Depuis six ans avec l’arrivée d’un premier coup de marteau millionnaire dans l’histoire du marché des peintres vietnamiens, le fruit de la vente de leurs œuvres à d’abord doublé, puis quasiment triplé à l’échelle mondiale, avec une nette accélération des records d’adjudications sur les deux dernières années. Les enchères s’agitent d’un bout à l’autre du monde, notamment pour LE PHO et Trung Thu MAI, arrivés en France dans les années 1930.
Ces deux artistes, Mai-Thu et Le Pho, appartiennent à la génération d’acteurs vietnamiens ayant lié le monde de la représentation asiatique à celui de la modernité occidentale. Ils ont tout d’abord reçu un enseignement aux techniques occidentales (composition selon les codes occidentaux, histoire de l’art, peinture à l’huile, etc.) à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Indochine (EBAI) d’Hanoi fondée par Victor Tardieu et Nam So’n. C’est cette première école des Beaux-Arts d’Indochine qui a marqué un véritable tournant dans l’histoire de l’art vietnamienne.
Figure majeure de l’art moderne Vietnamien, Mai-Thu (1906-1980) est un grand maître de la peinture sur soie, dont l’œuvre connaît actuellement un engouement sans précédent sur le marché de l’art. Ayant passé une grande partie de sa vie en France, Mai-Thu est entré dans de nombreuses collections hexagonales si bien que le marché français est le plus riche du monde pour ses œuvres, qui enflamment régulièrement leurs estimations. Ainsi, en avril dernier, une peinture sur soie, représentant Trois sœurs (1947) élégantes dans leur tenues traditionnelles ao dai, emportait un résultat équivalent à 327 000$, soit au double de l’estimation haute fournie par la maison en charge des enchères (Boisgirard-Antonini, Paris). Cette œuvre, comme d’autres, aurait pu se retrouver dans une vente américaine, Mai-Thu ayant été approché à l’époque par la galerie new-yorkaise Wally Findlay qui aurait pu lui assurer un rayonnement international et un réel succès commercial de son vivant. Mais l’artiste a refusé cette collaboration et le succès rapide qu’elle aurait engendré en raison de la guerre qui sévissait à l’époque au Vietnam. Il n’en est pas moins devenu l’un des deux peintres les plus célèbres de la première promotion de l’histoire de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Indochine, avec son ami Lé Phô, fils du vice-roi du Tonkin, arrivé à Paris avec lui.
Portrait de Mai Thu au début des années 1940
Mai THU : Répartion géographique du nombre de lots vendus depuis 2020 : la France est un vivier essentiel pour son marché (copyright Artprice.com)
Le Pho, que Victor Tardieu considérait comme l’un des plus brillants artistes qu’ait produit l’Ecole Supérieure des Beaux Arts d’Indochine, s’installe définitivement en France à la fin des années 1930. Il se détache alors des techniques ancestrales de la peinture sur soie au profit de la peinture à l’huile. Ayant trouvé sa propre voie artistique, il commence à exposer aux côtés de Marquet et Dufy dans la galerie d’Alger d’André Romanet. Au début des années 1960, et contrairement à Mai-Thu, Le Pho, signe un contrat quasi-exclusif avec la galerie Wally Findlay lui ouvrant une nouvelle audience américaine si bien qu’aujourd’hui, le marché américain est mieux fourni en oeuvres que le marché français, et les prix montent sur place. Le 6 mai dernier par exemple, une nature morte au bouquet de 35 sur 50 centimètres, annoncée entre 3 000 et 5 000$, a presque multiplié par dix son estimation haute à Boston (SVV Grogan & Company). Le Pho, qui a joui d’une grande renommée à la fin de sa vie, renforce son succès aujourd’hui encore avec des collectionneurs asiatiques de plus en plus motivés, qui se joignent aux collectionneurs américains et européens pour faire grimper les enchères. Désormais, c’est à Hong Kong que le marché de Le Pho bat son plein.
