La juridiction administrative nous rappelle que pour obtenir la restitution de la TVA qui lui a été facturée à tort, l’acquéreur doit prioritairement s’adresser, y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle, à son fournisseur si celui-ci n’a pas pris l’initiative de lui rembourser l’indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l’administration fiscale si l’obtention de la restitution de la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile. Pour contester l’action en répétition de l’indu, le fournisseur, qui a facturé cette TVA ne peut utilement faire valoir ni que le contrat le liant à cette société a été parfaitement exécuté, ni qu’ayant reversé cette taxe à l’Etat, il ne s’est pas enrichi, ni qu’il n’a commis aucune faute en appliquant une réglementation qui s’imposait à lui.
Il résulte de la directive TVA, telle qu’interprétée par la CJUE ( Arrêt du 15 mars 2007 Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH C-35/05), que, lorsque l’acquéreur d’un bien a versé au fournisseur la TVA mentionnée à tort sur les factures émises par ce dernier, il ne peut se prévaloir d’un droit à déduction de cette taxe. Les autorités fiscales nationales sont, dès lors, fondées à refuser à l’acquéreur l’exercice de ce droit ainsi que, le cas échéant, la restitution du crédit de taxe déductible qui en découle.
En revanche, l’acquéreur peut demander au fournisseur le remboursement de la taxe qu’il a indûment supportée. Si la restitution de la TVA devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du vendeur, le principe d’effectivité peut exiger que l’acquéreur puisse présenter sa demande de restitution directement aux autorités fiscales nationales lesquelles peuvent, avant d’accorder la restitution demandée, vérifier que le risque de perte de recettes fiscales a été préalablement éliminé, notamment du fait que l’auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.
Rappel des faits :
La société P établissement privé de santé, s’est fait livrer par l’Etablissement français du sang (EFS) des produits sanguins labiles que celui-ci lui a facturés pour un prix TTC incluant la TVA au taux réduit de 2,1 %. Par une demande préalable du 30 septembre 2019, elle a demandé à ce fournisseur de lui rembourser la somme de 35 684,88 € correspondant à la TVA qu’elle estime avoir indûment supportée sur les produits qui lui ont été facturés entre le 15 janvier 2015 et le 31 décembre 2018.
Cette demande ayant été rejetée par l’EFS par courrier du 21 juillet 2020, la société P a demandé au TA de Caen d’annuler cette décision et de condamner l’établissement qu’elle met en cause à lui restituer la somme demandée.
Par une ordonnance du 2 juillet 2021, le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa requête, pour irrecevabilité manifeste, sur le fondement de l’article R. 222-1-4° du code de justice administrative, s’agissant des conclusions à fin d’annulation de la décision du 21 juillet 2020 rejetant sa réclamation préalable, et sur le fondement du 7° du même article, s’agissant de ses conclusions à caractère pécuniaire.
La société P a fait appel de cette ordonnance en tant qu’elle rejette sa demande tendant au remboursement de la TVA qu’elle estime avoir acquittés à tort.
La Cour vient de faire droit à la demande de la société P
Concernant la régularité de l’ordonnance attaquée :
La société P demande à l'EFS le remboursement de la TVA qu'elle juge avoir payée à tort. La base de cette demande est une action en répétition de l'indu (une procédure permettant de réclamer le remboursement d'une somme payée par erreur). L'EFS ne peut pas rejeter cette demande en arguant que la société aurait dû suivre une autre procédure fiscale, car la société n'est pas elle-même redevable de la TVA pour les services qu'elle fournit en utilisant les produits sanguins.
Même si la société aurait pu intenter une action en responsabilité contre l'État pour des erreurs dans la gestion de l'impôt (sur le fondement des dispositions de l’article L. 190 du LPF), elle avait également le droit de demander directement à l'EFS le remboursement de la TVA qu'elle considère avoir été indûment facturée (Action en répétition de l'indu)
Les arguments de l'EFS pour rejeter la demande, invoquant l'existence d'autres recours légaux et le fait que la demande de remboursement serait une nouvelle action introduite en appel, sont jugés non recevables. La société a donc le droit de poursuivre son action pour récupérer la somme correspondant à la TVA qu'elle estime avoir été indûment payée.
Concernant l’assujettissement des livraisons de produits sanguins labiles à la TVA :
Il ressort des dispositions de l’article 261-4-2° du CGI issues de l'article 132-1-d de la directive TVA, que les livraisons de sang humain sont exonérées de la TVA.
La CJUE a précisé, par un arrêt rendu le 5 octobre 2016 (affaire C-412/15, TMD), que la livraison de sang humain, y compris la livraison du plasma qui entre dans sa composition, peut bénéficier de l'exonération de TVA lorsque cette livraison contribue directement à des activités d’intérêt général, c'est-à-dire lorsque le plasma est directement employé pour des soins ou à des fins thérapeutiques.
L'administration fiscale a tiré les conclusions de cette décision à la faveur d'une mise à jour de la base BOFIP-Impôts en date du 26 décembre 2018.
Par suite, les dispositions de l’article 281 octies du CGI dans leur rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, aux termes desquelles : « La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 2,10 % pour les livraisons portant (…) sur les produits visés au 1° (…) de l’article L. 1221-8 du code de la santé publique. (…) », c’est-à-dire les « produits sanguins labiles, comprenant notamment le sang total, le plasma dans la production duquel n’intervient pas un processus industriel, quelle que soit sa finalité, et les cellules sanguines d’origine humaine », étaient contraires aux dispositions de la directive TVA en tant qu’elles assujettissaient à la TVA les produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct.
Concernant le droit à restitution de la TVA facturée à tort :
Jusqu’au mois de décembre 2018, l’EFS a facturé les produits sanguins labiles à usage thérapeutique qu’il livrait en soumettant ces livraisons à la TVA au taux de 2,10 % en application des dispositions de l’article 281 octies du CGI, dans leur rédaction alors en vigueur. Ainsi, cette TVA a été facturée en méconnaissance du droit de l’Union européenne.
Pour obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été facturée à tort, l’acquéreur doit prioritairement s’adresser, y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle, à son fournisseur si celui-ci n’a pas pris l’initiative de lui rembourser l’indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l’administration fiscale si l’obtention de la restitution de la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile.
Il résulte de l’instruction que la société requérante a dû acquitter des sommes correspondant à la TVA qui n’était pas légalement due, pour un montant non contesté de 35 684,88 euros au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2018. Pour contester l’action en répétition de l’indu formée par la société requérante, l’EFS, qui a facturé cette taxe, ne peut utilement faire valoir :
- ni que le contrat la liant à cette société, qui prévoyait le versement de la TVA, a été parfaitement exécuté,
- ni qu’ayant reversé cette taxe à l’Etat, il ne s’est pas enrichi,
- ni qu’il n’a commis aucune faute en appliquant une réglementation qui s’imposait à lui.
- l’EFS ne peut davantage utilement faire valoir que seule une action contre l’Etat aurait dû être engagée par la société requérante.
Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à demander la condamnation de l’EFS à lui payer une somme de 35 684,88 € correspondant au montant de la TVA qui lui a été indument facturée sur la livraison de produits sanguins labiles entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2018.