Si les Maîtres anciens représentent le plus petit résultat du marché de l’art mondial (moins de 10% du produit des ventes) du fait de la rareté des chefs-d’œuvre, ce prestigieux secteur n’emporte pas moins des adjudications passionnées. Rappelons que l’œuvre la plus coûteuse de l’histoire des enchères revient au Salvator Mundi de Léonard de Vinci vendu pour 450 millions de dollars en 2017. Plus récemment, une œuvre ancienne a flirté  avec les 100 millions de dollars : un magnifique Portrait de jeune homme peint par Sandro Botticelli, qui fut cédé pour 92 millions en 2021. Les résultats ne sont pas aussi spectaculaires cette année, néanmoins plusieurs artistes majeurs ont fait vibrer l’atmosphère des grandes ventes de maîtres anciens. Artprice by Artmarket revient ici sur trois d’entre eux : Rubens, Rembrandt et, plus inattendu, sur Michael Sweerts.

 

Peter Paul RUBENS, maître incontesté de l’année

L’immense artiste baroque flamand Peter Paul RUBENS réalise les plus beaux exploits en matière d’art ancien. Son résultat annuel supérieur à 62 millions de dollars constitue au passage l’un des plus impressionnants dans le parcours de l’artiste aux enchères, avec seulement neuf lots vendus. Parmi eux, deux toiles exceptionnelles ont donné une sève unique aux ventes d’art ancien, rapportant, ensemble, 53 millions de dollars et donnant à Sotheby’s la place de leader mondial pour les Maîtres anciens cette année.

 

Évolution du produit des ventes annuel aux enchères de Rubens (copyright Artprice.com)

 

Un précédent passage en salle de ventes de la spectaculaire Tête de saint Jean-Baptiste présentée à Salomé donnait l’œuvre à 5,5 millions de dollars (Sotheby’s NY, 30 janvier 1998) tandis que son prix s’est érigé, le 26 janvier 2023, à 26,9 millions de dollars. La prise de valeur de ce chef-d’œuvre dépasse donc les 21 millions de dollars en un quart de siècle.

 

Rubens a peint La Tête de saint Jean-Baptiste présentée à Salomé en 1609 à Anvers après son retour d’une longue période d’études et de voyages. Mais l’œuvre a finalement été redécouverte tardivement, ayant été considérée comme perdue ou ayant été mal attribuée pendant deux siècles, avant la parution du catalogue raisonné de Michael Jaffé publié en 1989. Autre chef-d’œuvre de Rubens, l’allégorie d’un homme casqué convoquant Mars présente elle-aussi une puissante revalorisation, l’œuvre ayant atteint 6,8 millions lors d’une vente de Sotheby’s de 2002 avant d’être revendue pour 26,2m$ cette année.

 

Peter Paul RUBENSTête de saint Jean-Baptiste présentée à Salomé, 1609 et Portrait d’homme en Mars, vers 1620

 

Rembrandt : trois oeuvres en deux redécouvertes récemment

La vente d’oeuvres de REMBRANDT VAN RIJN dépasse quant à elles les 47 millions de dollars annuel, dont 14,3m$ pour les deux portraits traités en pendants, datés de 1635, soit à la fin de ce qu’on appelle la “première période d’Amsterdam” de Rembrandt. Après être restés dans la même famille pendant deux cents ans, leur réapparition chez Christie’s Londres en juillet dernier constituait un événement si puissant qu’ils ont largement outrepassé l’estimation haute de 10 millions de dollars.

 

Une autre occasion rare s’est présentée sur le marché plus récemment, avec une Adoration des Mages mise aux enchères par Sotheby’s le 6 décembre en point d’orgue d’une vente londonienne dédiée aux maîtres anciens. La présentation de cette Adoration des Mages était d’autant plus attendue que ce petit tableau en grisaille (24,5 x 18,5 cm) était seulement considéré comme une œuvre du “Cercle de Rembrandt” lors de sa précédente vente chez Christie’s à Amsterdam en 2021. La maison de ventes, qui en attendait alors autour de 11 000 dollars seulement, eut la surprise de vendre le tableau pour 992 700$… Mais cette année, alors que l’attribution à Rembrandt ne fait plus aucun doute après moults examens, le petit chef-d’œuvre s’est envolé pour 13,79 millions de dollars. La réattribution à Rembrandt et la puissante revalorisation qui s’en est suivie font partie des temps forts du marché de l’art en 2023 et laissent rêveur quant aux possibilités de réhabiliter, encore de nos jours, des œuvres importantes au prix d’une belle intuition et de nombreux efforts.

Rembrandt, Adoration des mages, 24,5 x 18,5 cm, détail

L’apparition inattendue de Michael Sweerts

Après deux oeuvres de Rubens, une calligraphie exceptionnelle de ZHAO Mengfu, et un ensemble de deux portraits par Francisco José DE GOYA Y LUCIENTES arrive, parmi les adjudications les plus remarquables de l’année, la vente d’une oeuvre de Michiel SWEERTS, artiste flamand redécouvert seulement au milieu du XXe siècle dont les résultats s’avèrent aussi spectaculaires qu’inattendus cette année.

Le 6 juillet 2023 à Londres, Christie’s vendait au prix record de 16m$ L’Atelier d’artiste avec une couturière, un prix bien supérieur à l’estimation haute fournie à 3,8m$. Cette toile inédite et jusqu’alors inconnue fut reconnue comme un chef-d’œuvre marquant de l’art de Michael Sweerts, considéré comme “l’un des artistes les plus créatifs, énigmatiques et mémorables du XVIIe siècle” (P. C. Sutton, Michael Sweerts : 1618-1664, catalogue d’exposition, Amsterdam, 2002).

Pour Christie’s, “l’une des raisons pour lesquelles l’Atelier d’artiste avec une couturière est restée si longtemps dans l’obscurité – et pourquoi d’autres découvertes de cet artiste ont été faites ces dernières années – est que Michael Sweerts fut largement oublié peu après sa mort. En raison de la nature énigmatique de sa production et de la diversité de son style, son identité artistique est restée un mystère tout au long des 18e et 19e siècles et ses œuvres ont été invariablement négligées ou mal attribuées. Ce n’est qu’avec l’article fondateur de Willem Martin sur l’artiste, publié en 1907, que Sweerts commença à sortir de l’ombre, un peu comme Vermeer – un autre artiste “redécouvert” à l’ère moderne.”

Forte du succès remporté par L’Atelier d’artiste avec une couturière (The Artist’s Studio with a Seamstress) en juillet, Christie’s proposait une autre œuvre de l’artiste flamand dans sa vente de maîtres anciens du 7 décembre. Ce tableau de 1656-58 intitulé A portrait of the artist (?), presenting the Virgin in Prayer est parti pour près de 2,2 millions de dollars contre une estimation haute établie à 756 000$ seulement. Il est vrai que cette toile à quelque chose de saisissant s’agissant d’un tableau dans le tableau, certainement un autoportrait de l’artiste présentant la toile d’une Vierge en prière. L’héritier de cette œuvre a contacté Christie’s car il soupçonnait que la toile puisse être de la main de Sweerts. Après examen, son intuition fut confirmée… Il s’agit donc, ici encore, de la redécouverte d’une œuvre “saisissante, tout à fait unique dans l’œuvre de l’artiste” selon les mots de Maja Markovic, spécialiste des maîtres anciens de Christie’s.

Michael Sweerts, The Artist’s Studio with a Seamstress

 

 

Évolution du produit de ventes annuel de Michiel SWEERTS aux enchères (copyright Artprice.com)