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Fiscalité communautaire

Une exonération fiscale générale et abstraite ne constitue pas une aide d’État car elle ne confère pas un avantage sélectif

Contribution de la CJUE à la jurisprudence communautaire en matière d'aides d'État dans le domaine fiscal apportant des précisions sur les critères permettant de déterminer si une exonération fiscale constitue ou non une aide d'État prohibée par le droit de l'Union.

 

L'article 107, paragraphe 1, du TFUE interdit les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres. En parallèle, l'article 108, paragraphe 3, du TFUE impose aux États membres de notifier à la Commission européenne tout projet d'aide d'État.

Pour qu'une mesure puisse être qualifiée d'aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE, quatre conditions cumulatives doivent être réunies :

  1. La mesure doit constituer une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État
  2. Elle doit être susceptible d'affecter les échanges entre États membres
  3. Elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire
  4. Elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence

En matière fiscale, l'analyse de la sélectivité de la mesure revêt une importance particulière. La méthode d'analyse se décompose généralement en trois étapes :

  • L'identification du cadre de référence, c'est-à-dire le régime fiscal "normal"
  • La démonstration que la mesure déroge à ce cadre en introduisant des différenciations entre opérateurs comparables
  • L'examen de l'éventuelle justification de cette différenciation par la nature ou l'économie du système

 

Rappel des faits :

L'affaire concerne une entreprise polonaise possédant un embranchement ferroviaire particulier sur ses terrains. Cette entreprise avait décidé de mettre cet embranchement à la disposition d'un transporteur ferroviaire afin de bénéficier d'une exonération de l'impôt foncier prévue par la législation polonaise.

La législation polonaise relative aux impôts et redevances locales (article 7, paragraphe 1, point 1, sous a) prévoyait en effet une exonération de l'impôt foncier pour "les terrains, bâtiments et constructions faisant partie de l'infrastructure ferroviaire [...] qui est mise à la disposition des transporteurs ferroviaires".

L'entreprise a demandé au maire de Mielec un rescrit fiscal confirmant son droit à cette exonération. Malgré le fait qu'elle remplissait formellement toutes les conditions prévues par le droit polonais, l'exonération lui a été refusée. Les autorités ont considéré que cette exonération constituerait une aide d'État illégale, n'ayant pas été préalablement notifiée à la Commission européenne conformément à l'article 108, paragraphe 3, du TFUE.

L'entreprise a contesté ce refus devant les juridictions polonaises. La Cour suprême administrative polonaise, incertaine quant à la qualification d'aide d'État de cette exonération, a saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle portant essentiellement sur deux points :

  • L'exonération en cause confère-t-elle un avantage sélectif et fausse-t-elle ou menace-t-elle de fausser la concurrence ?
  • En cas de qualification d'aide d'État illégale, l'entreprise bénéficiaire doit-elle rembourser les montants d'impôt non payés ?

La Cour de justice a déclaré la seconde question irrecevable, l'entreprise n'ayant pas encore bénéficié de l'exonération fiscale, ce qui rendait la question hypothétique.

 

La Cour commence par préciser que même si les interventions des États dans des domaines non harmonisés comme la fiscalité directe ne sont pas exclues du champ d'application des règles sur les aides d'État, les États membres disposent d'une large autonomie dans ce domaine.

 

Concernant la condition relative à l'avantage sélectif

La Cour établit qu'en principe, une "exonération générale et abstraite assortissant un impôt direct" échappe normalement à la qualification d'aide d'État. En effet, dans la mesure où cette exonération est présumée être inhérente au régime fiscal "normal", elle ne saurait, en règle générale, conférer un avantage sélectif.

 

Cette conclusion est fondée sur l'autonomie fiscale reconnue aux États membres, qui peuvent légitimement poursuivre, par la fiscalité directe, non seulement un objectif budgétaire mais également d'autres objectifs d'intérêt général.

 

La Cour nuance toutefois cette position en identifiant deux situations où une exonération fiscale générale et abstraite pourrait néanmoins être qualifiée de sélective :

  1. Lorsque l'exonération fait partie d'un régime fiscal configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires, destinés à contourner le droit de l'Union
  2. Lorsque les conditions fixées pour bénéficier de l'exonération se rapportent à des caractéristiques spécifiques des entreprises bénéficiaires, indissociablement liées à leur nature ou à leurs activités, de sorte qu'elles forment une catégorie cohérente

Dans le cas d'espèce, la Cour constate que l'exonération en cause semble pouvoir être obtenue par un groupe hétérogène de bénéficiaires, comprenant des opérateurs non économiques et des entreprises de tailles et secteurs d'activité très divers. Le critère utilisé (posséder un terrain faisant partie de l'infrastructure ferroviaire mis à disposition des transporteurs ferroviaires) apparaît comme neutre, s'appliquant indépendamment des secteurs ou des activités économiques des bénéficiaires.

Par ailleurs, la Cour relève que cette exonération poursuit non seulement un objectif budgétaire, mais aussi un objectif environnemental visant à inciter à la réhabilitation des voies de service ferroviaire désaffectées et à l'utilisation du transport ferroviaire, moins polluant que le transport routier.

 

La Cour conclut donc, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, que l'exonération en cause ne semble pas conférer d'avantage sélectif.

 

Concernant la condition relative à la distorsion de concurrence

Tout en estimant que l'exonération ne confère pas d'avantage sélectif, la Cour examine néanmoins, à titre subsidiaire, la condition relative à la distorsion de concurrence.

Elle rappelle qu'il n'est pas nécessaire d'établir une distorsion effective de la concurrence, mais simplement d'examiner si la mesure est susceptible de la fausser. Une telle condition est remplie dès lors qu'il existe une situation de concurrence effective sur le marché concerné, la circonstance qu'un secteur économique a fait l'objet d'une libéralisation au niveau de l'Union étant particulièrement significative.

La Cour souligne également que les mesures visant à libérer une entreprise des coûts qu'elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de sa gestion courante faussent en principe les conditions de concurrence.

 

Une exonération fiscale générale et abstraite, fondée sur des critères neutres applicables à un groupe hétérogène de bénéficiaires, est présumée faire partie du régime fiscal "normal" et échappe donc normalement à la qualification d'aide d'État.

 

Publié le mardi 29 avril 2025 par La rédaction

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