Le juge de l'impôt statuant sur renvoi du Conseil d'État, clos le débat sur la qualification des montres de luxe au regard de la taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux et les objets d'art : la fonction ornementale prime sur la fonction utilitaire de mesure du temps.
Le litige concerne l’application des articles 150 VI et 150 VK du CGI, qui imposent une taxe forfaitaire sur les cessions à titre onéreux de certains biens, incluant les métaux précieux, les bijoux, ainsi que les objets d’art, de collection ou d’antiquité. Plus précisément :
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Article 150 VI du CGI : Imposant une taxe sur les cessions de métaux précieux, bijoux, et objets d’art, avec une exonération pour les cessions dont le prix ne dépasse pas 5 000 euros (article 150 VJ).
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Article 150 VK du CGI : Définissant l’assujettissement à la taxe, précisant que celle-ci est due par le vendeur ou, sous certaines conditions, par l’acquéreur.
S'agissant des bijoux, la doctrine BOFIP-Impôts précise qu'il s’agit notamment des articles suivants :
- perles fines ou de culture ni montées ni serties ;
- diamants ni montés ni sertis (à l’exclusion des biens à usage industriel) ;
- pierres gemmes ni montées ni serties (à l’exclusion des biens à usage industriel)
- pierres synthétiques ou reconstituées ni montées ni serties (à l’exclusion des biens à usage industriel) ;
- ouvrages en perles fines et de culture, en pierre gemme ou en pierre synthétique (à l’exclusion des biens à usage industriel) ;
- articles de bijouterie ou de joaillerie et leurs parties en métaux précieux ou en plaqués ou doublés de métaux précieux, y compris les ébauches et articles incomplets ;
- articles d'orfèvrerie et leurs parties en métaux précieux ou en plaqués ou doublés de métaux précieux, y compris les ébauches et articles incomplets ;
- bijouterie de fantaisie ;
- montres-bracelets, montres de poche et similaires ;
- bracelets de montres et similaires en métaux précieux ;
- autres ouvrages en métaux précieux.
Rappel des faits :
La société PH achète des montres-bracelets de luxe d’occasion auprès de particuliers, avec des valeurs variant entre 5 200 et 45 000 €. L’administration fiscale a estimé que ces montres, en raison de leur valeur et de leur nature, constituaient des bijoux au sens de l’article 150 VI du CGI, et donc assujetties à la taxe correspondante, indépendamment de leur composition en métaux précieux. La société a contesté cette imposition, arguant que seules les montres utilisées comme parures et possédant une valeur dépassant le seuil fixé constituaient des bijoux taxables, et que ses montres, bien que de haute valeur, étaient avant tout destinées à leur fonction première de garde-temps.
Après la décision initiale favorable au Tribunal administratif et son maintien par la CAA de Paris en 2022, le Conseil d’État a annulé cet arrêt en décembre 2023, soulignant que la CAA avait mal interprété la définition de "bijoux" en se limitant aux aspects matériels des montres. L’affaire a donc été renvoyée à la CAA de Paris pour un nouvel examen.
La Cour vient d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris. Cette décision conduit à remettre à la charge de la société PH les rappels de taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité.
Le point central du litige portait sur la qualification des montres bracelets de luxe comme "bijoux".
Le Conseil d'État, dans son arrêt du 12 décembre 2023, a défini les bijoux comme :
des objets ouvragés, précieux par la matière ou par le travail, destinés à être portés à titre de parure, y compris lorsqu'ils ne sont pas composés de métaux précieux.
Cette définition prétorienne s'écarte de l'interprétation restrictive retenue initialement par les juges du fond, qui limitaient la qualification de bijoux aux seules montres composées de métaux précieux ou comportant des éléments précieux.
La société PH, arguait que les montres qu'elle commercialisait n'étaient pas destinées à être portées comme parures mais pour leur fonction première de mesure du temps. L'administration fiscale, quant à elle, soutenait que les montres de luxe d'occasion, dont la valeur dépassait 5 000 euros, constituaient des bijoux indépendamment de leur composition.
La Cour administrative d'appel de Paris, suivant la position du Conseil d'État, a considéré que les montres en cause, fabriquées par des marques prestigieuses et acquises à des prix élevés (entre 5 200 et 45 000 €), étaient, par leurs caractéristiques mêmes, destinées à être portées à titre de parure. Cette destination l'emporte sur leur fonction utilitaire de mesure du temps.
Il résulte de l'instruction, et notamment des termes de la proposition de rectification du 30 novembre 2018, que la totalité des acquisitions retenues par l'administration fiscale, effectuées par la société Paris Heure auprès de particuliers, concernent des montres d'occasion fabriquées par des marques prestigieuses, achetées à un prix compris entre 5 200 et 45 000 euros, et que ces montres, compte tenu de leurs caractéristiques, sont destinées à être portées à titre de parure. Ces montres constituent, dès lors, des bijoux au sens du 2° du I de l'article 150 VI du code général des impôts, quand bien même elles ne seraient pas composées de métaux précieux. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour prononcer la décharge des droits de taxe sur les métaux précieux, les bijoux et les objets d'art, de collection et d'antiquité qui ont été réclamés à la société Paris Heure au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017, ainsi que des pénalités correspondantes, le Tribunal a considéré que les opérations de cessions de montres en litige n'avaient pas porté sur des bijoux et que, par suite, elles n'entraient pas dans le champ d'application de ladite taxe.
TL;DR
Les montres de luxe d'occasion peuvent être qualifiées de bijoux, et donc soumises à la taxe forfaitaire, indépendamment de leur composition matérielle, dès lors que leur valeur et leurs caractéristiques témoignent d'une fonction ornementale.