Pour le juge de l'impôt, l'application rétroactive de l'exit tax aux transferts de domicile fiscal vers l'UE avant l'annonce du dispositif méconnaît les principes de confiance légitime et de sécurité juridique
Pour mémoire, l’Exit-Tax (Art. 167 bis du CGI) issu de l’article 48 de la première LFR pour 2011, prévoit que le transfert de domicile fiscal hors de France, à partir du 3 mars 2011, entraîne l’imposition immédiate à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux de certaines plus-values latentes , des plus-values en report d’imposition et des créances trouvant leur origine dans une clause de complément de prix. Il a fait l’objet d’ajustements législatifs, en particulier dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2013 et de la loi de finances pour 2014. Ces ajustements ont permis de rationaliser le dispositif de l’exit tax pour mieux cibler les contribuables qui transfèrent leur domicile fiscal hors de France à des fins d’exil fiscal et d’améliorer l’efficacité du dispositif. Ces règles,visaient à encadrer les mécanismes d’optimisation fiscale liés au changement de domicile fiscal, tout en préservant le pouvoir d’imposition de la France.
L’article 112 de la LF pour 2019 a réformé le dispositif de « l’exit-tax » en étendant le champ des contribuables pouvant bénéficier d’un sursis de paiement, en allégeant les obligations déclaratives, et en réduisant le délai de conservation des plus-values latentes permettant de bénéficier d’un dégrèvement ou d’une restitution.
L'article 11 de la LF pour 2024 a accorde aux contribuables ayant quitté le territoire national entre le 3 mars 2011 et le 31 décembre 2013, au même titre que ceux qui l'ont quitté ultérieurement, un dégrèvement des prélèvements sociaux au titre du sursis d'imposition dont ils bénéficient dans le cadre du paiement de l'exit tax.
Par ailleurs, l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans un autre. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (notamment dans l’arrêt Goed Wonen, C‑376/02) a ainsi posé :
- qu'une différence de traitement entre un contribuable demeurant sur le territoire national et un contribuable qui transfère sa résidence peut constituer une restriction à la liberté d’établissement.
que cette restriction peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général (ici, la préservation de la capacité d’imposition de l’État), à condition qu’elle soit proportionnée et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire.
Rappel des faits :
En effet, la particularité du litige tenait à la date d'application du dispositif, fixée rétroactivement au 3 mars 2011 par le législateur, soit avant même le dépôt du projet de loi le 11 mai 2011. M. A contestait cette rétroactivité au regard des principes de confiance légitime et de sécurité juridique.
Le Conseil d'État confirme d'abord que le dispositif d'exit tax n'est pas contraire à la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du TFUE. La restriction qu'il apporte est justifiée par la nécessité de préserver le pouvoir d'imposition de la France et proportionnée à cet objectif, notamment grâce au sursis de paiement automatique.
Toutefois, la Haute juridiction juge que l'imposition étant régie par le droit de l'Union, les principes généraux du droit de l'UE, dont la confiance légitime et la sécurité juridique, sont applicables. Or, selon la jurisprudence de la CJUE (précitée), une loi fiscale ne peut avoir d'effet rétroactif que si les contribuables ont été clairement avertis de son adoption et de sa rétroactivité.
Le législateur avait fixé la date d'application rétroactive au 3 mars 2011, date d'un discours du ministre du Budget lors d'un colloque sur la fiscalité du patrimoine. Le Conseil d'État considère que ce discours était trop vague : il ne faisait qu'une brève mention d'une "réflexion en cours" sur l'expatriation fiscale, sans annoncer clairement le dispositif qui serait adopté. Le ministre avait même précisé qu'aucune décision n'était encore prise.
Par conséquent, Il juge que cette rétroactivité au 3 mars 2011 viole les principes de confiance légitime et de sécurité juridique pour la période allant jusqu'au 11 mai 2011 (date de présentation du projet de loi). M. A. ayant transféré son domicile fiscal le 15 avril 2011, soit pendant cette période, il obtient gain de cause et la décharge des impositions contestées.
11. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier de son arrêt du 26 avril 2005, Goed Wonen (C-376/02), que les principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique ne s'opposent pas à ce qu'un État membre, à titre exceptionnel et afin d'éviter que soient utilisés à grande échelle, pendant le processus législatif, des montages destinés à minimiser la charge fiscale contre lesquels une loi de modification vise précisément à lutter, donne à cette loi un effet rétroactif, lorsque les contribuables effectuant des actes tels que ceux visés par la loi ont été avertis de la prochaine adoption de cette loi et de l'effet rétroactif envisagé de manière telle qu'ils soient en mesure de comprendre les conséquences de la modification législative envisagée sur les actes qu'ils pratiquent ou qu'ils projettent.
12. Il résulte de l'instruction que la date du 3 mars 2011 retenue par le législateur pour fixer la date d'application des dispositions de l'article 167 bis du code général des impôts, antérieure à l'adoption par le conseil des ministres et le dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 11 mai 2011, du projet de loi de finances rectificative pour 2011 comportant la proposition de rétablissement de ce dispositif fiscal, correspond à celle à laquelle le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat a prononcé, en clôture d'un colloque sur la fiscalité du patrimoine, une allocution dans laquelle il a exposé les scénarii de réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune envisagés par le Gouvernement en vue de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative avant l'été 2011. Dans ce cadre, le ministre a fait brièvement état, à la fin de son propos, d'une autre réflexion en cours relative à la manière d'" appréhender le revenu du contribuable qui s'expatrie non pour des raisons professionnelles mais seulement le temps d'échapper à la taxation de sa plus-value " et a conclu son intervention en rappelant qu'aucun décision n'avait encore été prise et que le projet de loi à venir serait le fruit " d'un travail de concertation et de réflexion ". De tels propos, eu égard à leur caractère prospectif, ne peuvent être regardés comme annonçant le rétablissement d'une imposition des plus-values en cas de transfert du domicile fiscal hors de France. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, l'application des dispositions de l'article 167 bis du code général des impôts aux transferts du domicile fiscal dans un autre Etat membre de l'Union, réalisés à compter du 3 mars 2011 jusqu'au 11 mai 2011, date à laquelle les contribuables ont eu connaissance du dispositif tel qu'adopté par le conseil des ministres et soumis à la discussion parlementaire, doit être regardée comme portant atteinte aux principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique.
13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête d'appel, M. A..., qui a transféré son domicile fiscal en Belgique le 15 avril 2011, est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions restant en litige.