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Contrôle et contentieux

Autonomie du juge fiscal et respect de l'autorité de la chose jugée au pénal : un équilibre réaffirmé

Voici une décision qui illustre les limites de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le contentieux fiscal : seules les constatations matérielles de faits s'imposent au juge fiscal, mais jamais leur qualification juridique au regard du droit fiscal.

 

Le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil constitue un pilier fondamental de notre système juridique. Selon ce principe, ce qui a été définitivement jugé au pénal s'impose aux juridictions civiles et administratives. En matière fiscale, ce principe trouve à s'appliquer dans les situations où un contribuable fait l'objet à la fois de poursuites pénales pour fraude fiscale et de rectifications fiscales.

 

L'article 1729 du CGI prévoit des majorations en cas de manquement délibéré du contribuable. Le a) de cet article dispose qu'une majoration de 40% s'applique lorsque la mauvaise foi du contribuable est établie.

 

La majoration pour manquement délibéré s'applique notamment en cas de dissimulation de revenus, comme dans le cas des revenus d'origine indéterminée. Ces derniers sont présumés constituer des revenus imposables lorsque le contribuable ne peut justifier de leur origine.

 

Rappel des faits :

M. B a fait l'objet d'un ESFP portant sur les années 2015 et 2016. À l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a identifié des revenus d'origine indéterminée et procédé à des rectifications se traduisant par des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales. Ces rectifications ont été assorties d'une majoration pour manquement délibéré.

 

Parallèlement, M. B a fait l'objet de poursuites pénales pour fraude fiscale, mais a été relaxé par un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 novembre 2019, devenu définitif.

 

Dans le cadre du contentieux fiscal, M. B a demandé la décharge de la majoration pour manquement délibéré. Sa demande ayant été rejetée par le tribunal administratif de Nice, il a interjeté appel devant la CAA de Marseille, qui lui a donné gain de cause en annulant le jugement et en prononçant la décharge de la majoration.

 

C'est contre cet arrêt que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique s'est pourvu en cassation.

 

La CAA de Marseille a considéré que l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de relaxe rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence faisait obstacle à ce que les sommes en litige puissent être qualifiées de revenus d'origine indéterminée. Selon la cour, les constatations de fait supportant la décision de relaxe tranchaient la question de l'objet et de la nature des opérations effectuées, établissant que les revenus perçus étaient constitutifs de dons manuels et non de revenus d'origine indéterminée imposables.

 

lI résulte de ce qui a été dit au point précédent que les constatations de fait qui sont le support nécessaire de la décision définitive de relaxe rendue par le juge pénal tranchent la question de l'objet et de la nature des opérations effectuées et énoncent que les revenus perçus ne constituent pas des revenus imposables dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée mais des dons manuels. Ces constatations de fait s'imposent au juge de l'impôt. L'autorité de chose jugée par le juge répressif fait ainsi obstacle à ce que les sommes en litige imposées au principal puissent être qualifiées de revenus imposables dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée. Par suite, ces sommes ne peuvent pas supporter les majorations pour manquement délibéré afférentes à de tels revenus, aux motifs, comme l'allègue le ministre, qu'elles auraient été volontairement omises dans le cadre de la déclaration des revenus de l'année 2016 imposables à l'impôt sur le revenu et que M. C... n'a pas donné suite à un courrier du 25 octobre 2018 l'informant des conditions de révélation d'un don manuel.

 

CAA de Marseille du 15 février 2024

 

Autrement dit, dans cette affaire, la CAA de Marseille avait prononcé la décharge de la majoration fiscale pour manquement délibéré en se fondant sur l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt pénal de relaxe rendu par la CA d'Aix-en-Provence. La CAA avait considéré que cet arrêt pénal, en qualifiant les revenus en cause de "dons manuels" et non de "revenus d'origine indéterminée", s'imposait au juge fiscal.

 

Le ministre estimait, quant à lui, que la CAA avait méconnu la portée de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le contentieux fiscal, en se fondant sur un motif hypothétique de l'arrêt pénal et en considérant que la qualification fiscale retenue par le juge pénal s'imposait au juge de l'impôt.

 

Le Conseil d'Etat vient d'annuler l'arrêt du 15 février 2024 de la cour administrative d'appel de Marseille.

 

Le Conseil d'État censure l'analyse de la CAA pour deux raisons principales :

  • Le motif de l'arrêt pénal tiré de ce que, "à supposer qu'il soit reproché au prévenu de ne pas avoir déclaré un don manuel, l'infraction de fraude fiscale n'était pas caractérisée", était hypothétique et ne pouvait donc être regardé comme une constatation de fait constituant le support nécessaire du dispositif.
  • Plus fondamentalement, le Conseil d'État rappelle qu'une qualification fiscale retenue par le juge pénal (ici, celle de "don manuel") ne s'impose pas au juge de l'impôt, qui conserve son autonomie d'appréciation.

 

Rappel du principe selon lequel l'autorité de la chose jugée qui appartient aux décisions des juges répressifs devenues définitives s'attache uniquement à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement (qui constituent le support nécessaire du dispositif) et à leur qualification sur le plan pénal.

Cette autorité ne s'étend pas à la qualification fiscale des mêmes faits.

 

Publié le mercredi 7 mai 2025 par La rédaction

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