Née à Beyrouth en 1925 d’une mère grecque et d’un père syrien, artiste aux influences culturelles multiples (elle a grandi en parlant français, arabe et grec, a vécu au Liban, aux États-Unis et en France), Etel ADNAN (1925-2021) est une poétesse de renom, une éminente journaliste et auteure, en plus d’être une artiste plasticienne, à la fois peintre et tisseuse. Elle commence à “peindre en arabe” – pour reprendre ses mots – afin de protester contre la domination coloniale de la France en Algérie. Au fil du temps, son œuvre s’est déployé aux frontières de l’abstraction, avec des géométries simples et des couleurs vives appliquées à la spatule ou au couteau. Pour reprendre les mots de Simone Fattal, les œuvres d’Etel jouent “le rôle que les anciennes icônes jouaient pour les gens qui croyaient. Ils dégagent de l’énergie et donnent de l’énergie. Ils vous protègent comme des talismans.”
Au Guggenheim actuellement, les œuvres d’Etel Adnan rencontrent celles de l’illustre Kandinsky. C’est dire la volonté de hisser au rang des plus grands artistes de l’histoire cette femme engagée ayant traversé un siècle de vie, dont 70 ans d’une création qui a pris de nombreuses formes. Les signes d’une reconnaissance institutionnelle internationale s’accélèrent depuis une dizaine d’années : après que quelques toiles aient fait sensation à la Documenta de Kassel en 2012, l’artiste enchaîne des expositions à la biennale du Whitney Museum à New York, à l’Institut du Monde Arabe à Paris en 2017, au Zentrum Paul Klee de Zurich en 2018, entre autres. Ces évènements ont permis de mettre en lumière un travail jusqu’alors mis à l’écart du marché de l’art si bien que désormais, les collectionneurs animent les enchères avec une opulence toute nouvelle.
"C’est un miracle que je me trouve sur les mêmes murs que Kandinsky." Eten Adnan, citée à propos de son exposition au musée Guggenheim pour L’Orient Le Jour.
La semaine suivant l’ouverture de l’exposition “Etel Adnan: Light’s New Measure” au musée Guggenheim, le marché a salué cette grande plasticienne et poétesse dans une salle de ventes londonienne de Sotheby’s.
C’est le mois dernier, le 14 octobre 2021 précisément, qu’une toile de 81 x 65 cm a pris son envol au quadruple de l’estimation haute pour atteindre un sommet de 483 000$ (Untitled, image ccontre). Un bond important dans la revalorisation de cette artiste majeure, dont le dernier record personnel affichait 171 000$ depuis 2019 (Untitled, 1960′, Sotheby’s Londres, 30 avril 2019).
L’œuvre sans titre vendue en octobre au seuil du demi-million est désormais la cinquième meilleure adjudication de l’histoire pour un artiste libanais…
Un marché redynamisé
Etel Adnan serait-elle le fer de lance d’artistes libanais dont l’écho est resté longtemps faible sur le marché de l’art?
Certainement, à en croire les résultats de ventes récents, notamment ceux de 2021. Car Etel n’est pas la seule à renouveler un record personnel aux enchères cette année. Les artistes Saliba DOUAIHY et Yvette ACHKAR ont eux-aussi atteint de nouveaux sommets en 2021 et intègrent au passage, tout comme Etel Adnan, les 10 meilleures adjudications jamais enregistrées pour des artistes libanais.
TOP 10 adjudications pour des artistes libanais
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605 000 $ : La Lutte de l’Existence de Paul GUIRAGOSSIAN _ Christie’s Dubai, 29 octobre 2013
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485 000 $ : Babel de Ayman BAALBAKI _ Christie’s Dubai, 18 mars 2015
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488 690 $ : Chambre verticale 1 / 2 / 4 de Chafik ABBOUD _ Christie’s Londres, 25 octobre 2017
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470 500 $ : Silence de Mona HATOUM _ Christie’s New York, 8 novembre 2011
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482 748 $ : Sans titre d’Etel ADNAN _ Sotheby’s Londres, 14 octobre 2021
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426 000 $ : Sans titre de Yvette ACHKAR _ Arcache Auction Beyrouth, 6 juin 2021
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425 500 $ : Blue Abstract de Saliba DOUAIHY _ AT Auction Beyrouth, 12 avril 2021
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430 292 $ : A Portrait of Emir Faisal Ibn Al-Hussain de Youssef HOWAYEK _ Sotheby’s Londres, 4 octobre 2011
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400 450 $ : Ouroboros de Ranya SARAKBI _ Christie’s Londres, 24 novembre 2020
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391 500 $ : Les Années de l’oiseau de Chafik ABBOUD _ Christie’s Dubai, 18 octobre 2016
Le tiers du podium libanais repose sur des coups de marteau frappés en 2021 !
Face à l’activité internationale enregistrée depuis Londres et New York, précisons que Paris participe aussi – et de plus en plus – à la valorisation des artistes du Proche et du Moyen-Orient, dont les libanais. Le 27 octobre dernier, la société Cornette de Saint Cyr réalisait en effet la première vente de son département consacré à l’art moderne et contemporain du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (ME.NA, Middle East, North Africa). La sélection d’œuvres fut dirigée par Laure d’Hauteville, directrice de la MENART Fair Paris, foire accueillie dans les locaux parisiens de Cornette de Saint Cyr en mai dernier.
Le résultat final de cette première vente “Regards d’Orient : Art Moderne et Art Contemporain du ME.NA” apparait mitigé : seul le tiers des lots a trouvé preneurs, mais une superbe abstraction de la libanaise Huguette CALAND est tout de même partie pour 121 000$. Il s’agit de la dixième meilleure adjudication pour cette artiste disparue en 2019, dont les meilleures œuvres dépassent désormais les 200 000$ dans les ventes de Londres.
Cornette de Saint Cyr rejoint la dynamique initiée en France par Piasa en 2020 avec la vente “From Beirut Art + Design scene”. Des sessions spécialisées permettant de découvrir ou redécouvrir des créateurs comme Samir Sayegh, Aram Jughian, Hiba Kallache, Daniel Génadry ou encore Simone FATTAL (1942), compagne d’Etel Adnan, dont la reconnaissance internationale se fait sentir depuis 2019. Ce fut en effet, pour Simone Fattal, l’année d’une une rétrospective au MoMA PS1 à New York, de l’installation d’une sculpture devant le Musée national du Qatar à Doha, et de sa participation à l’exposition “Luogo e Segni” à la Collection Pinault de Venise. La récompense tarde pourtant à arriver sur le marché des enchères. Jusqu’à quand ?
Tous les indicateurs sont au vert et la demande ne cesse d’évoluer : en l’espace de cinq ans, les ventes d’œuvres par des artistes libanais ont été multipliées par trois. Il en va de même pour le produit de ventes annuel aux enchères établi, selon les sources d’Artprice, à 19,6m$ : un record !