Chefs-d’œuvre et provenances prestigieuses : depuis le triomphe de la collection Karpidas jusqu’aux ventes new-yorkaises de novembre, la saison des enchères se transforme en véritable théâtre du luxe et du prestige. Tous les regards sont tournés vers les prochaines pièces muséales, espérées depuis des mois.
Tout au long de septembre, les annonces se sont succédé : chefs-d’œuvre inespérés consignés par les grandes maisons de vente, estimations record, provenances prestigieuses… Après une longue période de ralentissement du marché haut de gamme, l’automne s’annonce flamboyant, avec le retour d’œuvres d’exception. Le succès retentissant de la collection Karpidas a officiellement ouvert la saison des enchères. Le haut du marché des œuvres premium retrouvera-t-il son panache ? Pourra-t-il regonfler la confiance des collectionneurs ? Tous les regards se tournent vers novembre : les grandes ventes new-yorkaises promettent un véritable test pour le marché de l’art.
La collection Karpidas comme booster de confiance
Il s’agit de « la plus grande collection de surréalisme à avoir émergé récemment ». Portée par l’aura de Pauline Karpidas, mécène anglaise passionnée d’art moderne, contemporain et de design, la dispersion de sa collection a dépassé toutes les attentes mi septembre, établissant un record européen pour Sotheby’s et insufflant un net regain de confiance et d’énergie. Pendant trois jours, du 17 au 19 septembre, quelque 250 lots se sont vendus, avec un enthousiasme bien au-delà de New Bond Street.
Ont participé à cette vente des enchérisseurs de 42 pays — d’Europe, d’Amérique et d’Asie — et les résultats marquants.
Les neuf pièces de Lalanne, pour la plupart créées spécialement pour Karpidas, ont cumulé plus de 18 millions de dollars, menées par la sculpture unique Choupatte de Claude LALANNE (1925-2019), cédée plus de 2,5 millions de dollars, soit cinq fois son estimation. Le surréalisme “historique” s’est également illustré : la Statue volante (1958) de René Magritte change de mains à 13,7 millions, un résultat solide bien qu’en retrait par rapport à l’estimation haute (16 millions), tandis que la petite huile sur carton Mille filles (1939) de Hans BELLMER (1902-1975) doublait les pronostics à 416 000 dollars, établissant un record pour l’artiste. Quant à Deux Amies de Francis Picabia, son prix de 4,5 millions de dollars dépasse largement les estimations et signe un record pour une œuvre tardive de l’artiste, datée de 1940.
Francis PICABIA (1879-1953), Deux amies (1940/41)
Huile/carton, 75,6 x 105,9 cm
Sotheby’s, Londres, 17/09/2025. Estimation: 3 m$ – 3,8 m$. Prix avec frais: 4,5m$
Après des mois de flottement sur le haut de gamme et dans un contexte délicat pour Sotheby’s — résultats en berne, licenciements, dégradation de sa note de crédit —, le triomphe de la vente Karpidas résonne comme un bol d’air bienvenu pour la deuxième maison de ventes mondiale et pour l’ensemble du Marché de l’Art.
Les moments forts de la saison : des collections Lauder et Pritzker aux allures d’événement
La dispersion triomphale de la collection Karpidas s’inscrit dans un contexte où d’autres signaux redonnent des couleurs au marché haut de gamme. Chez Christie’s comme chez Sotheby’s, les grandes maisons ont su rallier les collections majeures, allant jusqu’à s’engager financièrement en garantissant plusieurs lots de prestige. Dès la fin septembre, Hong Kong a donné le ton avec des catalogues garnis de signatures phares — Zao Wou-Ki, Hockney, Picasso, Cézanne, Lempicka, Botero ou Nara —, mais c’est surtout New York qui cristallise toutes les attentes avec ses ventes de novembre.
Christie’s misera sur trois ensembles d’exception : la collection Robert F. et Patricia G. Ross Weis (180 m$ estimés) avec Rothko, Picasso et Matisse ; celle d’Elaine Wynn (75 m$), où brillent Lucian Freud, Joan Mitchell ou Richard Diebenkorn ; et enfin la collection Edlis/Neeson, riche de noms tels que Condo, Dumas, Fischl, Currin ou Sherman.
Sotheby’s frappe encore plus fort avec deux ensembles appelés à marquer l’histoire : la collection Pritzker (120 m$) et surtout celle de Leonard Lauder (400 m$), réunissant Matisse, Munch et Van Gogh.
Le clou en sera sans doute les trois Gustav KLIMT (1862-1918) (1914–1916), attendus entre 250 et 300 m$. Parmi eux, le Portrait d’Elisabeth Lederer (image ci-contre) concentre à lui seul plus du tiers de l’estimation totale de la collection Lauder : évalué au-delà de 150 m$, il pourrait battre le record absolu de Klimt (108 m$).
