values à long terme futures (Art. 39 quindecies du CGI). À l'inverse, les provisions et pertes sur des titres de placement sont, en principe, déductibles du résultat imposable au taux de droit commun.
La qualification fiscale découlant directement de la qualification comptable, il convient de se référer aux normes spécifiques. Or, pour les établissements de crédit, le règlement n° 90-01 (repris par le règlement ANC n° 2014-07) définit les titres de participation comme ceux...
...dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres, ou d'en assurer le contrôle
C'est l'appréciation de cette "utilité" et de cette "influence" qui était au centre du litige.
Rappel des faits :
À partir de 2010 la société Banque Fédérative du Crédit Mutuel (BFCM), membre du groupe Crédit Mutuel-CIC a acquis des titres de la banque espagnole Banco Popular Espanol (BPE), atteignant 5 % de son capital. Ces acquisitions s'inscrivaient dans une "alliance stratégique" annoncée publiquement, visant un développement européen, matérialisée par la création d'une plateforme bancaire commune et l'obtention d'un siège au conseil d'administration de BPE. La BFCM a maintenu sa participation (entre 3,94 % et 5,05 %) par des acquisitions successives jusqu'en 2016, tout en conservant son siège d'administrateur. Conformément à cette stratégie, les titres BPE ont été inscrits en compte de titres de participation.
En juin 2017, la défaillance de BPE a entraîné une résolution bancaire par le Conseil de résolution unique européen, conduisant à l'annulation totale des actions sans dédommagement. La BFCM a constaté une moins-value de 625,7 M€, traitée comptablement et fiscalement comme une moins-value à long terme (non déductible).
La BFCM et la CFCM ont, par voie de réclamation, soutenu que l'inscription initiale en titres de participation constituait une erreur comptable. Elles ont demandé la requalification des titres pour pouvoir déduire de leurs résultats ordinaires les colossales provisions constituées en 2012, 2015 et 2016, ainsi que la moins-value nette finale de 2017.
L'administration fiscale a rejeté ces réclamations. Le TA de Montreuil a confirmé la position de l'administration. La BFCM et la CFCM ont donc fait appel de la décision.
Elles font valoir :
- que la simple intention d'exercer une influence, affichée lors de l'acquisition, ne suffisait pas à caractériser un titre de participation.
- que cette intention devait être corroborée par des éléments objectifs démontrant que l'acquéreur disposait des moyens réels d'exercer cette influence ou en retirait des avantages spécifiques et significatifs.
- qu'au cas particulier ces éléments objectifs étaient insuffisants.
La CAA de Paris vient de rejeter la requête des deux sociétés.
Elle rappelle tout d'abord que l'utilité pour l'activité, critère clé de la qualification comptable, peut être caractérisée
- soit par l'intention (et les moyens) d'exercer une influence,
- soit par l'intention de favoriser son activité par d'autres moyens, tels que les prérogatives juridiques ou les avantages procurés.
4. Il résulte de ces dispositions que, sur le plan comptable, les titres de participation détenus par des établissements de crédit sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle. Une telle utilité peut notamment être caractérisée si les conditions d'achat ou de souscription des titres en cause révèlent l'intention de l'acquéreur d'exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d'exercer une telle influence. Une telle utilité peut aussi être caractérisée lorsque les conditions d'acquisition des titres révèlent l'intention de la société acquéreuse de favoriser son activité par ce moyen, notamment par les prérogatives juridiques qu'une telle détention lui confère ou les avantages qu'elle lui procure pour l'exercice de cette activité. Dans les limites autorisées par la réglementation comptable applicable aux entreprises du secteur bancaire, la qualification comptable donnée aux titres issus d'une acquisition antérieure ne fait pas par elle-même obstacle à ce que les titres de la même société émettrice acquis ultérieurement par un établissement de crédit puissent recevoir une qualification comptable différente, en fonction de l'intention de l'acquéreur à la date de leur achat ou souscription.
Appliquant ces règles à la situation, la Cour relève que le faisceau d'indices entourant l'acquisition de 2010 n'était pas favorables aux deux sociétés :
- l'opération était publiquement présentée comme une alliance stratégique à long terme, incluant une co-entreprise (plateforme bancaire) et, surtout, un siège au conseil d'administration.
La Cour en déduit que les conditions d'acquisition...
...révèlent son intention de favoriser et de développer son activité par ce moyen.
Par ailleurs, la Cour souligne que les acquisitions ultérieures, ayant permis le maintien de la participation et du siège au conseil, n'étaient...
motivées par une autre intention
Enfin, citant le document de référence 2015 du groupe, elle rappelle qu'il présentait l'investissement dans BPE comme un élément d'"influence notable entre le groupe et BPE".
Partant, pour la Cour, l'ensemble de ces éléments démontre que les acquisitions étaient motivées par...
l'intention de mener une stratégie d'influence en vue de procurer à cette dernière des avantages pour l'exercice de son activité économique
Par conséquent, pour la Cour l'inscription en titres de participation n'était pas une erreur, mais la traduction comptable correcte d'une stratégie d'entreprise délibérée :
Il s'ensuit que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander que l'inscription dans un compte de titres de participation des titres détenus par la société BFCM dans la société BPE au cours des années en litige soit regardée comme une erreur comptable et soit corrigée pour lui permettre de réduire leurs bases imposables au titre des années en litige.