Accueil > Fiscalité du patrimoine > Droits de mutation > Échec à la présomption de l'article 751 : une donation à 17 jours du décès validée par le juge de l'impôt
Droits de mutation

Échec à la présomption de l'article 751 : une donation à 17 jours du décès validée par le juge de l'impôt

Aux termes de l’article 751 du CGI, est réputé, au point de vue fiscal, faire partie, jusqu’à preuve contraire, de la succession de l’usufruitier, toute valeur mobilière, tout bien meuble ou immeuble appartenant, pour l’usufruit, au défunt et, pour la nue-propriété à l’un de ses présomptifs héritiers ou descendants d’eux, même exclu par testament ou à ses donataires ou légataires institués, même par testament postérieur, ou à des personnes interposées, à moins qu’il y ait eu donation régulière et que cette donation, si elle n’est pas constatée dans un contrat de mariage, ait été consentie plus de trois mois avant le décès ou qu’il y ait eu démembrement de propriété effectué à titre gratuit, réalisé plus de trois mois avant le décès , constaté par acte authentique et pour lequel la valeur de la nue-propriété a été déterminée selon le barème prévu à l’article 669 du CGI.

Ce texte a pour but d’empêcher que certaines personnes ne se privent ou ne se dépouillent de leur vivant de la nue-propriété de tout ou partie de leurs biens en faveur de leurs présomptifs héritiers ou de leurs légataires, afin d’éviter à ceux-ci le paiement de l’impôt de mutation par décès. En effet, l’extinction naturelle de l’usufruit par le décès de l’usufruitier ne donne ouverture à aucun droit (BOI-ENR-DMTG-10-10-10-20).

La présomption de propriété établie par l’article 751 du CGI est une présomption simple qui peut efficacement être combattue par la démonstration de la sincérité de l’opération emportant démembrement de propriété et notamment de la sincérité des donations survenues moins de trois mois avant le décès.

Il appartient, dès lors, aux parties d’établir, dans les formes compatibles avec la procédure écrite, la sincérité et la réalité de l’opération de démembrement de la propriété que la loi présume fictive.

La jurisprudence et la doctrine s'accordent pour dire que cette preuve repose sur deux piliers : la sincérité de l'intention libérale (démontrant que l'opération n'était pas motivée par l'imminence du décès) et le caractère soudain et imprévisible du décès du donateur. 


 

Rappel des faits :

Le litige oppose l'héritière d'un contribuable décédé, Mme S, à l'administration fiscale. Le défunt, M. M, avait procédé à d'importantes opérations patrimoniales à la fin de sa vie, notamment la vente de sa résidence principale. Les fonds issus de cette vente ont été en partie apportés ((18M€) à une société civile constituée le 7 novembre 2019.

Moins d'un mois plus tard, le 3 décembre 2019, M. M a fait donation à sa fille, Mme S, de la nue-propriété des parts de cette société civile, s'en réservant l'usufruit et acquittant les droits de donation y afférents. M. M est décédé dix-sept jours seulement après l'acte de donation.

Considérant que la donation était intervenue dans le délai de trois mois visé à l'article 751 du CGI, l'administration fiscale a, dans le cadre d'une proposition de rectification, réintégré la valeur des parts données (pour environ 24,4 M€) à l'actif de la succession.

La contribuable a accepté plusieurs chefs de redressement mais a contesté ce point précis. Après une admission partielle de sa réclamation sur d'autres sujets (notamment le mobilier d'un garde-meuble), l'administration a maintenu la réintégration de la donation. Mme S a donc assigné l'administration fiscale devant le TJ de Paris pour obtenir la décharge des droits correspondants.


 

Le cœur du débat portait sur la capacité de la contribuable à renverser la présomption de l'article 751 du CGI, l'administration fiscale contestant à la fois la sincérité de l'opération et le caractère imprévisible du décès.

 

  • L'administration fiscale soutient que la preuve contraire n'est pas rapportée.
    • D'une part, elle met en avant l'absence de sincérité de la donation. Elle se prévaut du fait que cette opération s'inscrit dans un ensemble d'actes de disposition (près de 36 M€ mobilisés l'année du décès) réalisés dans un temps très limité, caractérisant une volonté précipitée d'organiser la transmission de la totalité du patrimoine pour le soustraire à l'impôt successoral.
    • D'autre part, elle estime le décès prévisible. Le défunt, âgé de 86 ans, souffrait de problèmes de santé sérieux (suivi cardiaque pointu, oxygénothérapie ambulatoire) qui, selon l'administration, rendaient sa fin prochaine probable, peu importe la stabilité clinique mentionnée dans les certificats.
  • Mme S a développé une argumentation factuelle pour établir les deux éléments constitutifs de la "preuve contraire".
    • Concernant la sincérité, elle a produit des échanges de courriels et des attestations (notamment de la notaire) prouvant que le projet de donation était le fruit d'une longue réflexion, entamée dès juin 2019 (soit bien avant le délai de trois mois), en lien direct avec la vente de la résidence principale. Elle a également démontré que le léger report de la signature de l'acte (prévue le 21 novembre, réalisée le 3 décembre) était dû à son propre accouchement (le 18 novembre) et non à une dégradation de l'état de santé de son père. Elle souligne enfin que le donateur avait conservé les droits de vote, signe d'une volonté de garder le contrôle et non d'une simple évasion fiscale.
    • Concernant le décès, elle a fourni des certificats médicaux circonstanciés. Le cardiologue (Pr. Z) attestait d'un état stable et satisfaisant et d'un décès "totalement inattendu". Le médecin traitant (Dr. O) certifiait que le décès était "accidentel", survenu à la suite d'une chute dans les escaliers, et non la conséquence attendue de ses pathologies.

