Nouvelle illustration, en matière de TVA, de l'appréciation du "lien direct" exigé pour qualifier une prestation à titre onéreux et partant la soumettre à la TVA. Au cas particulier, le juge a doné tort à l'administration en écartant la qualification de prestation à titre onéreux lorsque cette contrepartie est aléatoire ou disproportionnée.
Pour mémoire, en matière de TVA, l'article 256 du CGI, prévoit l'assujettissement des livraisons de biens et prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. La jurisprudence a précisé qu'une prestation n'est effectuée à titre onéreux que s'il existe un rapport juridique prévoyant des prestations réciproques, avec un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue. Ce lien direct est rompu lorsque la rétribution est accordée de manière gracieuse et aléatoire ou que son montant est difficilement quantifiable.
Par ailleurs et s'agissant de l'impôt sur les sociétés, les articles 38 et 209 du CGI prévoient l'imposition des bénéfices provenant d'opérations normales, excluant celles étrangères à une gestion normale. L'article 54 bis impose l'inscription explicite en comptabilité des avantages en nature accordés au personnel, leur absence de comptabilisation pouvant entraîner leur qualification d'avantages occultes au sens de l'article 111-c, soumis à l'amende de l'article 1759 du CGI.
Rappel des faits :
La SAS FC exploite un parc d'attractions et a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2017. L'administration fiscale a procédé à des rectifications portant sur deux catégories d'entrées gratuites distribuées par la société :
- Des billets remis aux commerçants locaux acceptant de présenter les supports publicitaires du parc
- Des entrées gratuites accordées aux salariés, apparaissant dans le logiciel de billetterie sous l'intitulé "entrée gratuite staff"
Suite à ces rectifications, confirmées par une lettre du 19 avril 2019, des impositions supplémentaires et l'amende de l'article 1759 du CGI ont été mises en recouvrement.
- En matière de TVA, l'administration considère que la remise de billets gratuits aux commerçants constitue la contrepartie d'un service de publicité rendu par ces derniers. Elle estime qu'il existe un lien direct entre ces deux opérations, les billets n'étant remis qu'aux commerçants acceptant de diffuser les supports publicitaires du parc.
- S'agissant de l'impôt sur les sociétés, l'administration qualifie la remise de billets gratuits aux salariés de renonciation à recettes étrangère à une gestion commerciale normale, en l'absence d'inscription en comptabilité et d'état nominatif des bénéficiaires. Elle considère que la société n'a pas démontré son intérêt commercial dans cette pratique.
Après rejet de sa réclamation préalable, la société a saisi le tribunal administratif de Nancy qui a rejeté sa demande de décharge.
La SAS FC a fait appel de ce jugement.
- Concernant la TVA, la société FC soutient que la valeur des billets remis gratuitement aux commerçants ne devait pas être soumise à la TVA en raison de l'absence de lien direct entre la remise de ces billets et un service rendu par les commerçants. Elle argue notamment que ces derniers n'avaient aucune obligation contractuelle de distribuer les documents publicitaires, cet aléa excluant toute possibilité de lien direct. Elle souligne également l'absence de relation entre l'avantage reçu et la contre-valeur versée.
- S'agissant de l'impôt sur les sociétés, la société conteste la qualification de renonciation à recettes étrangère à une gestion commerciale normale retenue par l'administration pour les billets gratuits remis aux salariés. Elle affirme avoir agi dans son intérêt commercial, notamment dans un but de fidélisation du personnel. Elle soutient également n'avoir renoncé à aucune recette, le parc n'ayant pas refusé d'accueillir des clients payants en raison de l'utilisation de ces entrées gratuites.
La Cour vient de décharger la SAS FC des rappels de TVA qui lui ont été assignés en ce qui concerne les entrées gratuites remises aux commerçants.
S'agissant de la distribution de billets gratuits aux commerçants locaux, la Cour a :
- constaté que ces commerçants, bien qu'acceptant les supports publicitaires, n'étaient tenus par aucun engagement contractuel contraignant de les exposer.
- relevé également l'absence de proportionnalité entre la valeur des entrées (environ 60 €) et la prestation de publicité potentiellement fournie, la gratification étant identique quelle que soit la taille du commerce.
- observé que seulement un tiers des billets distribués était effectivement utilisé.
La Cour en a conclu que, "eu égard notamment au caractère aléatoire et très partiel de la contrepartie attendue", la délivrance de ces billets devait être considérée non comme une prestation de services à titre onéreux mais comme une libéralité n'entrant pas dans le champ d'application de la TVA.
En revanche la Cour a maintenu son redressement concernant les entrées gratuites accordées aux salariés. Elle a constaté leur émission systématique (1 474, 2 616 et 2 938 billets sur les trois exercices) sans aucune comptabilisation explicite ni état nominatif des bénéficiaires, ces avantages n'ayant été détectés que par l'examen du logiciel de billetterie. La Cour a considéré que l'administration avait apporté la preuve des faits justifiant la réintégration dans les bénéfices du montant des recettes correspondantes. Elle a rejeté l'argument de la société selon lequel ces avantages visaient à fidéliser le personnel, estimant qu'en l'absence de comptabilisation permettant l'identification des bénéficiaires et la détermination des montants, la société n'avait pas établit pas son intérêt commercial.
Sur l'application des pénalités, la Cour confirme la qualification d'avantages occultes justifiant l'amende de l'article 1759 du CGI, rejetant l'invocation par la société des instructions administratives BOI-BIC-CHG-40-40-30 et BOI-RSA-CHAMP-20-30-10-10, dont elle ne remplit pas les conditions.
La doctrine BOFIP invoquée prévoit que les cadeaux de valeur modique remis aux salariés lors d'événements particuliers (comme un mariage, un anniversaire, la naissance d'un enfant ou les fêtes de Noël) et sans lien direct avec l'activité professionnelle n'entrent pas dans le champ d'application de l'impôt.
Cependant, la Cour rejette cet argument en relevant une contradiction dans la position de la société. En effet, celle-ci a admis que les billets étaient "attribués de manière systématique à tous ses salariés dans un but de motivation" et non lors d'occasions particulières comme l'exige l'instruction. Il s'agissait donc plutôt d'un complément de rémunération non déclaré que d'un cadeau occasionnel de faible valeur.
TL;DR
La CAA de Nancy décharge partiellement une société exploitant un parc d'attractions qui contestait des redressements fiscaux concernant des entrées gratuites. La Cour distingue deux situations :
- Pour les billets offerts aux commerçants en contrepartie de publicité : pas de TVA applicable car absence de lien direct entre le service attendu et la contrepartie (aucune obligation contractuelle des commerçants, contrepartie aléatoire, absence de proportionnalité).
- Pour les entrées gratuites non comptabilisées accordées aux salariés : maintien du redressement d'IS et des pénalités pour avantages occultes (Art. 1759 CGI), la société n'ayant pas établi son intérêt commercial ni respecté les obligations de comptabilisation des avantages en nature.