Alors que le doute se renforce sur le bon aboutissement du prélèvement à la source (PAS) de l’IR, quelques décisions raisonnables pourraient encore permettre de corriger de manière simple les vices du projet de Bercy.
Comme nous l’avions montré dans une précédente chronique ( voir « Fiscal on Line » - 25 janvier 2017 ), les mauvais choix des ministres successifs ont conduit à gâcher une réforme pourtant indispensable à une meilleure compréhension de l’impôt et à sa bonne gestion.
L’administration s’obstine* avec des taux de prélèvement tirés des années antérieures au lieu de les calculer en temps réel, et un « Big bang » au 1er janvier plutôt qu’une transition par étapes comme l’enseigne l’état de l’art des grands chantiers informatiques. Le résultat est un projet illisible où les contribuables se perdent dans les options, et les employeurs ne comprennent pas ce qui leur arrive.
A ce stade, en dépit des affirmations ministérielles, le principal risque demeure celui de l’accident industriel : des tests complaisants ne garantiront jamais que, du premier coup, les taux personnels attribués à 50 millions de contribuables (pour 38 millions de foyers fiscaux) vont aboutir au bon endroit sur les logiciels de paye ou de retraite, en particulier dans le secteur public.
Au final, on peut quand même espérer que ça se passera bien pour le plus grand nombre des intéressés , ceux dont la situation ne bouge pas d’une année sur l’autre et pour lesquels le PAS sera compensé par la suppression des acomptes traditionnels au titre de l’année précédente.
En revanche, il y aura du désordre pour beaucoup de situations particulières, justement les personnes auxquelles on a promis que « l’impôt s’adapte à la vie » !
Exemple : en janvier, les contribuables dont le revenu a baissé vont s’apercevoir qu’on les prélève d’un taux excessif, et que même s’ils réagissent très vite, on ne les remboursera du trop payé que dix-huit mois plus tard.
Autre exemple : les salariés qui entrent dans la vie active en cours d’année vont se voir prélever au taux par défaut pendant plusieurs mois même si leur revenu de l’année ne suffit pas à les rendre imposables et ils devront attendre l’été suivant pour récupérer les sommes payées à tort.
Une Transition progressive en toute sécurité
Pourtant, l’exécutif qui semble coincé entre deux mauvais choix : passer en force ou reporter une fois de plus (ce qui annoncerait un gâchis définitif), a encore la possibilité de sortir par le haut . La réponse est de reconfigurer la réforme et de l’étaler sur la durée du quinquennat (ainsi que « l’année blanche »), en démarrant sans attendre mais à plus petite échelle.
Tout confirme, en effet, qu’aujourd’hui sont disponibles ces solutions alternatives, mais radicalement simplifiées, qui permettraient d’atteindre l’objectif sans perdre les investissements réalisés (nos contributions en ce sens auprès de « Fiscal on Line » ont été développées dans plusieurs chroniques de l’automne dernier sur https://blogs.alternatives-economiques.fr/wolf ).
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1. Le gouvernement lui-même a annoncé que dès l’an prochain, les prestations sociales ne seront plus liquidées en fonction des informations historiques, mais sur la base des revenus courants connus grâce à la déclaration DSN transmise mensuellement. Ce qui prouve qu’à partir de l’été 2019, l’infocentre de la DGFiP serait en mesure de notifier à chaque foyer de nouveaux acomptes d’IR calculés en temps réel sur la base des revenus encaissés depuis le début de l’exercice (ou du dernier BIC/BA/BNC), puis de les actualiser de mois en mois en tenant compte de ce qui a été payé. C’est la « contemporainisation » proposée aussi bien par les organisations syndicales que par l’ancien ministre E. Woerth.
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2. S’agissant des premiers mois de 2019 , il suffirait d’appliquer la proposition du rapporteur général du Sénat, A. de Montgolfier, consistant à réutiliser l’existant en faisant payer les acomptes (ou les tiers provisionnels) traditionnels. Si la décision est prise dans les semaines à venir, il n’y aurait aucune difficulté technique à les rétablir afin de les notifier en temps utile sur la base des avis d’impôt que chaque foyer vient de recevoir.
Mais cette articulation spécifique serait réservée à l’année qui vient car elle ne serait que la première phase d’une montée en régime progressive. Le calendrier suggéré ci-dessous a été ajusté au contexte politique (mais le cadencement reste évidemment à discuter) :
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pour 30 % , ces acomptes traditionnels seraient considérés comme précompte au titre de l’impôt sur les revenus courants de 2019 (à régulariser en 2020), puis remplacés de septembre à décembre par les acomptes « contemporains » (cf. supra) prélevés sur le compte bancaire du foyer dans la limite de 30 % du barème appliqué à ses revenus globaux ;
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en contrepartie, l’année 2018 ne serait plus entièrement « blanche » , le « crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement » (le CIMR prévu dans la loi) étant aussi ramené à 30 %. L’impôt correspondant serait donc payé avec les autres 70 % restants sur les acomptes traditionnels, et le solde prélevé selon les modalités habituelles. Contrairement à ce qu’essayent de faire croire ceux qui ont spéculé sur l’exemption annoncée, cet ajustement ne soulèverait pas plus de fragilité constitutionnelle que le report intégral décidé il y a un an.
Ensuite , la transition n’aurait plus qu’à se poursuivre, les contribuables récupérant le reste de l’année blanche à raison de 35 % du CIMR calibré au titre de chacun des deux exercices suivants. Ainsi, les nouveaux acomptes seraient portés en 2020 à 65 % sur les revenus du foyer en temps réel, pour aboutir à 100 % dès 2021. Tandis que les anciens acomptes disparaitraient symétriquement.
On aurait donc libéré les usagers de la complexité qu’il appartient à l’administration de prendre en charge grâce aux technologies du temps réel.
L’avantage est ainsi de réconcilier les préoccupations de l’ensemble des parties prenantes. Tout ce qui concerne la retenue par les tiers collecteurs pourrait être renvoyé à la fin, au profit d’un dispositif très allégé, proche de ce qui fonctionne pour les cotisations et la CSG et tel que nous l’avons préconisé afin de faciliter les gains d’emploi dans les services locaux (voir note pour Terra Nova).
Du même coup seraient résolus tous les vices de la machinerie de Bercy : plus de retard de trésorerie pour les crédits d’impôt, aucune formalité pour les emplois à domicile, plus besoin de sanctions contre les risques d’abus, et plus d’incertitude sur les recettes fiscales. Enfin et surtout, la synchronisation deviendrait quasi parfaite entre l’impôt et les revenus de chacun.