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Impôt sur les sociétés

Contrôle des déficits reportables : l'imputation chronologique limite le droit de reprise de l'administration

Décision importante relative à la portée du droit de reprise de l'administration fiscale en matière de déficits reportables. Le juge de l'impôt consacre le principe selon lequel l'imputation chronologique des déficits sur des exercices, même prescrits, a un effet extinctif qui paralyse le droit de contrôle de l'administration sur les déficits ainsi apurés.

 

Pour mémoire, le mécanisme de report en avant des déficits codifié à l'article 209 du CGI permet à une entreprise qui subit une perte (déficit) de la déduire de ses bénéfices futurs, afin de lisser sa charge fiscale dans le temps. Depuis septembre 2011, l'imputation annuelle des déficits est plafonnée. Elle est limitée à 1 M€, majoré de 50 % de la part du bénéfice qui dépasse ce million. Le déficit non imputé reste reportable sur les années suivantes. L'imputation des déficits reportés sur un bénéfice est obligatoirement chronologique. L'entreprise doit utiliser la méthode FIFO : elle impute d'abord le déficit le plus ancien avant de passer aux plus récents. 

 

Rappelons également que le droit de reprise de l'administration, encadré par l'article L. 169 du LPF, limite l'action de l'administration, en matière d'IS, aux trois exercices précédant celui au titre duquel l'imposition est due

 

La question est de savoir si l'administration peut remettre en cause un déficit très ancien (issu d'un exercice prescrit) au moment où l'entreprise l'utilise pour réduire son bénéfice actuel (dans un exercice non prescrit).

 

Rappel des faits :

En l'espèce, la société Faun Environnement disposait à la clôture de l'exercice 2009 d'un stock de déficits reportables de près de 5 millions d'euros, accumulés depuis 2006. Au cours des exercices 2010, 2011 et 2012, tous prescrits au moment du contrôle, la société a réalisé des bénéfices sur lesquels elle a imputé, conformément à la règle chronologique, une partie de ces déficits.

À l'ouverture de l'exercice 2013, premier exercice non prescrit, il subsistait un reliquat de déficit reportable d'environ 1,4 M€. Lors d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2013 et 2014, l'administration fiscale a remis en cause ce stock. Pour ce faire, elle n'a pas contesté les déficits les plus récents, mais a rectifié des charges (provision et mali de fusion) afférentes aux exercices prescrits 2007 et 2008, réduisant d'autant le stock de déficits utilisable en 2013.

La société soutenait que les déficits de 2007 et 2008, étant les plus anciens, avaient déjà été intégralement "consommés" par les bénéfices des exercices prescrits 2010 à 2012, et ne pouvaient donc plus faire l'objet d'un contrôle. Le Tribunal administratif de Montreuil, puis la Cour administrative d'appel de Paris, ont rejeté cette analyse.

 

La Cour a jugé que le reliquat de déficits disponible en 2013 résultait "indistinctement de l'ensemble des résultats déficitaires des exercices clos entre 2006 et 2009", permettant ainsi à l'administration de rectifier n'importe quel déficit composant cette "masse".

 

La société s'est pourvue en cassation.

  • Elle soutient que les déficits les plus anciens, ceux des exercices 2006, 2007 et 2008, ont nécessairement été imputés en priorité sur les bénéfices des exercices 2010, 2011 et 2012, conformément à la règle chronologique d'imputation. Dès lors que ces exercices bénéficiaires étaient eux-mêmes prescrits au moment du contrôle des exercices 2013 et 2014, les déficits intégralement consommés sur ces exercices prescrits devaient être considérés comme définitivement intangibles et échapper au pouvoir de contrôle de l'administration.

 

Le Conseil d'État vient de censurer cette "théorie de la masse indistincte" pour erreur de droit.

 

La Haute Juridiction rappelle d'abord la règle d'imputation : les déficits sont reportés par ordre chronologique, en commençant par le plus ancien, et s'imputent sur l'intégralité du bénéfice (sous réserve du plafond moderne).

 

Elle en tire ensuite la conséquence suivante :

[...] lorsqu'un déficit issu d'un exercice antérieur est, en application des règles énoncées au point 2, réputé avoir été entièrement imputé sur les résultats bénéficiaires d'exercices prescrits, l'administration fiscale n'est plus en droit d'exercer son pouvoir de contrôle et de rectification sur l'existence et le montant de ce déficit.

 

En d'autres termes, l'imputation FIFO n'est pas qu'une simple modalité de calcul, elle a un effet de purge. Les bénéfices réalisés durant des exercices (même prescrits) éteignent définitivement les déficits les plus anciens. Ces déficits, une fois "consommés", disparaissent  et ne peuvent plus être remis en cause par l'administration lors d'un contrôle ultérieur.

 

Le droit de contrôle de l'administration sur les déficits prescrits ne peut donc s'exercer que sur la fraction de déficit "non imputé" (le reliquat). La Cour administrative d'appel a donc commis une erreur en permettant à l'administration de rectifier les déficits de 2007 et 2008, alors qu'elle aurait dû d'abord vérifier si ces déficits spécifiques n'avaient pas déjà été apurés par les bénéfices de 2010 à 2012.


 

 

Publié le lundi 17 novembre 2025 par La rédaction

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