Accueil > Fiscalité internationale > Fiscalité communautaire > Déduction de TVA et opérations fictives : la CJUE conforte le refus de déduction sans examen de la connaissance de la fraude
Fiscalité communautaire

Déduction de TVA et opérations fictives : la CJUE conforte le refus de déduction sans examen de la connaissance de la fraude

Une récente ordonnance de la CJUE apporte des précisions sur les conditions d'exercice du droit à déduction de la TVA dans l'Union européenne. Elle confirme une jurisprudence constante de la CJUE selon laquelle le principe de réalité est fondamental en matière de TVA. Si une opération n'a pas été effectivement réalisée, le droit à déduction ne peut être exercé, indépendamment de la bonne ou mauvaise foi de l'assujetti. La question de la connaissance de la fraude ne se pose qu'à titre subsidiaire, lorsque l'opération a bien été réalisée mais qu'elle s'inscrit dans un contexte frauduleux.

 

Le droit à déduction constitue un mécanisme fondamental du système commun de TVA, régi par les articles 167, 168 et 178 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (Directive TVA). Pour rappel, ce droit est subordonné au respect de conditions tant matérielles que formelles. Les conditions matérielles exigent notamment que l'intéressé soit un assujetti et que les biens ou services invoqués pour fonder le droit à déduction soient utilisés pour les besoins de ses propres opérations taxées. Une condition matérielle essentielle est que la livraison de biens ou la prestation de services à laquelle se rapporte la facture ait été effectivement réalisée.

 

Sur le plan formel, l'article 178, sous a), de la directive TVA dispose que, pour exercer son droit à déduction, l'assujetti doit notamment détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240 de la directive.

 

Rappel des faits :

Dans cette affaire, la société hongroise Klinka-Geo, dont l'activité principale est le commerce de véhicules automobiles, s'est vu refuser par l'administration fiscale hongroise le droit à déduction de la TVA se rapportant à une série de factures émises par trois sociétés au cours de l'année 2011.

La première société, Intellisec Kft., aurait fourni des services de gardiennage à Klinka-Geo. Cependant, l'administration fiscale a constaté qu'Intellisec ne disposait pas de la main-d'œuvre nécessaire à la réalisation des prestations mentionnées sur la facture émise, et a jugé non crédibles les factures de sous-traitants présentées par cette société.

La deuxième société, Magyar Beton Gyártó Kft., aurait fourni à Klinka-Geo une dalle en béton armé. L'administration fiscale a considéré que cette société, qui n'avait pas rempli ses obligations fiscales et ne disposait pas des moyens en personnel et en matériel nécessaires, n'avait pas réalisé cette prestation. De plus, le nouveau gérant de la société a déclaré que la facture ne correspondait à aucune prestation réelle.

La troisième société, Double Two Kft., aurait fourni des services de transport à Klinka-Geo. L'administration fiscale a constaté que cette société n'avait plus déposé de déclaration de TVA après le deuxième trimestre de 2012 et était devenue injoignable. Le droit à déduction a été refusé en raison de l'absence de documents attestant la réalisation effective des services et du fait que la même personne représentait Double Two et Klinka-Geo.

 

L'administration fiscale a redressé le montant de la TVA due par Klinka-Geo et lui a infligé une amende fiscale. Sur recours de la société, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a annulé ce redressement, considérant que l'administration n'avait pas établi l'existence de circonstances objectives justifiant le refus du droit à déduction, au regard de la jurisprudence de la CJUE.

La Kúria (Cour suprême hongroise) a annulé cette décision et renvoyé l'affaire devant la cour de Budapest-Capitale, estimant que celle-ci n'avait pas accordé l'importance requise au fait que l'administration fiscale avait refusé le droit à déduction en raison de l'absence de réalisation des prestations. La Kúria a ordonné à la juridiction de renvoi d'appliquer son avis n° 5/2016, selon lequel la vérification du droit à déduction obéit à des règles différentes selon que l'opération économique a été ou non réalisée.

 

Saisie à nouveau de l'affaire, la cour de Budapest-Capitale a interrogé la CJUE sur la compatibilité de cette pratique avec le droit de l'Union, notamment quant à la possibilité pour l'administration fiscale de refuser la déduction sans vérifier si l'assujetti avait connaissance de la fraude, lorsqu'elle constate que l'opération n'a pas eu lieu.

 

Sur le fond, la CJUE rappelle que le droit à déduction de la TVA est subordonné au respect de conditions matérielles, parmi lesquelles figure l'exigence que la livraison de biens ou la prestation de services ait été effectivement réalisée. Le caractère fictif d'une opération suffit donc à priver le destinataire de la facture du droit d'obtenir la déduction de la TVA.

 

La Cour précise que la question de savoir si l'assujetti savait ou aurait dû savoir qu'il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA se pose seulement lorsque toutes les conditions matérielles et formelles du droit à déduction sont réunies. Dans ce cas seulement, le bénéfice du droit à déduction peut être refusé s'il est établi que l'assujetti a lui-même commis une fraude ou qu'il savait ou aurait dû savoir qu'il participait à une opération impliquée dans une fraude.

 

Par conséquent, la CJUE conclut que la directive TVA ne s'oppose pas à ce que l'administration fiscale refuse la déduction de la TVA sans vérifier si le destinataire de la facture savait ou aurait dû savoir que l'opération était impliquée dans une fraude, lorsqu'elle constate que cette opération n'a pas eu lieu.

 

La Cour se déclare incompétente pour apprécier si les circonstances relevées par l'administration fiscale sont susceptibles de justifier le refus de déduction, estimant qu'il n'appartient pas à la Cour de qualifier les faits du litige principal.

Par ailleurs, elle considère comme manifestement irrecevables les questions relatives à l'obligation, pour une juridiction nationale dont les décisions sont insusceptibles de recours, de saisir la CJUE d'une demande préjudicielle, ainsi que la question de savoir si sa réponse vaut pour tout litige ou seulement pour les affaires relatives au droit à déduction de la TVA.

Enfin, la Cour rappelle que le principe de primauté du droit de l'Union oblige une juridiction nationale statuant sur renvoi après cassation à écarter les orientations de la décision de renvoi si elle les estime contraires au droit de l'Union, au vu d'une jurisprudence claire de la Cour, sans être tenue d'adresser au préalable une question préjudicielle à la CJUE.

 

Publié le mardi 20 mai 2025 par La rédaction

5 min de lecture

Avancement de lecture

0%

Partages :