Par Patrick Cocheteux Avocat associé PCX Avocats SELAS inscrite au barreau de Lille
L'annonce de la suppression de l’exit tax a fait grand bruit (Forbes, mai 2018). Cet impôt – ou doit on plutôt considérer son recouvrement - a un pouvoir symbolique inversement proportionnel à ce qu’il rapporte. L’imposition de plus-value est toujours mal venue pour les détenteurs de richesse et sa suppression est considérée comme une atteinte à l’équité fiscale. Mais qu’en est-il vraiment ?
A ce sujet, deux points essentiels à propos du fonctionnement de l’exit tax méritent d’être rappelés avant de se prononcer sur l’intérêt ou non d’une suppression : le jeu de la suspension de l’imposition et le recouvrement international de l’impôt.
Introduction
Le transfert de domicile hors de France entraîne en principe l’imposition immédiate à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux des plus-values latentes sur droits sociaux, valeurs et titres.[1]
Le principe est l’application.[2], au montant de la plus-value, de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux (flat tax de 30% récemment mise en place, 12,8% auquel s’ajoute 17,2% de prélèvement sociaux).
Ce mécanisme est censé dissuader les Français de s’expatrier pour raison fiscale mais à bien y réfléchir, cela peut aussi déterminer un investisseur à s’installer à l’étranger pour bénéficier d’une taxation moins spoliatrice si, comme il l’espère, son projet génère une forte plus-value à terme. Et le monde des start up n’est pas le seul concerné.
L’exit tax est un dispositif qui taxe la plus-value latente, c’est-à-dire non encore réalisée sur la vente de titres. La plus-value latente correspond au montant de profit potentiel que peut générer un droit social mais qui n’est pas encore réalisé. L’impôt s’applique aux résidents français qui possèdent des parts dans des sociétés, françaises ou étrangères, lorsqu’ils transfèrent leur domicile hors de France. Dans une première version, le mécanisme de l’exit tax a été jugé contraire au droit communautaire par la CJCE dans son arrêt C-9/02 Lasteyrie du Saillant en date du 11 mars 2004. Ce dispositif a été d’abord considéré comme constituant une entrave à la liberté d’établissement. Le principe de la liberté d’établissement posé par l’article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values non encore réalisées, tel que celui prévu à l’article 167 bis du code général des impôts français, en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable hors de cet État.
Dans sa version nouvelle (art.167 bis CGI), l’exit tax s’applique à deux conditions : lorsque la valeur des titres détenus est supérieure à 800.000 euros, ou lorsque la personne qui quitte la France est majoritaire dans la société. Chaque année, le propriétaire des titres ou des parts devra informer l’administration fiscale de sa situation en remplissant un formulaire.[3].
I. Le jeu du sursis à imposition
Les obligations de déposer une déclaration provisoire au moment du départ et de fournit un document dit quitus fiscal.[4] ont été supprimées depuis le 1er janvier 2005. Mais le législateur a remis en vigueur l’exit tax sous le coup de l’émotion avec le départ de contribuables à l’étranger. Toutefois le sursis a été renforcé uniquement pour les départs hors de l’Union Européenne et le décret « exit tax » du 6 avril 2012 a pu être qualifié de constitutionnel[5].
En théorie l’exit tax est exigible immédiatement avant le départ du territoire, même si les titres n’ont pas encore été cédés. Dans la pratique, les contribuables bénéficient d’un sursis de paiement qui doit être demandé et sur lequel l’administration se prononce. Ce sursis court jusqu’à la vente effective des titres. Ce sursis est en fait automatiquement accordé et sans garantie lorsque la personne déménage dans un pays de l’Union européenne (UE) hors Lichtenstein. Il est généralement accordé également lorsque l’installation s’effectue hors de l’UE mais des garanties sont demandées pour conserver un droit de taxer. Dans ce cas, le contribuable doit déclarer ses plus-values, désigner un représentant fiscal en France et constituer des garanties égales à 30% du montant total des plus-values. La garantie la plus souvent proposée en pratique est un nantissement des titres sous exit tax, l’administration fiscale pouvant toutefois se montrer réticente à accepter des nantissements sur des titres étrangers. Dans un arrêt didactique du 23 février 2017 la CAA de Versailles a précisé les conditions de contestation de la décision de refus des garanties.[6].
Le contribuable peut obtenir un dégrèvement si l’impôt a fait l’objet d’un sursis de paiement ou une restitution d’impôt lorsqu’il a été acquitté et que survient une situation.[7] telle que : expiration du délai de quinze ans suivant le transfert de domicile, décès du contribuable, donation des titres, transfert du domicile dans un Etat UE après avoir rejoint un Etat hors UE ou retour en France.