Le Pho et le marchand d’art Wally Findlay à la galerie Findlay, vers 1960. Wikimedia Commons/Musée Annam
Evolution de l’indice des prix de Le Pho aux enchères depuis 2000
(copyright Artprice.com)
Les plus belles adjudications entre Hong Kong et Paris
Il aura fallu attendre l’année 2017 pour que tombe le premier coup de marteau millionnaire réservé à la peinture vietnamienne. Il venait alors récompenser l’œuvre Family Life de l’artiste Le Pho, qui a multiplié depuis les résultats de cet ordre. Les commissaires-priseurs enregistrent aujourd’hui 18 résultats millionnaires pour les artistes vietnamiens : pour Le Pho à sept reprises, mais aussi pour Trung Thu MAI, artiste vietnamien le plus cher qui soit depuis la vente de son Portrait de Mademoiselle Phuong pour 3,1m$ (en 2021); ainsi que pour Phan Chanh NGUYEN, PHAM HAU, Cao Dam VU, TO NGOC VAN, Gia Tri NGUYEN
Top adjudications pour des artistes vietnamiens (copyright Artprice.com)
Face à Hong Kong où exercent les mastodontes Christie’s, Sotheby’s et Bonhams, il est important de signaler le rôle du marché français (deux résultats millionnaires à ce jour), notamment de la société de ventes Aguttes dont l’art vietnamien est l’une des grandes spécialité.
En 2020, le département “Peintres d’Asie et Arts d’Asie” (dont les artistes vietnamiens) totalisait l’équivalent de 8,8 millions de dollars dont, à l’époque, le 2e record mondial pour Le Phô avec sa Jeune fille aux pivoines vendue à plus d’1,3m$. En 2021, Aguttes prononçait le deuxième record mondial pour l’artist Phạm Hầu (le troisième aujourd’hui), à un million de dollars. L’année dernière, le département cumulait un résultat de 22 millions de dollars, deux fois et demi son résultat de 2020, grâce à l’attrait pour ces enchères de collectionneurs avertis provenant de Taipei, Hong Kong, Hô-Chi-Minh ou encore Hanoï.
Charlotte Aguttes-Reynier, experte du département explique sa démarche : “constatant que nombre d’entre eux (les artistes asiatiques) sont restés méconnus du public occidental, je me suis donc attachée depuis 2014 à les mettre en lumière, ici, à Paris, ville dans laquelle ils étaient venus pour la plupart parfaire leur éducation artistique. Mon travail est donc de leur rendre hommage et de promouvoir leurs œuvres à Paris.”
En octobre 2022, la 35e vente aux enchères d’Aguttes consacrée aux “Peintres et Arts du Vietnam” rapportait l’équivalent de trois millions de dollars, avec un exceptionnel taux de vente de 99,6% des lots en valeur ! Maternité de Vũ Cao Đàm, artiste faisant partie de la 2e promotion de l’École supérieure des Beaux-Arts d’Indochine, a décroché 478 800$ et l’artiste a atteint le million de dollars avec la vente cumulée de quatre de ses œuvres, lorsque Mai Trung Thứ affiche aussi un total millionnaire obtenus pour sept lots.
TOP 5 de la vente Aguttes, 3 octobre 2022
Vũ Cao Đàm (1908-2000), Maternité – 478 848$
Lê Quốc Lộc (1918-1987), Les rapides de Cho Bo – 453 831$
Mai Trung Thứ (1906-1980), Jeunes filles aux coussins – 353 763$
Mai Trung Thứ (1906-1980), Pommes – 291 221$
Mai Trung Thứ (1906-1980), L’écharpe bleue – 266 205$
Précurseur sur cette niche de marché avant l’engouement international, Aguttes entend multiplier les succès en renforçant ses départements liés à l’Asie. La société accueillait récemment dans ses équipes Clémentine Guyot et Marine Bassal-Biron pour les Arts d’Asie, ainsi qu’Eléonore Asseline pour les Peintres d’Asie. “Ces arrivées permettent de répondre à la demande croissante du marché sur ce secteur et accompagnent le souhait de la maison d’internaliser l’expertise. Aguttes compte désormais neuf collaborateurs qui travaillent sur ce secteur.”
Evolution du produit des ventes aux enchères mondiales pour les artistes vietnamiens (copyright Artprice.com)