Beauté, conservation, provenance : tout est réuni pour un moment historique. Une mise à l’épreuve décisive pour le marché très haut de gamme, dont le verdict est désormais attendu avec impatience.
Avant cela, le 8 novembre, Sotheby’s orchestrera la dispersion d’une prestigieuse collection privée (le nom du collectionneur n’a pas été révélé), rassemblant des chefs-d’œuvre de Salvador Dalí, Max Ernst ou René Magritte. Estimée entre 70 et 105 millions de dollars, cette collection baptisée Exquisite Corpus s’annonce comme un événement rare.
« On ne rencontre des ensembles d’une telle envergure et d’une telle concentration qu’une seule fois dans sa vie », souligne Julian Dawes, vice-président de Sotheby’s et directeur de l’art impressionniste et moderne pour les Amériques.
Plus qu’une succession de chefs-d’œuvre, Exquisite Corpus se veut un tout cohérent, où récits et visions convergent pour incarner l’esprit qui a marqué l’époque surréaliste. Une collection “de rêve”, selon Sotheby’s, notamment avec un chef-d’oeuvre de Frida Kahlo qui pourrait rebattre les cartes
Pourquoi Frida Kahlo se dirige vers un nouveau sommet ?
C’est l’un des rendez-vous les plus attendus de la saison : la mise en vente d’El sueño (La cama) de Frida KAHLO (1907-1954), le 8 novembre prochain chez Sotheby’s New York. Estimée entre 40 et 60 millions de dollars, cette toile peinte en 1940 pourrait bien établir un nouveau record pour l’artiste et pour l’art latino-américain. Le précédent, fixé en 2021 par Sotheby’s avec Diego y yo (1949) à 34,9 m$, paraît déjà menacé.
L’œuvre, exposée à Londres avant une tournée mondiale passant par Abu Dhabi, Hong Kong et Paris, incarne l’univers onirique et tourmenté de Kahlo : l’artiste s’y représente allongée dans un lit à baldaquin suspendu dans un ciel nuageux, entourée de plantes grimpantes, tandis qu’un squelette muni d’un fil de dynamite et tenant un bouquet de fleurs veille au-dessus d’elle. À travers cet autoportrait métaphorique, Kahlo traduit une vie marquée par la douleur physique depuis son accident de bus à 18 ans, mais sublimée par une puissance créatrice inépuisable.
El sueño (La cama) de Frida Kahlo (1940) pourrait atteindre 60 m$ en novembre chez Sotheby’s
La vente de ce Kahlo arrive dans un bon timing
Le timing de cette vente est idéal. Elle intervient dans le sillage du triomphe de la collection Karpidas à Londres, où les 23 œuvres surréalistes ont totalisé plus de 40 millions de dollars, confirmant l’intérêt soutenu pour le mouvement.
Le regain d’intérêt pour le surréalisme, un siècle après le manifeste influent de l’écrivain André Breton, se reflète clairement dans la hausse des prix des œuvres du mouvement. Aux enchères, les œuvres surréalistes ont engrangé 582,9 millions de dollars en 2024, soit 6 % du produit mondial, dont l’impressionnant record de 121,2 millions pour L’Empire des lumières de Magritte.
À ce contexte porteur s’ajoute une visibilité institutionnelle de premier plan : une double exposition consacrée à Kahlo se prépare pour 2026 au Museum of Fine Arts de Houston et à la Tate Modern de Londres. Autant de raisons de croire que El sueño (La cama) pourrait, en novembre, propulser Frida Kahlo vers un nouveau sommet historique.
Points à retenir des ventes d’automne
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Karpidas : un triomphe inspirant
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250 lots dispersés sur trois jours à Londres, total de 136 M$ contre une estimation de 80 M$.
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Lalanne, Bellmer et Picabia dépassent largement leurs estimations.
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Un signal fort de confiance et de retour des grands collectionneurs en salle.
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Christie’s : trois collections d’exception
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Ross Weis (180 m$) : Rothko, Picasso, Matisse.
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Elaine Wynn (75 m$) : Lucian Freud, Joan Mitchell, Richard Diebenkorn.
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Edlis/Neeson : Condo, Dumas, Fischl, Currin, Sherman.
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Sotheby’s : collections historiques à New York
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Pritzker (120 m$) et Lauder (400 m$) : des événements historiques pour le marché très haut de gamme.
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Trois Klimt (1914–1916) estimés 250–300 m$, dont le « Portrait d’Elisabeth Lederer », susceptible de battre le record de l’artiste.
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Exquisite Corpus : surréalisme en lumière
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Collection privée incarnant l’esprit surréaliste dispersée le 8 novembre
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Un chef-d’œuvre de Frida Kahlo, El sueño (La cama), pourrait surpasser son record aux enchères (Diego y yo, 34,9 m$, 2021).
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