Plus de 147 000 œuvres d’art ont été martelées dans le monde sur les trois premiers mois de l’année mais seules 13 d’entre elles ont dépassé les 10 millions de dollars. En élargissant le spectre aux œuvres millionnaires, le nombre de ventes réalisées, moins de 300, constitue une part marginale de moins de 0,2 % des transactions du premier trimestre. Sur le plus haut segment des prix, les performances britanniques prédominent nettement face aux autres pays, puisque les ventes de prestige pour l’art moderne se sont tenues, comme à l’accoutumée, en début d’année à Londres, tandis qu’il faut patienter jusqu’au mois de mai pour accéder aux ventes américaines les plus importantes. C’est donc de Londres que viennent la moitié des adjudications les plus remarquables du trimestre, toutes supérieures à 10 millions.
PODIUM BRITANNIQUE
Londres que provient la plus belle vente du trimestre avec 44,7m$ obtenus pour la toile Murnau with Church II de Wassily KANDINSKY peinte en 1910, à un moment charnière de l’œuvre du peintre russe. La toile, achetée par les berlinois Johanna Margarethe et Siegbert Stern, compte parmi les biens qui leur furent spoliés par les nazis. Restitué aux héritiers Stern en 2022, les 13 survivants se partagent le fruit de cette vente “historique”, puisqu’elle détient le record absolu de Kandinsky aux enchères.
Murnau with Church II de Wassily KANDINSKY
Abstraktes Bild de Gerhard RICHTER (29m$)
Gerhard Richter n’est pas seulement l’artiste allemand vivant le plus coté, il est aussi le tout premier artiste vivant sur le marché global, toutes nationalités confondues, fort d’un produit de ventes aux enchères dépassant les 225 millions de dollars en 2022. Pour ce qui concerne les trois premiers mois de cette année 2023, il s’impose toujours dans les plus hautes sphères du classement mondial – à la 5e place provisoire – la vente de ses oeuvres ayant déjà dépassé les 37 millions de dollars en trois mois, dont 29m$ pour l’une de ses plus grandes abstractions vendue le 1er mars chez Sotheby’s.
Fillette au bateau, Maya de Pablo PICASSO (21,7m$)
Nous sommes 50 ans après la mort du monstre sacré de l’art du 20e siècle, un anniversaire que les maisons de ventes ne manquent pas de nous rappeler, au cas où il faudrait raviver une flamme pourtant jamais éteinte. L’un des focus du trimestre passé est une toile de Picasso qui appartenait initialement à sa fille Maya. Une toile dont la provenance ajoutait donc à l’attrait.
Maya, nommée María de la Conceptión en l’honneur de la défunte sœur bien-aimée de Picasso, était le fruit de l’amour passionné entre l’artiste et sa Marie-Thérèse Walter. Elle est née en secret en 1935 alors que Picasso était encore marié à sa première femme, l’ancienne ballerine Olga Khokhlova. Le portrait vif et joyeux de Maya proposé par Sotheby’s le 1er mars date d’une période de crise personnelle pour Picasso, couplée à l’instabilité politique européenne et l’arrivée inévitable de la guerre. Mais la tendresse de l’enfance panse si bien les blessures de Picasso qu’il peint sa petite Maya de façon obsessionnelle entre janvier 1938 et novembre 1939 (environ quatorze portraits). La toile avait fait une première apparition aux enchères en 1999, dans le cadre de la collection de 25 œuvres de Picasso de Gianni Versace par Sotheby’s. Elle se vendait alors 6m$ (Fillette au bateau (Maya)), contre 21,7m$ en mars dernier.
LE PODIUM AMÉRICAIN
La Tête de Saint Jean-Baptiste de Peter Paul RUBENS (26,9m$)
L’œuvre la plus exceptionnelle vendue à New York sur le trimestre est sans conteste la Décapitation de Saint Jean-Baptiste par Rubens, clou de l’ensemble baroque spectaculaire de la collection Fisch Davidson dispersée par Sotheby’s le 26 janvier. L’histoire à rebondissement de cette toile s’est achevée sur une revalorisation avoisinant les 27m$. Vendu à Paris en 1768, considéré comme perdu ou mal attribué pendant deux siècles, intégré dans le catalogue raisonné de Michael Jaffé publié en 1989, le Rubens s’est vendu une première fois aux enchères chez Sotheby’s à New York en 1998, pour près de 5.5m$. En 25 ans, la toile a quintuplé son prix.
La Tête de Saint Jean-Baptiste de Peter Paul RUBENS
Portrait of Doña María Vicenta Barruso… de GOYA Y LUCIENTES (16,4m$)
Les oeuvres anciennes majeures étant très recherchées, plusieurs artistes majeurs ont rafraîchi leur record personnel aux enchères dont Goya, avec deux portraits de femmes – Doña María Vicenta Barruso Valdés et celui de sa mère – prisés à 16,4m$ le 25 janvier chez Christie’s. Goya n’a réalisé qu’une poignée de paires de portraits et il s’agit de la seule paire connue représentant deux femmes. Cette occasion très rare d’acquisition permet à Goya de doubler le prix de son record, son dernier sommet ayant été établi il y a 30 ans un peu au-dessus des 7 millions de dollars pour une scène de tauromachie. L’artiste remporte aussi la deuxième meilleure adjudication des sessions dédiées aux Maîtres anciens à New York, après la vente du sublime Rubens.
Portrait of a young man de BRONZINO (10,6m$)
Il se passe parfois plusieurs années avant qu’une œuvre d’Agnolo di Cosimo, dit Bronzino, l’un des principaux artistes italiens de la Renaissance tardive soit proposée aux enchères. Celle proposée par Sotheby’s à la fin du mois de janvier cumulait les atouts : ce portrait d’homme qui pourrait être un autoportrait réalisé autour de 1527 affichait notamment une provenance certifiée et un superbe état de conservation. Le chef-d’œuvre a doublé allègrement son estimation haute, pour porter le nouveau record personnel de Bronzino jusqu’à 10,6m$, contre un précédent sommet établi à 9 millions en 2015.
LE PODIUM FRANÇAIS
Près de 23 000 œuvres d’art ont changé de propriétaires en France via les enchères sur le premier trimestre. Une quinzaine a dépassé le million de dollars, majoritairement pour les grands artistes surréalistes Ernst, Tanguy et bien sûr, René MAGRITTE, a qui le marché français doit deux de ses plus belles adjudications du trimestre, avec Les grains de beauté (3,7m$) et La leçon de musique (3,1m$). La plus belle adjudication en France de ce début d’année revient néanmoins à Matisse, avec Nu couché II, une sculpture en bronze d’une trentaine de centimètres vendue au seuil des 5 millions.
Ces adjudications millionnaires sont le fait de Christie’s et Sotheby’s qui parviennent à vendre 77% de leurs lots offerts en France sur le trimestre, contre 68% pour Artcurial et 56% seulement pour Millon & Associés, les deux sociétés françaises les plus performantes du moment.