 

Le Tribunal Judiciaire a suivi le raisonnement de Mme S et annulé le redressement.

 

  • Concernant la sincérité, le juge a estimé que les pièces produites (courriels de juin et juillet 2019, note de la notaire) établissaient sans équivoque que la donation était "le fruit de réflexions engagées" bien avant la période suspecte. Le tribunal a jugé que la vente de l'immeuble et la donation n'étaient pas "dissociables", mais constituaient un projet patrimonial cohérent et ancien. La conservation des droits de vote a également été retenue comme un indice de sincérité.

Dans un courriel du 19 septembre 2019, Maître [J] a adressé un projet de statuts de la SC LAUREMA, précisant que le projet de donation sera adressé le lendemain. Il se déduit de ces éléments que M. [M] a évoqué dès 2017 la vente de sa résidence principale, qu'à la fin de l'année 2018 il a accepté une offre d'achat et que, parallèlement à la conclusion de cette vente, il a décidé d'organiser la transmission de son patrimoine. Ces deux actes ne sont donc pas dissociables, contrairement à ce que soutient l'administration fiscale. En outre, dès le 20 juin 2019, il est envisagé une donation, selon les modalités finalement retenues. La donation objet du litige ne correspond donc pas à un projet précipité, mais est le fruit de réflexions engagées à la fin de l'année 2018, donc antérieures au délai de trois mois visé à l'article 751 du code général des impôts. Les modalités de cette donation, à savoir que M. [M] avait choisi de conserver son droit de vote pour toutes les décisions de la société civile LAUREMA, qu'elles relèvent de l'assemblée générale ordinaire ou extraordinaire, attestent d'ailleurs de la sincérité de cette donation.

 

  • Concernant l'état de santé, le tribunal a accordé une pleine valeur probante aux certificats médicaux. Il a conclu que, si le défunt souffrait de problèmes médicaux "somme toute fréquents" pour son âge, son état était "satisfaisant" et son décès "n'était pas prévisible". Le caractère accidentel (la chute) et l'"amélioration" constatée par le cardiologue ont emporté la conviction du tribunal sur le caractère soudain du décès.

Pour ce qui concerne l'état de santé de M. [M] et le caractère prévisible ou non de son décès, le certificat médical rédigé par le professeur [Z] du service cardiologie de l'hôpital [7], le 29 janvier 2020, soit antérieurement au dépôt de la déclaration de succession, détaille le suivi médical dont le père de la requérante a fait l'objet par ce médecin depuis l'année 2015 jusqu'à son décès. Ce certificat médical rappelle notamment les problèmes de santé de M. [M] au cours de l'année 2018 et au début de l'année 2019. Il relève cependant que l'état du patient s'était progressivement amélioré et avait permis d'alléger considérablement la surveillance clinique et échocardiographique, en obtenant une fonction cardiaque et respiratoire satisfaisante. Il ajoute que l'oxygénothérapie ambulatoire et les traitements médicaux prescrits avaient entraîné une amélioration très satisfaisante de la qualité de vie de M. [M] et que c'est d'une façon totalement inattendue qu'il est décédé à son domicile le [Date décès 1] 2019, alors que rien ne laissait penser à une aggravation de son état et à une fin aussi brutale.

Le certificat médical du médecin traitant, le docteur [O], en date du 13 avril 2022, confirme que la cause du décès de M. [M] est accidentelle, alors que durant les six derniers mois de sa vie ce médecin certifie que l'état clinique du patient était stable, que sa qualité de vie était bonne, de sorte que son décès n'était pas prévisible dans un horizon de quelques mois.

Ce médecin précise d'ailleurs dans une attestation du 18 novembre 2020, avoir constaté le décès de M. [M], en rapport avec une chute de plusieurs marches lui ayant laissé des séquelles sur son visage.

 

Bien qu'il s'agisse d'une décision de première instance reposant sur une appréciation souveraine des faits,  ce jugement confirme que la présomption de l'article 751 du CGI, bien que redoutable lorsque l'acte intervient moins de trois mois avant le décès, peut être efficacement combattue même lorsque l'acte intervient moins de trois mois avant le décès.

 

Publié le jeudi 13 novembre 2025 par La rédaction

9 min de lecture

Avancement de lecture

0%

Partages :