Le sursis suspend la prescription de l’action en recouvrement jusqu’à la date de l’évènement entraînant son expiration. Pour les plus-values latentes, cet évènement est la cession.[8] des titres par vente, apport ou échange. Le rachat de ses titres par une société est également concerné ainsi que le remboursement d’obligations par exemple.
II. Le recouvrement international
Le défaut de production de la déclaration et du formulaire mentionnés supra ou l’omission de tout ou partie des renseignements qui doivent y figurer entraîne l’exigibilité immédiate de l’impôt en sursis de paiement.
De même, à l’expiration du sursis ou en l’absence de sursis, au moment du départ, l’impôt est payé ou ne l’est pas. On imagine aisément qu’une personne habitant l’étranger ne va pas nécessairement payer l’impôt dû si elle n’y est pas alors contrainte. Et c’est là qu’intervient le jeu des conventions internationales pour le recouvrement de l’impôt.
Si la DGFiP peut recourir à une convention fiscale avec le pays d’accueil prévoyant l’entraide administrative en matière de recouvrement de l’impôt, le sursis d’imposition sera généralement octroyé. En l’absence de convention et si le contribuable s’est installé à l’étranger sans remplir ses obligations, le fisc est théoriquement dépourvu de moyen d’action sauf à faire jouer ce que l’on nomme la théorie de l’effet titre.[9]. Convention ou pas, l’Etat d’accueil peut donc récupérer l’impôt dû à la France avant de le lui rétrocéder, dans le cadre d’un accord conclu entre puissances publiques si une convention existe ou dans le cadre d’un rapport de créancier ordinaire à débiteur ordinaire sinon.
Le cadre juridique de l’assistance internationale au recouvrement développé par la DGFiP est emprunté d’une part à trois directives européennes.[10] et d’autre part aux conventions bilatérales élaborées par la DLF.[11]. Ces conventions s’appliquent aux pays hors union européenne et aux pays de l’UE pour les impôts non prévus par les directives. Entre les pays existent différents types de demandes : soit, il s’agit simplement de se renseigner sur le patrimoine et les revenus d’un résident à l’étranger, soit il s’agit de faire notifier à l’étranger un acte de procédure, soit il s’agit de faire prendre par une administration étrangère des mesures conservatoires ou des procédures d’exécution.
Ce schéma général déjà complexe est surtout affecté par une carence intrinsèque au dispositif, à savoir que l’impôt français poursuivi par un autre Etat ne bénéficie d’aucun privilège. A noter également que le contribuable qui ne respecte pas ses obligations vis-à-vis de la loi française ne les respecte en général pas non plus dans un autre Etat et celui-ci sera enclin à privilégier le recouvrement de ses propres créances en priorité. Etant donné le temps que prend en moyenne l’échange entre Etats et le niveau de coopération effective, on considère en général que seul 1% des sommes en jeu est vraiment recouvré. Ce manque d’efficacité pourrait être partiellement combattu par l’abandon au niveau de l’Etat de la centralisation de l’assistance internationale au recouvrement et donc par l’accès direct entre services (SIE.[12] et SIP pour la France) des différents Etats.
Conclusion
A la lecture de ce qui précède, la suppression du texte relatif à l’exit tax devrait certes emporter un manque à gagner pour la DGFiP mais celui-ci serait modéré.[13]. Ce serait surtout l’image des français quittant le pays pour cause de spoliation fiscale qui disparaîtrait moyennant l’abandon d’une faible rentrée budgétaire.[14] et d’une bureaucratie certaine mais nécessaire pour suivre tous les contribuables concernés.
Avec le jeu du sursis à imposition et la faible efficacité du recouvrement international, l’abandon de l’exit tax ne devrait manquer à personne. Le maintien de l’exit tax n’est en fait plus d’actualité. Cet impôt a marqué les esprits au moment où il a été introduit dans le système fiscal français, et il n’a été créé que pour cela, mais sa portée est maintenant toute relative.
La suppression de l’exit tax pour les personnes physiques a déjà fait place à un exit tax pour les personnes morales avec l’article 5 de la directive (UE) 2016/1164 du conseil du 12 juillet 2016 transposable avant le 1er janvier 2020.
Ce dispositif prévoit l’imposition à la sortie des actifs avant qu’ils ne soient délocalisés en dehors de l’Union. Il permet de garantir que lorsqu’un contribuable transfère des actifs ou sa résidence fiscale hors de la juridiction fiscale d’un État, ce dernier impose la valeur économique de toute plus-value générée sur son territoire même si cette plus-value est encore latente au moment de la sortie.
Patrick Cocheteux Avocat associé PCX Avocats SELAS inscrite au barreau de Lille