Il est américain, reconnu pour des œuvres figuratives et intimistes, puis pour celles dont la tendance abstraite rejoint l’expressionnisme de Mark Rothko et de Adolph Gottlieb. Ces géants de l’art américain furent les amis de Milton Clark AVERY (1885-1965) et les longues conversations hebdomadaires qu’ils partageaient tous les trois ensemble ont facilité la naissance de la grande peinture abstraite américaine d’Après-Guerre : celle de l’école de New York. Décryptage d’une œuvre et d’un parcours trop discret, récemment salués par les institutions et par le marché de l’art.
À propos du travail pictural d’Avery, Rothko a écrit “cette conviction de grandeur, le sentiment d’être en présence de vrais événements était immédiat en rencontrant son œuvre” (Tribute to Milton Avery, 1965, archives du Smithsonian Museum). Rothko l’admirait, et il n’était pas le seul. Avery est cependant resté discret dans l’histoire, comme sur le marché de l’art. Longtemps, ses œuvres sont restées abordables en regard de son importance en tant que précurseur des grands mouvements abstraits américains.
Une nouvelle appréciation pour sortir de l’ombre
Sa place importante dans l’art américain du 20e siècle, sa synthèse entre la modernité occidentale et les préoccupations plastiques américaines de son époque, son immense talent de coloriste et son sens unique de la composition sont autant d’atouts pour que le public redécouvre une œuvre peu montrée en-dehors des Etats-Unis. L’automne dernier, alors que la Royal Academy de Londres ouvrait ses portes au travail du peintre nord-américain, elle réalisait une première de ce côté de l’Atlantique. L’exposition rassemblait environ 70 peintures des années 1930-1960 parmi ses plus célèbres.
“Le Colosse du 20ème siècle dont vous n’avez probablement jamais entendu parler” (The Telegraph)
A l’occasion de cette exposition, les gros titres des médias étaient dithyrambiques en affichant l’importance de la redécouverte d’une oeuvre trop longtemps laissée dans l’ombre : le Telegraph titrait “Le Colosse du 20ème siècle dont vous n’avez probablement jamais entendu parler”, tandis que le Times découvrait “Le Premier grand coloriste moderne américain”.
Il a fallu l’arrivée de cette exposition à la Royal Academy pour redonner un peu d’élan au marché de l’artiste, puisque son record absolu aux enchères a été établi à 6 millions de dollars en mai 2022, soit quelques mois avant l’ouverture de cette exposition londonienne. Avery a décroché son premier coup de marteau millionnaire tardivement, en 2009, pour une œuvre figurative réalisée en 1945. Une trentaine de résultats millionnaires ont suivi depuis. Le poids du record de son ami Adolph GOTTLIEB est à peu près équivalent au sien (6,5m$), mais bien plus précoce, ayant été établi il y a 15 ans. Quant à Mark ROTHKO, il domine très nettement la compétition avec 145 ventes millionnaires depuis la fin des années 1980, dont un record établi à plus de 86,8m$ en 2012 pour l’une de ses plus belles abstractions colorées.
Evolution du record d’adjudication de Milton Avery aux enchères (copyright Artprice.com)
Comparaisons des records d’adjudications entre Avery, Gottlieb et Rothko
Record d’adjudication de Milton Clark Avery : 6m$ pour The Letter (1945), Sotheby’s NY, le 17 mai 2022
Record d’adjudication de Adolph Gottlieb : 6,5m$ pour Cool Blast (1960), Christie’s NY, le 13 mai 2008
Record d’adjudication de Mark Rothko : 86,8m$ pour Orange, Red, Yellow (1961), Christie’s NY, le 8 mai 2012
Distribution géographique du produit des ventes aux enchères depuis 2000 de Milton Avery (copyright Artprice.com)
Biographique brève
Milton Avery naît en 1885 à Altmar, dans l’État de New York, au sein d’une famille ouvrière. Son parcours pour devenir peintre n’a pas coulé de source. Il quitte l’école à 16 ans et passe une décennie à exercer différents emplois d’usine en tant qu’aligneur, assembleur, tourneur et mécanicien. En 1905, Avery s’inscrit à un cours du soir en lettres commerciales dans le Connecticut et son tuteur, inspiré, lui conseille de passer à des cours de dessin d’après nature. Après 15 années de formation artistique en Nouvelle-Angleterre, il s’installe en 1925 à New York, y intègre la scène artistique et se lie d’amitié avec quelques peintres parmi les plus importants de l’histoire, dont Mark Rothko, puis Barnett Newman. En 1931, le MoMA révèle au public américain le travail des artistes fauves, notamment celui de Matisse qui laisse une très forte impression sur Avery, dont l’œuvre devient de plus en plus abstraite. Il élimine et simplifie, ne laissant rien d’autre que la couleur et le motif.
En 1929, un musée à Washington fait l’acquisition de plusieurs de ses œuvres, tandis que des expositions au sein d’autres musées assurent son rayonnement. Ce n’est qu’en 1952, et à l’âge de 67 ans, qu’Avery obtient sa première rétrospective muséale. Inaugurée au Baltimore Museum of Art, cette grande exposition de 85 œuvres a voyagé (sous une forme réduite) vers d’autres lieux à Washington DC, Hartford et Boston. A la fin de sa carrière, en 1960, son œuvre fait l’objet d’une rétrospective au Whitney Museum de Washington. Ces expositions lui ont enfin assuré une reconnaissance nationale, tandis qu’il restait méconnu malgré une quarantaine d’années d’activité artistique intensive. Aujourd’hui, son travail a sa place dans les plus grands musées du monde, dont la National Gallery of Art à Washington, la Tate Gallery à Londres, le MoMA de New York et le musée d’Art de Los Angeles.